Auteur

Maxime Hébert-Lévesque

Dossier sur la pomme de terre au Saguenay-Lac-Saint-Jean

SAGUENAY – Le Saguenay–Lac-Saint-Jean fait partie des trois principales régions productrices de pommes de terre au Québec. Deux grands joueurs évoluent sur notre territoire : la coopérative Patate Lac-Saint-Jean et Québec Parmentier. Tour d’horizon sur une industrie qui doit composer avec les aléas de dame nature, la sélection génétique et les nouvelles réalités du marché de l’agroalimentaire.

Au Québec, en 2017, la production était estimée à 600 000 tonnes par an et plus de 600 entreprises s’y affairaient sur l’ensemble de la chaîne de valeur, de la ferme à la table. Notre région ainsi que la Capitale-Nationale et Lanaudière étaient responsables de 58 % de la production de pomme de terre. Sur notre territoire, il n’y a que trois entreprises qui se spécialisent dans la transformation : Dufour et fils Ltée à Jonquière, Légupro Inc à Saint-Ambroise et Fritolac d’Alma. Ce nombre est peu élevé, mais il demeure représentatif à l’échelle provinciale puisque le Québec transforme peu et se consacre davantage sur le marché du produit frais, qui représente plus de 50 % de sa production. Toutefois, on note une augmentation pour le marché du prépelage, entre autres, destiné à la fabrication de frites, qui a le plus progressé en 10 ans, passant de 20 millions de dollars en 2008 à 31 millions de dollars en 2017.

Une consommation en décroissance

Bien que la pomme de terre soit le légume préféré des consommateurs en Amérique du Nord — elle représente plus du tiers de toutes les ventes de légumes — on remarque une diminution de 22 % de sa consommation par les ménages au cours des 10 dernières années. Une situation inquiétante pour Québec Parmentier, dont sont actionnaires plusieurs entreprises de la région comme la Ferme productions Rivard, la Ferme Gaston Bouchard et Fils, Production des Chutes, la Ferme Rodrigue Rivard et Fils, la Ferme Bilodeau et la Ferme HP Gagnon et Fils. « Les régimes de type “3 P” (Pain, Pâte, Patate) qui clament haut et fort, et à tort, que manger des patates, ce n’est pas bon pour la santé, ont participé à mettre à mal sa consommation », explique Audrey Boulianne, directrice générale de Québec Parmentier, qui ajoute toutefois que ce n’est pas l’unique raison.

L’enjeu de la mise en marché

« La mise en marché a peut-être souffert de négligence. Pendant longtemps, les pommes de terre ont été présentées dans de grosses poches brunes à l’épicerie. Une image peu attrayante si on la compare à d’autres produits en supermarché. Surtout avec l’arrivée de nouveaux aliments comme les riz et les couscous, qui sont des féculents concurrents. De plus, la patate est souvent vendue en trop grande quantité pour les besoins des familles qui sont de moins en moins nombreuses », lance la directrice générale de Québec Parmentier. Dans les dernières années, l’entreprise et sa filiale Propur, qui s’occupent notamment de la gestion de l’usine d’emballage Légupro à Saint-Ambroise, travaillent à redorer l’image de la pomme de terre.

« L’idée est de trouver la meilleure destination pour chaque pomme de terre produite : le marché du frais, celui de la transformation ou encore celui de la semence. Toutefois, ce sont les caprices de dame nature qui demeurent le plus grand défi dans la commercialisation. D’une année à l’autre, tout change. Depuis cinq ans, nous vivons des saisons sèches et c’est catastrophique sur la production. On récolte une fois par année et donc on ne vend qu’une fois. Il est donc primordial que le produit soit très près de la demande. »

La génétique à la rescousse !

Puisque l’offre et la demande règnent en maître sur l’étal des épiciers, les producteurs de pommes de terre de table n’ont pas le choix de revoir le produit. Une des solutions, selon la DG, repose sur le développement de manipulations génétiques pour développer des variétés qui répondront au désir du consommateur. « La première étape consiste à sélectionner des variétés qui ont un goût intéressant ainsi qu’une belle apparence et de les combiner avec des variétés qui ont des résistances aux maladies et à la sécheresse. Cette étape s’effectue grâce à notre programme de développement privé. Par la suite, on teste au champ les nouvelles variétés et lorsqu’elles correspondent à nos attentes, on conserve les plantules in vitro et on commence la mise en terre en zone isolée dans la région de Baie-Comeau. Six années s’écouleront ensuite avant d’arriver à l’étape de la commercialisation. Cette transformation nous a permis de mettre en marché une patate avec une pelure plus mince qui n’exige pas qu’on l’épluche avant la consommation. Un produit qui connaît une certaine popularité auprès des jeunes familles qui disposent de peu de temps pour la préparation des repas, » confie Audrey Boulianne.

La pomme de terre de semence

De son côté, Patate Lac-Saint-Jean est une coopérative composée de cinq entreprises évoluant dans l’industrie de la pomme de terre. La raison d’être de l’entreprise est de s’occuper de la mise en marché et de l’emballage des produits de ses membres. Si sa mission et son rôle peuvent ressembler de près à celui de Québec Parmentier, il se distingue du fait que la coop ne brigue pas le marché de la pomme de terre de table. En effet, son domaine d’activité se situe plutôt dans la production et le commerce de la semence. « Nous produisons environ 55 millions de livres par année et nous avons un chiffre d’affaires entre 10 à 15 M$. Plus de 70 % de nos récoltes sont destinés pour la semence et les surplus pour le marché de table, mais ce n’est pas notre créneau. La semence est une pomme de terre qui doit être certifiée par des programmes gouvernementaux et qui répond à des critères de calibre, de résistance contre les maladies et de performance aux champs. Sa culture est plus exigeante, car elle nécessite de contrôler plusieurs paramètres. De plus, elle ne peut pas pousser partout. Sa culture doit se trouver dans une zone accréditée par le MAPAQ. Dans la région, le secteur désigné s’étend de Péribonka jusqu’à Saint-Méthode et il existe aussi un autre endroit dans le coin de Saguenay », expliquent Annie Bouchard, directrice générale adjointe, et Frédéric Tremblay, coordonnateur aux développements des affaires chez Patate Lac-Saint-Jean.

La semence est vendue aux fermes et aux producteurs qui la plantent, la cultivent et la revendent sur d’autres marchés. Patate Lac-Saint-Jean est donc un fournisseur de matières premières qui comme pour le producteur de marchés frais, doit se soucier de proposer des produits adaptés à la demande. Pour y arriver, l’entreprise, qui possède 2500 acres de terres agricoles, travaille en collaboration avec des centres de recherche de la région, mais aussi avec des universités américaines.

Le Lac-Saint-Jean, un véritable laboratoire

« Nous travaillons parfois avec Agrinova, mais c’est plutôt rare. Ça marche par période. Nous participons avec eux sur un programme d’entreposage, mais sans plus. Nos principaux partenaires demeurent Agriculture Canada et les universités américaines du Texas, du Michigan et de l’État de New York. Celles-ci développent des variétés résistantes aux climats arides ou pluvieux. Également, nous sommes sur un projet depuis deux ans avec l’UQAC pour développer une espèce résistante à la gale, une maladie commune de la patate. Notre travail consiste à propager leurs espèces, les tester et observer comment elles évoluent et si elles réussissent les examens, elles peuvent être commercialisées », précise Frédéric Tremblay. Chaque année, Patate Lac-Saint-Jean introduit plus de 100 nouveaux clones et, sur ce nombre, une trentaine réussit à se qualifier pour la commercialisation. Puisque les zones de production sont réglementées par le MAPAQ, les essais ne s’effectuent pas dans le secteur de Péribonka, mais plutôt à Métabetchouan–Lac-à-la-Croix chez l’entreprise Les Maraîchers Potvin.

La recherche, c’est payant

Lorsqu’une variété proposée par un partenaire ou un client traverse la batterie de tests sans accroc et que les résultats sont jugés positifs, la coopérative s’en trouve gagnante. « Nous avons un droit de regard sur le nom. La Red Maria, la Péribonka et prochainement la Maria Gold sont toutes des variétés auxquelles nous avons travaillé et que nous avons baptisées. Nous choisissons toujours un nom qui a rapport au territoire. Nous nous retrouvons souvent avec l’exclusivité pour la mise en marché. Cela veut dire que nous sommes les seuls à posséder et commercialiser certaines espèces. Ça ouvre des opportunités d’affaires très intéressantes et notre territoire de vente s’en retrouve agrandi. Présentement, nous couvrons l’Ontario jusqu’aux Maritimes ainsi que toute la côte Est des États-Unis. D’ailleurs, nous avons livré tout récemment une cargaison en Floride. La prochaine étape serait de viser les marchés la côte Ouest américaine, l’enjeu est gros et les producteurs là-bas sont friands d’espèces qui se démarquent. Toutefois, les coûts de transports sont exponentiels et nous hésitons pour cette raison », expliquent les deux gestionnaires de la coopérative.

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