Lettre ouverte

Par Yves-Thomas Dorval, Adm.A., ASC, ARP
Président-directeur général, Conseil du patronat du Québec

Il est difficile de faire la part des choses dans un débat émotif, surtout lorsque cela concerne l’avenir de milliers de travailleurs et de leur famille ainsi que, avouons-le, des investissements importants faits par l’ensemble des Québécois (avec des retombées aussi importantes).  C’est le cas qui occupe présentement Bombardier, qui a posé un autre jalon crucial de son plan de redressement sur cinq ans (2015-2020) impliquant des réductions de coût significatives au Québec et dans le monde, la vente de son programme Série Q ainsi que de sa division de formation. 

En fait, il est toujours délicat de penser au futur d’une compagnie quand c’est le futur des travailleurs qui est en jeu.

Cependant, la taille des défis auxquels fait face Bombardier, joyau québécois, impose un regard à plusieurs milliers de pieds d’altitude pour mieux en saisir l’ensemble. En réalité, les phases précédentes d’investissements massifs en recherche et développement sont maintenant complétées et l’entreprise doit prendre un nouveau cap afin d’assurer sa pérennité. Souhaitons que le repositionnement actuel de la compagnie réussisse afin qu’elle puisse reprendre son vol longue distance.

Notre secteur aéronautique est un maillon essentiel de notre économie, qui crée des emplois hautement rémunérés pour tout le monde, attire des investissements et alimente les exportations. Effectivement, 50% des activités de cette industrie au pays sont réalisées au Québec ce qui a généré 14,4 milliards de dollars en vente pour l’année 2017. De cette production, 80% sont exportées contribuant ainsi à la promotion du savoir-faire canadien. Dans notre contexte économique en croissance, les travailleurs actuels et à venir pourront heureusement profiter d’un bassin d’emplois disponibles intéressants, à cause des besoins criants de main-d’œuvre de ce secteur.

Cependant, l’aéronautique canadienne n’est pas à l’abri des vents de la compétitivité mondiale, où la concurrence est farouche. La nécessité de se recentrer dans les secteurs qui représentent le plus d’opportunités constitue le nerf de la guerre en ce moment crucial. À cet effet, il faut reconnaître que l’expertise québécoise acquise dans ce domaine a été tributaire en bonne partie des efforts déployés par Bombardier au cours des ans en matière de recherche et développement. Au cours des six dernières années, la compagnie avait investi 12 milliards de dollars en recherche et développement, stimulant ainsi des innovations qui ont porté la marque canadienne partout dans le monde.

Bombardier emploie à elle seule 21 000 personnes au Canada et 70 000 partout dans le monde. Son réseau de 1 200 fournisseurs et partenaires tire profit de plus de 2 milliards de dollars de commandes de la compagnie. Ceux-ci sont avantagés par les rapports qu’ils entretiennent avec ses activités mondiales et les efforts incessants qu’elle met sur l’innovation.

On comprendra que, comme actionnaires importants au sein de Bombardier, les Québécois sont aussi très sensibles à toutes les décisions prises par la compagnie – certaines ont créé des avancées formidables, d’autres ont créé des remous et les dernières comportent des repositionnements nécessaires. Cependant, comme actionnaires, comme clients, comme employés, comme fournisseurs, comme collectivité, nous avons tous intérêt à ce que ce pilier de l’économie québécoise puisse réussir la prochaine phase de consolidation. Bombardier était dans une position financière précaire en 2015. C’est pourquoi il faut analyser les récentes décisions, sans complaisance, mais aussi avec une compréhension quant aux enjeux incontournables auxquels l’entreprise fait face et de la direction qu’elle doit emprunter. Il en va de nos intérêts à tous.

 Enfin, Bombardier n’est pas qu’une compagnie aéronautique : c’est aussi une grande entreprise en transport sur rails et tout un écosystème qui gravite autour de ces deux vecteurs de prospérité. Bref, il faut considérer l’ensemble, avec une vue du haut des airs, mais aussi, avec les deux pieds bien ancrés sur terre.