Guy Bouchard
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Guy Bouchard

MASHTEUIATSH – Même si les travaux de construction du centre de recherche BioChar Borealis viennent à peine de débuter dans le parc industriel de Mashteuiatsh, les gestionnaires de l’organisation ont déjà enclenché la deuxième phase de développement de ce projet de 7,6M$, en passant en mode de commercialisation. L’exercice consiste à rechercher et intéresser des promoteurs à utiliser les « recettes » de biocharbon et de ses produits dérivés, pour créer de nouvelles entreprises.

En entrevue avec Informe Affaires, André Benoit, le directeur du projet, accompagné de Édouard Robertson, directeur général de la Société de Développement Économique Ilnu (SDEI), partenaire du projet, précisent que les équipements de pyrolyse nécessaires au procédé sont déjà commandés du fournisseur français Etia, alors que les locaux devraient être livrés en juin prochain. Toutefois, le développement des produits est déjà avancé, en collaboration avec Etia, et les promoteurs sont très enthousiastes en regard du potentiel de développement de l’industrie biocharbon.

Les deux hommes estiment que les possibilités de créer de nouvelles entreprises à partir des produits - biocharbon, biohuile et syngaz - qui seront élaborés par ce centre de recherche sont très élevées. Ils espèrent que le laboratoire jeannois fera des petits, qui se concrétiseront dans la création d’une nouvelle grappe industrielle au Saguenay–Lac-Saint-Jean. « Je fonde beaucoup d’espoir sur la création d’une panoplie de petites entreprises. Les applications du biochar sont multiples », lance Édouard Robertson.

Un projet territorial

Pour André Benoit, la création du Centre de conversion thermochimique de matières lignocellulosiques (CCTML) - le nom technique du laboratoire - constitue un véritable tour de force pour la région. « Une des belles qualités de BioChar Borealis, c’est que c’est un projet territorial, il est né dans la région et pour la région », lance-t-il. Il fait ici référence à la présence et l’implication de différents partenaires à l’origine de la mise en place du CCTML, soit, la communauté de Mashteuiatsh, la MRC du Domaine du Roy, Alliance Bois et Agrinova.

Débouché pour les copeaux

La grappe industrielle potentielle liée à la R&D du CCTML pourrait, à moyen terme, constituer un débouché très intéressant pour le marché des copeaux produits par les scieries de la région. Il faut savoir que l’alimentation des pyrolyseurs se fait en grande partie à partir de cette matière première, même si le procédé peut être alimenté par la biomasse forestière et même agricole. D’ailleurs, selon André Benoit, un programme de qualification et de certification des essences de la forêt boréale est complété. En collaboration avec le partenaire et fournisseur de la technologie de pyrolyse français Etia, huit essences de matière ligneuse ont été testées pour connaître leur potentiel pour la production de biochar.

« Un projet en harmonie avec nos valeurs »

Pour Édouard Robertson, la concrétisation du Centre de conversion thermochimique de matières lignocellulosiques de BioChar Boréalis s’inscrit parfaitement dans les valeurs de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan. Il explique que le développement de cet axe particulier de la filière forestière est en parfaite harmonie avec les valeurs traditionnelles des Innus. « On a pris des risques en investissant dans le projet, mais il a un grand potentiel et il s’appuie vraiment sur notre savoir traditionnel » assure-t-il.

Le principe de la pyrolyse et le potentiel du biochar

MASHTEUIATSH – Le biochar est en fait un charbon naturel de source végétale, produit par un procédé connu sous le nom de pyrolyse ou thermolyse. La matière première, à titre d’exemple des copeaux de bois provenant d’une scierie, de la biomasse forestière ou agricole, est chauffée à une température élevée (350°C à 750°C) durant une période déterminée. Il en résulte trois produits : le biocharbon, sous forme solide, de l’huile pyrolytique et du syngaz.

Plusieurs produits peuvent être créés à partir de la pyrolyse végétale. Chaque composante a son utilité. Pour sa part, le biocharbon peut être utilisé à de multiples fins, notamment comme composante d’un amendement du sol en horticulture, production en serre, arboriculture et revégétalisation. Aux dires d’André Benoit, des tests sont actuellement réalisés chez des serristes du Saguenay–Lac-Saint-Jean et d’ailleurs pour évaluer ce potentiel. L’homme explique également que l’Agence canadienne d’inspection des aliments reconnaît l’utilisation du biochar dans l’agriculture biologique, pourvu qu’il soit d’origine forestière.

Autre application d’intérêt, le biocharbon végétal peut être substitué au charbon minéral utilisé dans la production de divers types de filtres actuellement sur le marché. Les huiles résiduelles peuvent même être utilisées dans l’agroalimentaire comme substituts aux fumées utilisées habituellement pour aromatiser les poissons et les viandes. Les syngaz ou gaz synthétiques, issus de la pyrolyse, peuvent aussi être une source d’énergie alternative pour la production de gaz naturel. Celui-ci peut être éventuellement réutilisé dans les procédés comme source d’énergie d’appoint.

Etia partenaire technologique

Le partenaire technologique du projet BioChar Borealis est l’entreprise française Etia. Le fournisseur implantera la technologie Spirajoule, qui permet de traiter le bois par pyrolyse à des températures comprises entre 300° et 500°C tout en contrôlant les paramètres de traitement : contrôle du temps de séjour (en régulant la vitesse de rotation de la vis de convoyage), contrôle de la température de traitement (en régulant la chauffe électrique de la vis de convoyage), contrôle de l’atmosphère dans l’enceinte de traitement (teneur en oxygène notamment).

Ces équipements permettent également de récupérer les produits volatils et les syngaz dans l’atmosphère de l’enceinte, pour notamment transformer ces produits condensables en huile pyrolytique. Des discussions entre BioChar Borealis et Etia sont d’ailleurs en cours pour distribuer cette technologie et les recettes développées par le CCTML à l’échelle canadienne. André Benoit estime par ailleurs que les systèmes de pyrolyse pourraient même être adaptés dans des unités mobiles pour se déplacer chez des agriculteurs dans le but de transformer sur place des résidus végétaux provenant des cultures.

Puits de carbone

Selon ses promoteurs, le projet BioChar Borealis s’inspire d’une vision novatrice qui contribuera au déploiement d’une nouvelle voie de valorisation de résidus forestiers ou provenant des activités de première transformation. De plus, il s’inscrit directement dans les objectifs liés aux principes du développement durable de la forêt et à la réduction des gaz à effet de serre puisque le procédé utilisé génère de véritables puits de carbone puisqu’il permet de capturer une partie importante de celui-ci, qui serait autrement retourné dans l’atmosphère.

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