Auteur

Roger Boivin

Le Québec, on le sait, est l’un des plus importants producteurs d’hydroélectricité au monde, une énergie abondante, parmi les moins chères de la planète. Ce que l’on sait moins, cependant, c’est qu’une bonne partie de l’hydroélectricité consommée au Québec nous vient de Terre-Neuve, du Labrador pour être plus exact. En effet, près de 18 % de notre électricité (un kilowatt sur 6) est produite par la seule centrale de Churchill Falls, située sur le fleuve du même nom.

Pratiquement toute l’électricité produite par cette méga-centrale (elle produit 4 300 MWH d’électricité par an, soit deux fois la production annuelle de tout le ré- seau privé de Rio Tinto Alcan au Saguenay-Lac-St-Jean.) est vendue au Québec, en vertu d’un contrat exclusif de 65 ans qui se termine en 2041. Ce sont des informations intéressantes, mais sans grandes conséquences pour notre économie me direz-vous? Pour l’instant du moins...

Hydro-Québec achète de l’énergie de bien d’autres partenaires d’affaires (éolien, centrales à gaz naturel, etc.).Le problème qui se pose avec l’électricité de Churchill Falls, c’est que le contrat que le Québec a négocié à la fin des années 1960 afin d’acheter l’électricité produite par la centrale, s’est rapidement avéré être extraordinairement avantageux pour nous. En effet, le prix qu’Hydro-Québec paie chaque kilowatt-heure (kWh) est fixe pour pratiquement toute la durée du contrat de 65 ans et il est de l’ordre de 0,25 cent le kilowatt/heure. À titre de comparaison, le coût par kWh de l’électricité produite au complexe La Romaine sur la Côte-Nord, est de l’ordre de 9,5 cents le kWh, soit 40 fois le prix payé à Churchill Falls…

Une échéance qui aura un impact majeur sur notre économie

On estime que Terre-Neuve en retire un bénéfice annuel de l’ordre de 65 millions de $, alors qu’Hydro-Québec en génère trente fois plus, soit environ 2 milliards de $ par an… En fait, c’est plus de 70 % du profit annuel d’Hydro-Québec qui vient du contrat de Churchill Falls… Les Terre-Neuviens sont particulièrement irrités de cet état de fait et ils ont tenté à plusieurs reprises de faire invalider cette entente. S’il fallait compenser ces 2 milliards de profits pour Hydro-Québec, il faudrait que la société d’État augmente l’ensemble de ses revenus d’environ 18 % d’un seul coup!

Le fait qu’un contrat soit à l’avantage du Québec n’est pas un problème en soi. Toutefois, il est indéniable qu’à l’échéance, Terre-Neuve ne voudra pas renouveler l’entente aux mêmes conditions. Comme ce contrat ne leur rapporte pratiquement rien (à l’échelle d’une province), la non-reconduction de celui-ci n’aurait pas un impact majeur pour les Terre-Neuviens. Par contre, si le Québec devait perdre l’accès à cette source d’énergie, elle devrait potentiellement la remplacer par de nouvelles installations, qui coûteraient plus ou moins 34 milliards de $ soit trois fois le coût de réalisation du complexe La Romaine!

Nous devrions aussi éventuellement mettre fin à des contrats d’approvisionnement électrique de grandes industries au Québec ou mettre fin à nos exportations d’électricité. À titre d’exemple, ce que le Québec achète annuellement de Churchill Falls représente environ le double de ce que les 9 alumineries du Québec achètent en électricité d’Hydro-Québec ou l’équivalent de toute l’électricité exportée par le Québec l’an dernier! À la limite, Terre-Neuve pourrait aussi décider de vendre cette énergie au rabais à nos industriels, à la condition qu’e ceux-ci déménagent leurs usines (des alumineries par exemple) au Labrador…

Cette province pourrait aussi accepter de continuer de nous vendre cette électricité après 2041, mais à quel prix? La fin programmée du très avantageux contrat d’achat d’électricité de Churchill Falls est une question politique et économique extrêmement importante pour le Québec. Aujourd’hui, 2041 peut paraître bien loin (23 ans), mais devant l’importance de l’enjeu, il est primordial que nous commencions dès maintenant à évaluer sérieusement nos options!

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