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Maxime Hébert-Lévesque

SAGUENAY – L’industrie de la microbrasserie s’est vue freinée brusquement par la pandémie de COVID-19. Les mesures de confinement sont venues porter un coup de massue au secteur et l’Association des microbrasseries du Québec (AMBQ) réclame maintenant au gouvernement québécois le droit pour ces entreprises de vendre directement aux consommateurs, par livraison. Un moyen de renflouer les coffres qui n’est pas simple et qui risque de ne pas faire l’unanimité.

Au Québec, il existe deux permis entourant la fabrication de la bière : le permis de producteur artisanal et le permis de brasseur. Le premier, surtout commun dans les zones urbaines, permet de brasser et d’écouler sa production sur son lieu de fabrication, de l’exporter hors Québec ou de la vendre à la Société des alcools du Québec (SAQ). Le second, catégorisé comme industriel, donne les mêmes avantages que le premier, mais par surcroît, il permet de vendre et de livrer la production aux détenteurs d’un permis d’épicerie.

La fermeture des bars, pubs et salons de dégustation cause des pertes importantes, notamment, puisqu’une partie de la production des brasseries ne peut ainsi être vendue. Une problématique contraignante pour tous et qui peut s’avérer fatale pour les entreprises possédant un permis de producteur artisanal. « Notre bar fermé, c’est le tier de nos ventes que nous perdons, et même plus, puisque nous distribuons nos produits à d’autres bars et restaurants de la région », explique Louis Hébert, copropriétaire de la microbrasserie La Chouape de Saint-Félicien.

Une solution simple, mais complexe

Ce que l’AMBQ demande au gouvernement du Québec, c’est le droit pour les microbrasseries de livrer directement leurs bières aux consommateurs sans passer par un détaillant, une procédure qui est pour le moment interdite. « Cela pourrait apporter un petit plus dans les coffres des microbrasseries le temps que la crise passe. Nous sommes à un moment où l’on demande aux entreprises de se réinventer. Il est très frustrant de voir qu’on ne nous offre pas les outils nécessaires », explique Marie-Ève Myrand, présidente de l’AMBQ.

Si l’alternative peut paraître évidente, voire simple à réaliser, elle ne l’est pas. C’est que le Québec est soumis à des accords internationaux concernant la vente d’alcool sur son territoire. Ce cadre réglementaire a été défini par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) afin d’assurer une saine compétition entre les produits locaux et ceux importés. Modifier des paramètres dans la Loi sur la Société des alcools du Québec (SAQ) pourrait donc se traduire par une violation de certains traités. Une situation qui a déjà fait cas de figure par le passé, notamment en 2018, lorsque l’Australie avait porté plainte contre le Québec pour avoir laissé les vins québécois accéder aux tablettes des dépanneurs et des épiceries.

« Nous sommes à la recherche de solutions. 60 % de nos microbrasseries ont moins de cinq ans. Des problèmes de liquidités sont à prévoir et des fermetures définitives également. Il est certain que, dans la situation, l’alcool n’est pas une priorité, mais nous aimerions un peu plus d’écoute. Sachant que Terre-Neuve, soumise aux mêmes accords internationaux que nous, a permis la livraison aux consommateurs, nous nous demandons pourquoi Québec ne fait pas un pas dans le même sens ».

Donner à l’un pour prendre à l’autre

Vladimir Antonoff, copropriétaire de la microbrasserie Hopera, admet que la possibilité de livrer sa bière directement au consommateur sans passer par un tiers représente un certain avantage. « L’un des problèmes pour les Broues-pubs, c’est tout ce que nous avons brassé et qui se retrouve dans nos cuves. La production qui était destinée à nos lignes de fût et qu’on ne prévoyait pas écouler sur les tablettes d’un commerce. J’aimerais pouvoir la livrer directement aux consommateurs qui la connaisse. En compétition, sur une tablette, je ne pense pas que mes bières plus ‘’classiques’’ peuvent rivaliser. Elles vont plutôt surcharger l’espace ».

Si l’entrepreneur trouve l’idée de l’AMBQ intéressante, il souligne toutefois un bémol. « Le dépanneur spécialisé ou l’épicerie fine qui vend mes produits voient d’un très mauvais œil que je les court-circuite et c’est normal. Si je livre moi-même mes bières, je ne pourrais pas les offrir à meilleurs prix au risque de cannibaliser les ventes de mes partenaires ». Rendre la livraison permise signifierait peut-être nuire à une chaîne de valeur.

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