MONTRÉAL – Lors de la dernière campagne électorale, tous les partis ont promis de taxer davantage les géants du numérique. Bien qu’elle soit sur la glace en attendant le dénouement des pourparlers à l’OCDE, l’idée alimente toujours le débat public et risque d’être adoptée d’une manière ou d’une autre. Une publication lancée aujourd’hui par l’IEDM montre toutefois que les GAFA ont été imposées de façon semblable ou supérieure aux grandes entreprises canadiennes, et que ce sont les consommateurs et l’économie canadienne en général qui feront les frais d’une telle politique.
« On entend parfois que les GAFA profitent d’un traitement fiscal plus favorable que les grandes entreprises canadiennes, mais c’est faux », dit Peter St. Onge, coauteur de la publication. Loin d’échapper à l’impôt, elles sont imposées de façon significative, avec un taux sur leurs profits de 24 % depuis dix ans. Les chiffres montrent que ce sont les entreprises canadiennes qui ont été favorisées par rapport aux entreprises américaines dans un passé récent.
Rappelons que l’engagement électoral d’octobre 2019 du Parti libéral était d’imposer à hauteur de 3 % le chiffre d’affaires des géants du numérique réalisé au Canada, notamment celui de Google, Amazon, Facebook et Apple.
Ce sont les consommateurs et les entreprises canadiennes qui vont payer la facture, rappelle Peter St. Onge. Les grands acteurs mondiaux peuvent reporter l’essentiel du coût d’une telle taxe sur leurs clients et leurs partenaires commerciaux. « En France, où une taxe similaire a été imposée en 2019, une évaluation a montré que seulement 5 % de la charge totale liée à la nouvelle taxe sera supportée par les grandes entreprises du numérique. Plus de la moitié (55 %) sera supportée par les consommateurs, et 40 % par les entreprises utilisant les plateformes numériques », illustre-t-il.
D’ailleurs, le 1er octobre dernier, Amazon a augmenté ses commissions en France afin de compenser le coût de la taxe numérique française. On peut donc s’attendre à ce que les entreprises américaines adaptent leurs services et leurs prix en fonction d’une éventuelle taxe canadienne.
Également, taxer le chiffre d’affaires d’une entreprise est une mauvaise idée, selon la plupart des économistes. « Les taxes sur le chiffre d’affaires sont calculées sur l’ensemble des activités d’une entreprise, que celles-ci soient profitables ou non. Une telle taxe pourra donc rendre une entreprise déficitaire », souligne Gaël Campan, collaborateur à la publication.
En 2016, treize entreprises canadiennes actives dans le numérique présentaient des revenus annuels supérieurs à 1 milliard $ (le seuil d’application de l’éventuelle taxe), tandis que 46 autres présentaient des revenus s’élevant entre 500 millions et 1 milliard $, selon un rapport récent du gouvernement fédéral. Ces entreprises pourraient éventuellement être soumises à la taxe et voir leur profitabilité diminuée ou anéantie.
De plus, la baisse récente de l’impôt des entreprises aux États-Unis a éliminé l’avantage dont profitaient les entreprises canadiennes. L’enjeu pour le Canada n’est donc pas l’instauration d’une taxe compensant le prétendu avantage fiscal de certaines entreprises, mais bien de préserver la compétitivité de son économie. « En fait, s’il y avait une question à poser, c’est pourquoi l’Europe et le Canada n’ont pas réussi à engendrer leur part de grands joueurs du numérique? L’absence de réaction d’Ottawa face aux baisses d’impôt américaines montre que certaines leçons n’ont pas été apprises », estime Gaël Campan.
« Taxer davantage les géants du web risque d’entraîner des conséquences dont il est difficile de mesurer l’étendue. Dans sa forme proposée actuellement, il s’agira d’une taxe de plus à payer pour les contribuables, qui changera peu de choses au portrait général. Elle pourrait même entraîner une diminution de la qualité des services que des millions de consommateurs apprécient et qu’ils consomment tout à fait volontairement », conclut Peter St. Onge.
Le Cahier de recherche intitulé Imposition des géants technologiques : pourquoi le Canada ne doit pas suivre le contre-exemple français est signé par Nicolas Marques et Peter St. Onge, avec la collaboration de Gaël Campan. M. Marques est chercheur associé à l’IEDM, tandis que MM. St. Onge et Campan sont tous deux économistes seniors à l’IEDM. Cette publication est disponible sur notre site.
À propos
L’IEDM est un think tank indépendant sur les politiques publiques qui compte des bureaux à Montréal, Calgary et Paris. Par ses publications, ses apparitions dans les médias et ses services consultatifs aux décideurs politiques, l’IEDM stimule les débats et les réformes des politiques publiques en se basant sur les principes établis de l’économie de marché et sur l’entrepreneuriat.