SAGUENAY – Les États-Unis imposeront des tarifs douaniers sur l’aluminium et l’acier en provenance du Canada, du Mexique et de l’Union Européenne dès minuit, demain [01-06-2018 NDLR]. Ces pays bénéficiaient jusqu’alors d’une exemption sur les taxes décrétées en mars.
Le Canada, le Mexique et l’UE devront désormais se soumettre à des droits d’importations de 10 % pour les produits d’aluminium et de 25 % pour l’acier. Le secrétaire américain au commerce, Wilbur Ross, aurait justifié l’imposition des tarifs pour le Canada et le Mexique par le fait que la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) prenait plus de temps que souhaité.
L’annonce a suscité une levée de boucliers dans les milieux politiques et économiques canadiens. Le gouvernement canadien a annoncé son intention d’imposer des contre-mesures envers les États-Unis. « Soyons clairs : ces tarifs douaniers sont inacceptables. […] Ces tarifs douaniers nuiront aux industries et aux travailleurs des deux côtés de la frontière canado-américaine et perturberont les chaines d’approvisionnement qui ont rendu de l’acier et de l’aluminium nord-américains plus compétitifs à travers le monde. De plus, ces tarifs sont un affront au partenariat de longue date en matière de sécurité entre le Canada et les États-Unis et, en particulier, aux milliers de Canadiens qui se sont battus et qui ont péri aux côtés de leurs compagnons d’armes américains », a déclaré le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, jeudi après-midi.
Les contre-mesures prendront effet le 1er juillet 2018 et inclueront « des surtaxes, ou d'autres mesures similaires visant à restreindre le commerce, sur des importations d'acier, d'aluminium et d'autres produits provenant des États-Unis et ce à un montant allant jusqu'à 16,6 milliards de dollars canadiens. Ce montant représente le total des exportations canadiennes en 2017 d'acier et d'aluminium vers les États-Unis », peut-on lire dans un texte du ministère des Finances du Canada. Les listes de produits visés doivent encore être peaufinées, mais les taxes imposées seront similaires à celles des États-Unis, soit 25 % ou 10 % selon les produits.
À l’Assemblée nationale, le premier ministre Philippe Couillard, de même que plusieurs députés, ont aussi critiqué sévèrement les tarifs imposés par les États-Unis, selon les propos rapportés dans différents médias québécois. À la Chambre des communes également, les critiques ont été vives, toujours selon les informations dévoilées par les médias nationaux. Dans un communiqué, le Conseil du patronat du Québec (CPQ) a qualifié la décision d’« injustifiable ».
Impacts négatifs
Selon l’Association de l’aluminium du Canada (AAC), la décision du gouvernement américain aura des impacts négatifs sur la chaîne de valeur intégrée de l’aluminium en Amérique du Nord. « Les consommateurs et les entreprises qui approvisionnent les consommateurs américains souffriront lorsque les prix augmenteront en raison de ces tarifs, ce qui nuira à la compétitivité de toute l'industrie nord-américaine de l'aluminium. Les États-Unis devraient se concentrer sur le véritable problème, soit la surcapacité de la Chine », a déclaré, par voie de communiqué, le président et chef de la direction de l’AAC, Jean Simard.
Cette opinion est partagée par la Fédération des chambres de commerces du Québec (FCCQ). « Ces surtaxes constituent une menace pour l'économie du Québec, du Canada et des États-Unis eux-mêmes. En plus de nuire à la compétitivité des entreprises d'ici, de nombreux produits achetés par les consommateurs américains subiront les conséquences de cette hausse des tarifs douaniers », a affirmé Stéphane Forget, président-directeur général de la FCCQ, un position à laquelle se range également la Chambre de commerce et d'industrie Saguenay-Le Fjord (CCISF).
De son côté, l’Union des municipalités du Québec craint les impacts négatifs pour l’économie québécoise, particulièrement dans les régions où la production d’aluminium primaire est importante, comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean et la Côte-Nord. « Plus de 30 000 emplois dépendent de l'industrie de l'acier et de l'aluminium au Québec et contribuent à une occupation dynamique du territoire, dans toutes les régions. Il est essentiel que le gouvernement fédéral intervienne rapidement et vigoureusement auprès de l'administration Trump pour dénouer ce nouveau conflit commercial dont nos régions auraient pu se passer, après la crise du bois d'œuvre et du papier journal et d'imprimerie », a indiqué le président de l'UMQ et maire de Drummondville, monsieur Alexandre Cusson.
Le président de la CCISF, Carl Côté s'inquiète aussi de l'incidence sur l’industrie de l’aluminium dans la région, vu son importance pour le Saguenay-Lac-Saint-Jean . « La situation est préoccupante pour la région. Je pense à Rio Tinto mais également à l’industrie qui gravite autour de l’aluminium, c’est-à-dire nos PME qui transforment l’aluminium produit dans nos usines. Plusieurs n’auront pas la capacité de faire face à une hausse de prix. Le gouvernement doit soutenir l’industrie et demander une exclusion pour le Canada », a-t-il indiqué.
Partenaire essentiel
La FCCQ rappelle que le Canada est un partenaire essentiel pour les États-Unis dans les secteurs de l’acier et de l’aluminium, précisant que les neuf alumineries québécoises produisent annuellement près de 3 millions de tonnes d'aluminium, soit 90 % de la production canadienne. Elles exportent environ 5 milliards de dollars d'aluminium sous forme brute chaque année en direction des États-Unis, soit environ 9 % des exportations totales au sud de la frontière.
L’AAC indique pour sa part que le tarif de 10 % imposé sur ces 5,6 G$ d’exportations canadiennes d’aluminium primaire vers les États-Unis ferait augmenter de plus de 500 millions de dollars les coûts de l'industrie américaine de la transformation. Selon HARBOR Aluminum, un analyste indépendant de l'industrie, un tarif global de 10 % pourrait impacter négativement entre 45 000 et 90 000 emplois directs dans le secteur manufacturier.
Mauvaise volonté
Le CPQ croit que la stratégie de l’administration Trump n’est pas une manière respectable de traiter ses partenaires économiques ni d’encourager la renégociation mutuellement avantageuse de l’ALENA. «Ceci démontre clairement le manque de volonté de la part de nos voisins du Sud à comprendre l'importance de garder un dialogue ouvert et constructif avec tous ses partenaires commerciaux ainsi que l'impact d'une telle décision sur l'économie des deux pays», a mentionné Yves-Thomas Dorval, président-directeur général du CPQ. «Un accord aussi important pour l'économie de trois pays comme l'ALENA ne devrait pas être pris en otage de cette façon et le comportement de l'administration des États-Unis est tout simplement inacceptable.»
Le CPQ encourage le gouvernement canadien à maintenir ses positions en faveur des entreprises du pays et à prendre tous les recours nécessaires. De son côté, L’AAC s'engage à travailler avec ses clients en Amérique du Nord pour assurer un approvisionnement fiable en aluminium et atténuer les conséquences des taxes commerciales imposées par les États-Unis, tout en affirmant que l’administration américaine devrait reconsidérer ses décisions.