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Communiqué de Presse

Le portrait du marché du travail a changé rapidement en l’espace de quelques années au Québec. Comme ailleurs au pays, le cycle d’expansion de l’économie nord-américaine a entraîné une bonne création d’emplois et une baisse du taux de chômage. Le niveau de 5,5 % atteint au Québec l’an dernier s’avère même le plus faible depuis les années 1960. La main-d’œuvre disponible est devenue insuffisante dans la plupart des régions et dans plusieurs secteurs d’activité, selon une étude économique de Desjardins.

Les tendances démographiques défavorables ont amplifié la problématique au Québec. Le nombre de postes vacants a grimpé en flèche et certaines régions de la province affichent même la croissance la plus rapide parmi toutes les régions au Canada. L’Ontario traverse aussi une période ardue pour le recrutement de la main-d’œuvre. Certaines industries sont plus touchées que d’autres. Le portrait n’est pas uniforme et des nuances s’imposent : les postes à pourvoir ne sont pas tous à temps plein, avec des salaires élevés et demandant un haut niveau de scolarité.

La démographie fait son œuvre

Le taux de chômage a diminué rapidement depuis quelques années au Québec. D’une part, la période de croissance économique soutenue a favorisé l’embauche de travailleurs, ce qui a réduit considérablement le nombre de chômeurs. D’autre part, le bassin de travailleurs potentiels, soit la population âgée de 15 à 64 ans, a cessé de croître en raison du vieillissement de la population. La vague des baby-boomers franchit progressivement le cap des 65 ans au Québec, et le nombre de personnes moins âgées que ce seuil a tendance à diminuer. La structure d’âge de la population du Québec s’avère bien différente de celles de l’Ontario et du Canada, où la population âgée de 15 à 64 ans continue d’augmenter. Ces facteurs démographiques, combinés à la vigueur de l’économie depuis quelques années, ont permis au taux de chômage du Québec de fléchir rapidement. Le niveau de 5,5 % enregistré en 2018 se situe même sous ceux du Canada (5,8 %) et de l’Ontario (5,6 %). Il s’agit d’une première depuis le début des statistiques annuelles en 1946, puisque le taux de chômage du Québec a toujours été plus élevé. La province continuera de se distinguer avec un taux de chômage inférieur alors que les tendances démographiques sont là pour rester. La réduction du bassin de main‑d’œuvre se poursuivra avec Le vieillissement accéléré de la population. En Ontario, même si le nombre de personnes en âge de travailler continue d’augmenter et que l’emploi connaît une forte progression, le taux de postes vacants est semblable à celui du Québec. Le manque d’effectifs touche par conséquent autant les employeurs de la province voisine même si la démographie s’avère plus favorable. Avant la mi-2018, l’importance des emplois à pourvoir en Ontario était supérieure à celle du Québec, ce qui n’est plus le cas. Le taux de postes vacants désigne le nombre de postes vacants exprimé en pourcentage du total des postes occupés et vacants.

Certaines régions plus touchées

La population en âge de travailler diminue dans la plupart des régions du Québec, et davantage dans celles plus éloignées des principaux pôles urbains. Les tendances démographiques sont toutefois positives en Outaouais, sur l’île de Montréal et dans les régions périphériques (Montérégie, Laurentides, Lanaudière et Laval). Cela s’explique en partie par l’afflux de jeunes ménages qui viennent s’installer dans la grande région de Montréal pour leurs études ou encore pour commencer leur carrière professionnelle. Plusieurs proviennent des autres régions du Québec ou encore d’ailleurs au Canada, principalement de l’Ontario. L’importance de l’arrivée des immigrants internationaux contribue aussi à la hausse du nombre de personnes âgées entre 15 et 64 ans dans la grande région de Montréal et ses environs, ainsi qu’en Outaouais. La baisse plus prononcée de la population en âge de travailler dans plusieurs régions périphériques comme le Bas-Saint-Laurent, la Côte-Nord et le Nord-du-Québec, ainsi que le Saguenay– Lac-Saint-Jean, a contribué à la diminution rapide du taux de chômage. De plus, les disparités importantes entre les différentes régions du Québec se sont grandement atténuées depuis quelques années, de sorte que la plupart d’entre elles affichent désormais un taux de chômage inférieur à 6 %.

Faute de candidats, plus de 100 000 postes à combler

Un marché du travail aussi serré soulève une problématique d’embauche pour de nombreuses entreprises de la province. Le nombre de postes à combler, c’est-à-dire pour lesquels un employeur cherche activement de nouveaux travailleurs, a grimpé en flèche depuis deux ans. La croissance économique de près de 3 % en 2017 a entraîné une forte création d’emplois, ce qui a épuré le bassin de main-d’œuvre disponible pour l’embauche, multipliant le nombre de postes vacants. La création d’emplois, qui a été moins au rendez-vous l’an dernier, s’explique donc en partie par des facteurs démographiques.

Près de 120 000 postes étaient à pourvoir au Québec au troisième trimestre de 2018, soit presque le double qu’il y a deux ans. Le nombre s’avère élevé sur l’île de Montréal et en Montérégie en raison de la taille de la population. Les régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches affichent aussi de nombreux postes à combler. Le taux de postes vacants est toutefois plus révélateur puisqu’il tient compte du nombre total d’employés dans chacune des régions. En général, il est nettement plus élevé dans les régions ayant un faible taux de chômage. C’est le cas pour Chaudière-Appalaches, l’Abitibi-Témiscamingue, la Capitale-Nationale et la Montérégie.

Fait important, les difficultés d’embauche s’intensifient plus vite dans plusieurs régions de la province qu’ailleurs au pays. Selon Statistique Canada, sept des dix régions économiques avec les taux de croissance de postes vacants les plus élevés au pays sont au Québec (tableau). Même si la progression des postes à pourvoir s’avère moins rapide en Ontario, le niveau est déjà élevé à plusieurs endroits.

Industries les plus touchées

Certaines industries ont des besoins plus criants de main-d’œuvre que d’autres. Au Québec, les quatre secteurs ayant un nombre plus élevé de postes à combler sont l’industrie manufacturière (18 105), l’hébergement et la restauration (13 580), le commerce de détail (13 430) ainsi que les soins de santé (13 240). Étant donné que certains secteurs emploient moins de personnes que d’autres, le taux de postes vacants est plus significatif de la réalité de chacune des industries. Il représente le nombre d’employés recherchés par rapport au total de travailleurs dans cette branche d’activité. Selon cet indicateur, les postes à combler au Québec seraient relativement plus nombreux dans les services d’hébergement et de la restauration (4,7 %), dans le secteur minier (4,2 %) et dans le secteur manufacturier (4,0 %). En Ontario, même si le taux global de postes vacants est identique à celui du Québec, il diffère selon les industries. Celle de l’agriculture et de la foresterie affiche le taux le plus élevé, suivie de l’hébergement et la restauration. Contrairement au Québec, le secteur manufacturier figure beaucoup plus loin dans le classement en Ontario avec un taux inférieur à celui de la moyenne des industries.

Quels sont les profils recherchés?

Au-delà des besoins par industrie, quel niveau de formation est exigé afin de pourvoir les postes disponibles? Au troisième trimestre de 2018, environ le tiers des candidats recherchés au Québec et en Ontario ne devait détenir aucune scolarité minimale et environ le quart devait posséder l’équivalent d’un diplôme d’études secondaires.

Au Québec, presque 30 % des postes vacants demandaient un certificat ou un diplôme non universitaire et seulement 15 %, une formation universitaire terminée. La majorité de postes à combler par les employeurs requiert actuellement un faible niveau de scolarité et peu d’expérience. Ce sont pourtant des postes à temps plein dans environ 75 % des cas. Le niveau des salaires augmente bien entendu avec le degré de scolarité. Au Québec, le salaire des postes exigeant un diplôme d’études secondaires se situe en moyenne à 16,65 $ l’heure comparativement à 32,75 $ l’heure pour ceux qui détiennent un baccalauréat. En tenant compte des avantages sociaux offerts par les employeurs, l’écart de la rémunération globale s’avère sûrement plus élevé.

Conclusion

Même si les difficultés de recrutement de la main-d’œuvre au Québec font régulièrement les manchettes, d’autres provinces, notamment l’Ontario, sont confrontées à une situation semblable. Le taux de chômage avoisine les 5,5 % dans les deux cas et le taux de postes vacants d’environ 3 % est similaire. La croissance économique de près de 3 % en 2017 au Québec a entraîné une forte création d’emplois, ce qui a épuré le bassin de main-d’œuvre disponible pour l’embauche, multipliant le nombre de postes vacants. Celui-ci a atteint près de 120 000 au troisième trimestre de 2018, soit presque le double qu’il y a deux ans. En Ontario, la progression des emplois à combler a été nettement moins rapide. La population de 15 à 64 ans, soit le bassin de main-d’œuvre disponible, continue d’augmenter, ce qui comble en partie le manque d’effectifs. Au Québec, le nombre de personnes en âge de travailler a tendance à fléchir depuis quelques années, accentuant ainsi les problèmes de recrutement. De nombreuses régions du Québec et de l’Ontario affichent une part importante d’emplois à combler, mais le portrait par secteur d’activité est différent. Au Québec, le secteur de l’hébergement et de la restauration, l’industrie minière et le secteur manufacturier sont les plus touchés en tenant compte de la taille de chacune des branches d’activité.

En Ontario, les secteurs agricoles et de la foresterie, puis de l’hébergement et de la restauration s’avèrent plus problématiques. Contrairement au Québec, le secteur manufacturier ontarien affiche un taux de postes vacants inférieur à la moyenne des industries. La restructuration de l’industrie automobile en Amérique du Nord, qui entraîne des fermetures et de nombreuses mises à pied en Ontario, explique sûrement en partie la plus grande disponibilité de la main‑d’œuvre manufacturière. Au Québec et en Ontario, environ 60 % des postes à pourvoir exigent un diplôme secondaire ou encore aucune scolarité minimale. De plus, près de la moitié des postes vacants nécessitent moins d’un an d’expérience. Ce type de profil s’accompagne bien souvent de salaires relativement faibles et de peu de possibilités d’avancement. Les personnes détenant un diplôme universitaire et plusieurs années d’expérience ne représentent à l’inverse qu’une mince part des candidats recherchés. Même si la pénurie de main-d’œuvre touche de nombreuses régions au Québec et en Ontario, la situation diffère selon les industries, le degré de scolarité et le nombre d’années d’expérience. Une détérioration importante de la conjoncture économique pourrait toutefois renverser les tendances. Même si un tel scénario n’est pas prévu à court terme, la remontée du taux de chômage réduirait le taux de postes vacants, et rendrait l’embauche moins problématique pour les entreprises.

Source : Hélène Bégin, économiste principale Desjardins

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