SAGUENAY – « On est moins libres qu’on le pense et le marketing est plus efficace qu’on le pense. » C’est la conclusion que tire le professeur de marketing à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), Damien Hallegatte, dans son plus récent ouvrage : La consommation, ou les noces de l’humanité et du marché.
Spécialisé en comportement du consommateur, M. Hallegatte offre dans cet essai une réflexion critique destinée à informer le grand public. « Mon ambition, c’est de nourrir la réflexion des autres, mais sans jamais leur imposer une façon de penser. Je ne donne pas de conseils et je ne fais pas la promotion d’une manière de vivre ou de consommer », affirme-t-il d’entrée de jeu.
Selon lui, e consommateur est moins libre en raison de la pression sociale, du contexte mis en place dans notre société qui pousse à la consommation. Il donne l’exemple du boulevard Talbot, où, d’un bout à l’autre, « on ne voit que des grands stationnements remplis de voitures, des magasins, des restaurants, des affiches publicitaires. »
« Théoriquement, on est libres de faire ce qu’on veut. Mais dans la réalité, si on ne consomme pas les bonnes choses, on peut avoir l’air pauvre ou radin. […] Je vois des gens qui disent vouloir moins consommer, mais qui, dans le quotidien, n’y arrivent pas à cause de la pression, de la volonté de bien paraître ou de ne pas pouvoir contrôler ses propres envies », résume le professeur.
Le marketing nous gouverne
L’auteur considère que la plupart des gens sous-estiment l’efficacité des techniques de marketing. « Ça va au-delà de la persuasion et de la séduction. Celles-là sont perceptibles. Mais le marketing nous gouverne aussi. C’est-à-dire qu’il met en place un contexte pour rendre certains comportements plus probables. […] Ces techniques de gouvernement, on ne les perçoit pas », explique-t-il.
Damien Hallegatte illustre ce gouvernement du marketing par l’exemple des centres commerciaux. « Tout est conçu dans le centre commercial pour nous mettre dans un esprit de consommateur. [...] Quand on est assis, on ne fait que voir des magasins et des gens avec des sacs d’achats devant nous. Même l’endroit où on mange, il n’est pas confortable. Il est conçu pour qu’on mange, qu’on recharge nos batteries et que l’on continue à aller consommer. » Il mentionne également les programmes de fidélisation. « Ils nous incitent à regrouper nos achats dans certains magasins, à acheter plus d’une quantité de quelque chose pour avoir une réduction, à acheter certains produits. [...] Ça nous fait faire quelque chose, mais on n’est ni séduits ni persuadés », estime M. Hallegatte.
Interdire la publicité
Pour M. Hallegatte, on a beau prendre conscience des techniques de marketing qui nous influencent, le système en étant saturé, c’est insuffisant pour s’en libérer complètement. Selon lui, l’amélioration des choses passe par le domaine politique. « Si on veut réduire l’influence de la publicité, il faut l’interdire. C’est impossible d’essayer sur un plan individuel de régler les problèmes et de résister à quelque chose d’irrésistible », croit-il.
L’auteur se dit conscient que son propos lance un pavé dans la mare pour la communauté d’affaires, mais ne pense pas que sa vision soit complètement aux antipodes. « Je comprends qu’un entrepreneur veuille communiquer ce qu’il a à offrir et c’est dans l’intérêt des consommateurs d’être informés de ce qu’il y a sur le marché. Et si on interdit la publicité, les activités culturelles et sportives, les médias, comment on les finance? Il y a une vraie question qui se pose. Je n’ai pas toutes les réponses, mais on pourrait imaginer qu’il y ait des formes de communications commerciales qui soient de l’ordre du strictement informatif », propose-t-il, rappelant que cela se fait déjà pour les cigarettes ou le cannabis.
Si son essai est destiné aux consommateurs, en tant qu’enseignant qui s’adresse aussi à des étudiants de MBA, le professeur comprend bien toute la complexité des enjeux que soulève sa critique pour les gens d’affaires. « C’est facile entre consommateurs de se dire on fait ci ou ça, on réduit la consommation. Mais alors il y a l’impact de la décroissance, les REER, les fonds de pension, les emplois et tout le reste. Je n’ai pas la prétention de régler tout ça. […] Mon discours ne va pas à l’encontre de la logique entrepreneuriale. C’est possible d’avoir des commerces efficaces, des produits extraordinaires et des innovations dans des environnements qui ne stimulent pas la demande. »
Pas de l’écologie
Dans ses réflexions, Damien Hallegatte se distingue complètement de l’approche écologique, qui marque principalement les discours publics au cours des dernières années. « On critique la consommation par ses conséquences environnementales. Ces conséquences sont épouvantables, je ne le nie pas. Mais moi, ce que je dis, c’est que la façon dont on consomme actuellement est absurde même pour nous-mêmes, individuellement. »
M. Hallegatte reconnaît que les produits responsables ont un impact écologique moindre. Toutefois, il considère que le problème demeure le même. « Responsable, ça permet juste de te sentir moins coupable et de continuer à consommer. Ça ne change rien au fait que l’objet est important dans ta vie, que la consommation est importante. L’achat responsable, il y a aussi du bien-paraître dedans. […] On est gouvernés. On l’est tous », conclut-il.