N.D.L.R. : Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : « La main d'oeuvre, la clé de notre prospérité » publié dans notre édition du mois d'août.
SAGUENAY – Spécialiste en droit du travail et conseiller en relations industrielles depuis 25 ans, Me Sylvain Bouchard du cabinet Gauthier-Bédard avoue que la crise du COVID-19 a apporté son lot de questionnements, changements et inquiétudes chez les employeurs et les travailleurs.
En premier lieu, la notion du télétravail qui existe depuis longtemps qui était très peu utilisé dans la région a nécessité beaucoup de changements dans la relation patron-salarié. « Ça transpose l’activité du travail qui, traditionnellement est exercée chez l’employeur vers le domicile du salarié. Quand c’est déjà régi par un contrat de travail, une convention collective ou une entente, ce n’est pas si pire, car il y a des modalités qui s’appliquent. Et lorsque ce ne l’est pas, ça amène plusieurs questionnements et ajustements et dans certains cas, on tombe dans des flous sur le plan juridique. On sait toutefois qu’au cœur de la relation d’emploi, il y a la subordination juridique qui est le principe que le salarié se place sous le contrôle de l’employeur pour exécuter le travail. C’est reconnu juridiquement, c’est le principe de base qui fait en sorte que lorsqu’il est au travail, le travailleur n’engage pas sa responsabilité, mais celle de l’employeur », souligne Me Bouchard dans un premier temps.
Épauler les employeurs
Avec le télétravail ou le travail à distance, comment peut-on contrôler l’activité du travail (la qualité et la quantité) sans être intrusif dans la vie du travailleur qui est habituellement encadré dans des plages horaires. « D’habitude, il faut que ça soit fixé et c’est cela qu’on a fait au printemps, et ce, en toute vitesse pour les organisations pour lesquelles ce n’était pas prévu. Mon travail a consisté à ce moment-là à épauler les employeurs pour préciser les balises de l’activité du travail quand il devait se faire à distance. Parce qu’on sait que lorsque le salarié est au travail, il engage la responsabilité de l’employeur. Il peut aussi se blesser, par exemple, encore faut-il que ça soit dans le cadre de son travail. De là, la nécessité même de préciser quand ils le sont. Peut-être que le salarié encourt un risque qu’il ne devrait pas. Il y a aussi les lésions psychologiques. Quand est-ce qu’on travaille ou pas quand on n’est pas à l’établissement de l’employeur ? »
Bien d’autres problématiques
Toujours selon Me Bouchard, il y a bien d’autres problématiques qui sont apparues avec la situation de la pandémie. Par exemple, il y a l’exercice du droit de refus qui est reconnu en vertu de la loi sur la santé et la sécurité du travail quand il y a une menace réelle pour la santé ou la sécurité du travailleur.
« Habituellement, c’est rarement exercé, car lorsqu’il y a un risque réel, on met le travail sur pause et on fait appel à un inspecteur de la CNESST pour juger s’il y a danger ou pas. Au printemps, c’était complètement différent avec des travailleurs qui ont eu des craintes et des peurs de la COVID, un virus inconnu pour tout le monde. Il y a eu énormément d’exercices de droit de refus d’exécuter un travail qui ont nécessité un certain nombre de procédures administratives. Ça a donné lieu aussi à la révision de l’ensemble des politiques de santé et sécurité au travail dans plein de milieux de travail et aussi de nouvelles parce que ce n’était pas prévu.
« Au fur et à mesure, la pensée gouvernementale a évolué au fil du temps. À la fin, il faut que ce soit le travailleur qui soit à risque ou pas et non un proche. Au début, c’était plus large, car ça incluait aussi les membres de la famille de la résidence. Pour les employeurs qui faisaient face à des refus de rentrer au travail d’employés pour des raisons qu’ils leur appartenaient et qui décidaient de se prévaloir de la PCU, je leur conseillais d’émettre un relevé d’emploi comme quoi cette personne refuse son rappel au travail. Il n’appartient pas à l’employeur de décider si la personne peut continuer à toucher la PCU ou l’assurance-emploi ou d’autres indemnisations. C’est l’organisme qui indemnise qui gère la situation avec le bénéficiaire des prestations », explique l’homme de droit.
Retraites anticipées
Autre phénomène relié à la pandémie observée par le spécialiste en droit du travail, c’est la prise de retraite prématurée. Selon lui, il y a plusieurs travailleurs à qui il restait de 18 mois à deux ans de travail qui ont précipité leur départ à la retraite. « Mes associés en droit corporatif ont aussi connu en actionnariat des gens qui avaient fait des plans pour se retirer au cours des prochaines années et là, ils ont finalement décidé de vendre leurs actions et de se retirer. »
Compréhension et des mesures disciplinaires
En général, Me Sylvain Bouchard constate que les gens, travailleurs et employeurs, font preuve d’une grande compréhension et veulent que ça marche tout en évitant de se mettre à risque. « C’est sûr qu’il y a eu des endroits avec des rappels à l’ordre et il s’en est donné des mesures disciplinaires. Mais ce n’est pas ce qui a été la majorité des interventions, pas du tout. On a appris au fur et à mesure. Les seules expériences de contamination que nous avions à plus petite échelle étaient les phénomènes de la H1N1 et le SRAS. On est toujours dans l’instabilité, dans quelque chose d’un peu précaire, mais on n’est plus dans l’inconnu. On a des outils. On connaît la période d’isolement, les moyens de protection individuels qu’on peut prendre, comment protéger les usagers et les clients, comment aménager le télétravail, alors là on est installé. « Ce n’est toujours pas confortable, mais on sait quoi faire. Notre bureau a aussi publié un guide à l’intention des employeurs que l’on a mis à jour à cinq reprises jusqu’ici », de conclure l’avocat qui est également administrateur au Conseil du patronat du Québec (CPQ).