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Karine Boivin Forcier

SAGUENAY – Congé de maternité rime avec transformation : arrivée d’un premier ou d’un nouvel enfant, adaptation à un quotidien familial différent. Cette pause dans la vie professionnelle, souvent de plusieurs mois, entraîne généralement son lot de réflexions. À sa suite, de plus en plus de femmes choisissent de réorienter leur carrière ou de se lancer en affaires. Pour autant, ce moment constitue-t-il un tremplin vers l’entrepreneuriat ?

"Le congé de maternité est particulièrement favorable à un projet entrepreneurial, oui, parce qu’on s’arrête. […] Juste le fait de s’interrompre, de se remettre au neutre, ça donne une perspective différente sur la vie. Ça force une réflexion qui peut inciter au changement. […] C’est un terreau fertile pour la conception de nouveaux projets entrepreneuriaux", affirme Marie-Hélène Côté, psychologue d’affaires, coach exécutive et propriétaire du cabinet Côté Psychologie d’affaires à Montréal.

Même son de cloche du côté d’Annie Boilard, présidente du Réseau Annie RH, CRHA Distinction Fellow. Originaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, elle s’est lancée en affaires à la suite de son deuxième congé de maternité. D’abord associée dans une firme, elle a par la suite démarré sa propre entreprise. "C’était vraiment à ça que j’aspirais depuis toujours. […] Le fait que ça ait suivi un congé de maternité, je pense qu’il n’y avait pas une corrélation précise, si ce n’est que ce congé a été une opportunité de faire une pause et d’évaluer mes options. Ça permet de faire le point, de faire le tour du marché et de voir les portes qui s’ouvrent à nous", estime-t-elle.

Selon elle, cette réflexion n’aurait pas été envisageable en dehors de ce moment de répit professionnel, puisque le temps aurait manqué. "Évaluer ses options, ça requiert des ressources, du temps et de l’énergie", rappelle-t-elle. Marie-Hélène Côté ajoute que le rythme et les exigences du travail augmentent. "Ça engendre un certain stress et c’est impossible de se poser des questions, parce qu’on a tout simplement pas le temps. […] En fait, plus les gens ont de responsabilités, plus ils ont besoin de s’arrêter, mais moins ils ont d’énergie pour le faire."

Changement de priorités

La psychologue fait remarquer que la tendance a été documentée chez les femmes qui occupent des postes dans des firmes de services professionnels, tels que fiscalité ou droit. "Pour ces femmes, le congé de maternité leur fait prendre du recul. Après cinq ou huit ans, leur carrière s’interrompt. […] Souvent, elles reprennent leur fonction après le premier enfant. Par contre, au deuxième, il y a un fort taux d’abandon. Ce sont des professionnelles de haut niveau, éduquées avec des salaires intéressants. Dans certains cas, ça ne leur tente pas de retourner travailler 70 heures ou de se retrouver sur la voie d’accotement par rapport à des collègues qui n’ont pas arrêté. "Ça établit un terreau fertile pour avoir des projets. Il y a une créativité additionnelle."

La maternité entraîne aussi souvent un changement de priorités pour les femmes. "Ça te force à te questionner sur ce que tu souhaites pour ton enfant. En congé de maternité, les mères vont se demander quelle valeur a le travail pour elles. Qu’est-ce que ça m’apporte ? Pourquoi fais-je ce métier ? Elles vont se reconnecter avec leurs aspirations, leurs déceptions et le futur. […] Pour certaines, le travail devient plus un moyen qu’une fin. Les priorités du quotidien changent et le besoin d’avoir du sens dans son emploi est en général plus présent", indique Marie-Hélène Côté, qui a elle-même réorienté sa carrière pour devenir psychologue après la naissance de son premier enfant.

Les enfants deviennent aussi souvent une source d’inspiration qui pousse les mères à développer leur projet entrepreneurial. "Pour certaines, la maternité constitue la bougie d’allumage. Je connais des entrepreneures qui ont créé des projets de vêtements ou de décoration pour les enfants, pour l’alimentation ou l’écoresponsabilité. La maternité représente un carburant et une source de motivation", souligne Annie Boilard.

Une bonne idée ?

De nombreuses femmes vont aussi songer aux affaires dans le but de gagner en flexibilité pour la gestion familiale. À cette aspiration, Mmes Boilard et Côté mettent un bémol. "On imagine souvent un scénario idéaliste. Pour la majorité d’entre nous, ce n’est pas la vraie vie. Être entrepreneur, ça demande une présence. Il y a beaucoup de boulot à abattre. Une entreprise, c’est rarement un cycle continu et il y a des périodes plus intenses. Il faut être disponible pour les clients, les démarcher. […] La flexibilité, dans le sens de travailler moins, je n’y penserais pas. Comme entrepreneure, si tu ne travailles pas, l’argent ne rentre pas. Toutefois, dans le sens de choisir quand je vais travailler, oui, c’est plus facile", fait valoir Mme Boilard.

Cette dernière considère son entreprise comme le quatrième bébé de sa famille. "Un bébé qui ne grandit pas, qui pleure tout le temps et qui a toujours besoin d’attention", blague-t-elle.

Marie-Hélène Côté croit également qu’une entreprise, c’est l’équivalent d’un nouveau poupon. "Il y a beaucoup d’inconnu et d’apprentissage. Ça demande du temps. L’idée peut être très emballante, mais il faut être consciente que ça va exiger plus d’efforts et de travail qu’on le pense. Les enfants réclament des soins et une présence aussi", précise-t-elle.

Bien réfléchie, la démarche peut toutefois s’avérer gagnante pour certaines femmes. "Il faut être bien accompagnée et faire attention à la viabilité du projet. Autant ça peut être hyper attirant, autant si on veut que ça fonctionne, il y a beaucoup d’efforts à faire pour le mettre en place", résume Mme Côté.

Réaliser un plan d’affaires, choisir un marché connu ou partir de compétences qu’on possède déjà sont des stratégies intéressantes. C’est ce qu’a fait Annie Boilard. "Moi, j’ai toujours trouvé que c’était une belle combinaison d’être maman-entrepreneure. Ça m’a permis de transmettre des valeurs à mes enfants. J’ai l’impression que mes enfants et mon entreprise ont suivi des cycles d’évolution parallèles. Quand j’avais plus confiance en moi comme maman, j’avais plus confiance comme entrepreneure. Quand je vivais des défis parentaux, j’expérimentais souvent des défis dans l’entreprise, et inversement", conclut-elle.

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