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Karine Boivin Forcier

SAGUENAY – Le milieu du transport fait actuellement face à un enjeu majeur concernant le recrutement de chauffeurs, qui représente un frein à la croissance de plusieurs entreprises du secteur. Selon certains acteurs de l’industrie, cette situation pourrait bien finir par avoir un impact direct sur la croissance économique, puisque des transporteurs se voient de plus en plus contraints de refuser des clients.

« La situation de main-d’œuvre, c’est partout au Québec. On a cinq postes de chauffeurs longue distance ouverts au Saguenay–Lac-Saint-Jean. On manque tellement de chauffeurs qu’on recrute à l’international », souligne Marc Lachapelle, partenaire principal – Acquisition de talents au sein du Groupe Morneau, entreprise de transport basée au Bas-Saint-Laurent qui compte 22 terminaux au Québec et 1 300 employés, dont 65 à Saint-Bruno. Même son de cloche chez Transcol, dont le siège social se trouve à Saguenay. « Il y a des départs à la retraite qui ne sont pas remplacés dans le domaine. On voit une grosse pénurie de main-d’œuvre », note la directrice générale, Caroline Girard.

Cette situation commence à donner du fil à retordre aux entreprises de transport, qui se voient même dans l’obligation de refuser de nouveaux clients afin de pouvoir continuer à offrir une bonne qualité de service à ceux qu’ils desservent déjà. « Ce qui arrive, c’est qu’on a une pénurie de main-d’œuvre, mais une augmentation de volume. […] On pourrait grossir beaucoup plus que ça, mais on se doit de mettre un frein à la croissance parce qu’on manque d’employés. On est une entreprise qui est en croissance depuis 25 ans, mais c’est peut-être la première année qu’on doit mettre un frein à notre croissance un peu », mentionne Mme Girard.

Afin de pallier le manque de main-d’œuvre, Transcol a notamment dû doubler ses effectifs au niveau de la répartition, en plus d’ajouter un quart de travail de jour pour l’entrepôt. « La logistique est devenue beaucoup plus compliquée qu’avant », ajoute-t-elle. Marc Lachapelle abonde dans ce sens, mentionnant que la logistique des livraisons et cueillettes, notamment, se fait plus complexe.

Impact économique important

La problématique a des répercussions bien au-delà des entreprises de transport, puisqu’elles constituent en quelque sorte la base de l’économie. En effet, différents commerces et industries sont en quelque sorte tributaires des transporteurs pour recevoir et expédier leur marchandise. « Ça crée des problématiques pour d’autres types d’industries après. Il peut y avoir des retards dans les usines, dans les boutiques ou les restaurants, parce qu’on ne peut plus offrir le service qu’on offrait avant. On a parfois des délais plus longs », précise la directrice générale de Transcol. Des entreprises pourraient ainsi voir leur croissance ralentie, faute de distributeurs. « Pour certaines entreprises, si on se retrouvait à ne plus pouvoir les prendre, ce serait très grave, leur réseau de distribution serait complètement brisé », ajoute-t-elle.

Selon Marc Lachapelle, la situation représente un frein au développement, surtout pour les régions, puisque ce ne sont pas tous les transporteurs qui s’y rendent. Transcol et Groupe Morneau ont d’ailleurs tous deux comme clients des entreprises de transport basées dans les grands centres qui leur transmettent des chargements à livrer en région. « Les gens ne réalisent pas à quel point c’est important, jusqu’à ce qu’ils n’aient pas de camion », estime-t-il.

La solution passe par l’innovation

SAGUENAY – Pour Transcol et Groupe Morneau, la solution à la pénurie de chauffeurs dans l’industrie du transport passe par des pratiques de gestion et de recrutement innovantes. Les deux entreprises demeurent proactives afin de ne pas se retrouver dans l’impasse.

Pour la directrice générale de Transcol, Caroline Girard, il faut que l’industrie prenne le temps de se remettre en question. « On doit se poser des questions et vouloir se renouveler comme employeur. Ce n’est pas une mauvaise chose. On a fait un gros tournant vers nos ressources humaines il y a environ 10 ans et on s’est mis à s’occuper de nos gens. Il ne faut pas avoir peur de se remettre en question et trouver de nouvelles idées […] pour aller chercher la relève. Il faut intéresser les gens à venir chez nous et à y rester », estime-t-elle. L’entreprise, qui emploie plus de 150 personnes, dont 75 % sont des chauffeurs, a d’ailleurs effectué une démarche pour revoir sa marque employeur, qui a porté ses fruits en matière de recrutement. Elle offre aussi de la flexibilité à ses employés plus proches de la retraite et qui souhaitent continuer à travailler.

Groupe Morneau mise de son côté sur la qualité de vie (ses chauffeurs retournent dormir à la maison tous les soirs), l’ambiance familiale et la flexibilité. « Par exemple, j’ai deux retraités qui travaillent trois jours et deux jours, donc je couvre mes cinq jours avec deux personnes. Il faut être créatif de ce côté-là », affirme Marc Lachapelle, partenaire principal – Acquisition de talents pour l’entreprise.

La formation pour recruter

Les deux entreprises se tournent aussi vers la formation pour assurer leur recrutement. Elles implanteront ainsi un diplôme d’études professionnelles (DEP) directement au sein de leur organisation, en collaboration avec des centres de formation. Chez Transcol, qui travaille en partenariat avec le Centre de formation en transport de Charlesbourg (CFTC), la cohorte de huit élèves débutera en octobre. « Eux donnent déjà des cours dans la région et ils vont faire la théorie et nous, on s’occupe du côté pratique. Nos chauffeurs sont formés, sont des maîtres chauffeurs et vont accompagner les élèves qui vont travailler en alternance travail-études. Pour nous, c’est intéressant, parce que quand ils vont faire leur DEP, ils travaillent pour l’entreprise, c’est concret. On peut leur montrer à travailler », explique Mme Girard. L’entreprise a reçu plus d’une vingtaine de candidatures.

Groupe Morneau formera des cohortes de huit à 10 chauffeurs dans ses trois gros centres, soit Montréal, Québec et Saint-Arsène. L’entreprise travaille avec le CFTC et le Centre de formation en transport routier de Saint-Jérôme pour offrir la formation en alternance travail-études. « On aura des classes d’étudiants dans nos bureaux. Le professeur se déplace sur les lieux et les gens ont un emploi chez-nous en finissant », indique M. Lachapelle.

Attirer les jeunes

Les deux intervenants sont unanimes : il faut innover et changer le regard sur l’industrie pour attirer les jeunes. « L’industrie n’est pas assez valorisée. Il y a beaucoup d’idées préconçues », déplore Caroline Girard. Une tendance que Marc Lachapelle s’affaire à renverser en se rendant dans les écoles secondaires partout dans la province pour parler du métier de chauffeur, montrer aux jeunes les perspectives d’emploi. Groupe Morneau collabore aussi avec l’association Camo-Route pour le programme Conductrice de camion : objectif 10 %, qui vise à modifier les pratiques des entreprises et des centres de formation en matière de recrutement, d’intégration et de formation pour faire en sorte que davantage de femmes trouvent un emploi dans cette industrie.

Transcol se fait pour sa part plus présente sur les réseaux sociaux et dans les évènements, comme le Festicam de Saint-Honoré, afin de mettre en valeur le métier. « C’est un métier stimulant. Il y a de beaux défis à relever », conclut M. Lachapelle.

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