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Karine Boivin Forcier

SAGUENAY – Alors que l’on cherche à atteindre un équilibre entre inflation et lutte contre l’inflation, l’économie mondiale est désormais devant un « trilemme » entre croissance, inflation et stabilité financière. Selon Pierre Blanchet, responsable de l’intelligence économique chez Amundi Institute, ce « trilemme » constitue le cœur de la problématique macroéconomique actuelle.

« La problématique de stabilité financière vient s’ajouter aux autres depuis quelques mois. On a eu deux grands exemples avec les banques régionales américaines et, en Europe, l’acquisition du Credit Suisse par UBS. Ce sont des signes qu’on est dans une phase de fragilité du système, parce que la hausse des taux d’intérêt par les banques centrales met de la pression sur le système financier », indique M. Blanchet.

Celui-ci explique qu’on est rapidement passé d’un monde où les taux d’intérêt à court terme et ceux des produits monétaires sont pratiquement équivalents et proches de 0, à une situation où les taux d’intérêt sont de 4 à 5 %, voire au-dessus. Dans ce cas, les produits monétaires deviennent des concurrents au financement bancaire.

« Plutôt que de laisser son argent en dépôt à faible rendement à la banque, on le place dans un produit monétaire qui obtient un rendement supérieur. Quand on fait ça, ça crée un déséquilibre dans le bilan des banques. Comme les hausses de taux ont été très rapides, le basculement se fait aussi de façon très rapide et c’est ça qui crée un choc dans la structure des bilans bancaires », résume le responsable de l’intelligence économique.

Des taux qui demeurent élevés

En prenant en compte la situation actuelle, l'Amundi Institute prévoit que les banques centrales vont conserver leurs taux directeurs à des niveaux élevés, donc restrictifs, le plus longtemps possible pour être vraiment sûres que l'inflation retrouve l'objectif de 2 %. Cela a pour effet de faire ralentir l’économie. « Nous faisons l’hypothèse d’un ralentissement limité. Le cœur de notre scénario économique prévoit une récession aux États-Unis, mais qui serait très limitée en fin d’année, et une croissance très faible en 2024 », affirme Pierre Blanchet. Des répercussions du ralentissement américain sont à prévoir sur le Canada, puisque ces deux économies sont très liées.

La contrainte la plus forte de cette situation sur les entreprises demeure le financement. Le resserrement des conditions financières fait en sorte qu’elles doivent chercher des rendements sur investissements supérieurs de leurs projets pour avoir un retour positif. « Le contexte est particulier parce que les taux sont montés rapidement. Il faut toutefois mentionner que ce sont des taux qu’on avait en 2006 ou 2007 et que les entreprises à l’époque n’avaient pas plus de difficultés à effectuer leurs activités », nuance l’économiste, qui perçoit tout de même une pression sur les entreprises actuellement.

Le responsable de l’intelligence économique d’Amundi rappelle également que, jusqu’à maintenant, l’inflation avait été transférée au consommateur final et les marges ont été maintenues. Cependant, les ajustements vont devenir moins évidents. Le ralentissement économique fera en sorte que les fournisseurs auront plus de difficulté à faire passer les hausses de prix, ce qui aura pour effet de compresser les marges. Cela va évidemment jouer sur la rentabilité à court terme. Il faut toutefois prendre en compte que la réalité est complexe et que ce ne seront pas tous les secteurs qui subiront le même impact.

Pays émergents : un contrepoids

Au niveau mondial, toutefois, les économies émergentes, comme la Chine et l’Inde, viennent contrebalancer le ralentissement affectant les pays plus développés. Elles ont en effet un rythme de croissance très positif. L’hypothèse des spécialistes d’Amundi est donc d’une croissance globale de 2,7 % en 2023 en valeur réelle. Ce chiffre se situe juste sous la barre de l’objectif général de 3 %.

« Les économies avancées, particulièrement l’Europe et l’Amérique du Nord sont en ralentissement, mais la Chine est en accélération et d’autres pays émergents également. Ces moteurs de croissance permettent à l’économie mondiale de tenir la tendance. […] En 2023, les deux tiers de la croissance mondiale viennent d’Asie, dont un tiers de la Chine et 15 % pour l’Inde », souligne M. Blanchet.

Ce contrepoids s’avère positif à l’échelle mondiale, puisqu’il permet d’éviter une récession globale. Pierre Blanchet considère que cette tendance de la croissance penchant vers l’Asie va perdurer, pour différentes raisons démographiques et de dynamique économique. « Cette zone va continuer d’être un grand contributeur à la croissance mondiale. Ensuite, on n’est pas obligé d’avoir un déséquilibre », mentionne-t-il.

À long terme

Selon M. Blanchet, l’année 2024 devrait se poursuivre sur la même lignée que 2023. Amundi fait l’hypothèse que le ralentissement aux États-Unis sera confirmé, avec une croissance négative, en valeur réelle, d’environ -0,3 % pour l’année 2024. Pour la croissance mondiale, les estimations tournent autour de 2,6 %, toujours avec une faible contribution des économies avancées. « C’est la même configuration que cette année. »

Les experts prévoient que l’inflation va redescendre, mais cela se fera sur plusieurs trimestres. « Ça prend beaucoup de temps à une économie qui a subi un choc inflationniste pour retrouver son niveau précédent. Nous pensons que l’objectif de 2 % des banques centrales est accessible en 2024. Pour cela, il faut conserver la pression, c’est pourquoi nous ne prévoyons pas voir de baisses de taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine avant la fin de l’année, voire le début 2024. Il faut être sûrs que l’inflation et les anticipations d’inflation soient recalées », fait valoir Pierre Blanchet.

Une fois l’objectif de 2 % atteint, les économistes d’Amundi estiment que l’inflation va avoir tendance à demeurer plutôt au-dessus de ce chiffre dans les économies avancées. Dans la décennie précédente, la tendance inflationniste était largement sous le 2 %, particulièrement en Europe. « Pour différentes raisons, notamment le coût de la transition énergétique, la déglobalisation, le rapprochement des chaînes d’approvisionnement, une certaine pression à la hausse va être maintenue. L’équilibre sera probablement un peu au-dessus de 2 % », croit M. Blanchet.

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