Il y a de ces visionnaires qui ont un impact significatif sur leur communauté, mais qui ne font pourtant pas souvent les manchettes. André Boily, le directeur général de la SADC du Haut-Saguenay, est de cette catégorie. Cet homme, qui dirige les destinées de l’organisation depuis plus de trente ans, est un véritable apôtre du développement durable (DD). C’est sa mission, presque sa raison de vivre. De son bureau de Saint-Ambroise, il s’est fixé un objectif ambitieux d’ici à l’étape de sa retraite : amener les PME du Québec à la bourse du carbone. À partir de Saint-Ambroise… Rien de moins!
Bien entendu, André Boily a toujours eu l’appui de son conseil d’administration et des membres de son équipe. Et il le fallait, puisque le chemin a été long pour arriver à donner cette couleur à la SADC-HS. En fait l’orientation DD de l’organisme a débuté en 2005. À cette époque, de nombreux intervenants économiques avaient comme objectif d’appuyer financièrement les entreprises en privilégiant des services similaires. C’est à ce moment qu’André Boily a initié la réflexion d’offrir une différence aux PME de la MRC du Haut-Saguenay. En 2008, après s’être doté d’une vision stratégique ainsi que d’un plan d’action, tout en s’appuyant sur l’expertise d’une éco-conseillère, la SADC-HS s’est lancée dans l’aventure du développement durable.
Ce qui est intéressant dans l’approche d’André Boily, c’est qu’il a toujours vu le DD comme une fenêtre d’opportunités d’affaires pour les PME de sa zone d’influence. Quoi de mieux que de joindre l’utile à l’agréable en amenant les entreprises à être de meilleurs citoyens corporatifs tout en sauvant de l’argent? Il concède toutefois que, dans les premières années de sa démarche, il s’est souvent rendu compte que tout concept qui comprenait le mot environnement avait mauvaise presse auprès des entrepreneurs.
Pour ceux-ci, la démarche représentait, à priori, davantage un potentiel de dépenses ou de contraintes qu’un investissement. Il fallait donc sensibiliser et convaincre. Qu’à cela ne tienne, notre homme a persévéré et, aujourd’hui, la SADC-HS peut s’enorgueillir d’avoir accompagné une soixantaine de PME dans un processus de développement durable sur le territoire de la MRC du Haut-Saguenay, sans compter la mise en place de plusieurs projets de Zones durables dans les parcs industriels des municipalités rurales. Et ça continue.
Bien entendu la SADC-HS continue également d’offrir les services d’accompagnement et de financement pour les projets de développement conventionnels des entreprises qui frappent à la porte de l’organisme. Toutefois, André Boily consacre beaucoup d’efforts et de temps à un projet novateur, porteur d’un potentiel d’affaires de grande ampleur pour les entreprises de chez-nous et d’ailleurs au Québec: leur permettre de profiter de la bourse règlementée du carbone et, du même coup, leur assurer une place à la même table que les grandes entreprises dans la stratégie mondiale de lutte aux changements climatiques. Et, à la clé, des revenus très intéressants pour nos organisations.
Mais avant tout, il faut leur faire tâter le marché volontaire des crédits carbone (CC). Il s’agit d’un système où de grandes corporations, considérées comme de petits émetteurs de dioxyde de carbone (moins de 25 000 tonnes/an) décident « d’acheter » auprès de petites et moyennes entreprises ces unités de CC, dans le noble but de supporter la cause de la réduction des gaz à effet de serre (GES). Ils offrent ainsi de l’argent aux PME qui réalisent des projets de réduction de GES et, du même coup, se donnent une bonne image publique. Et ça marche. D’ailleurs, en 2016, sept entreprises de la MRC du Haut-Saguenay ont reçu un total de 24 000$ pour la vente de CC sur le marché volontaire.
Évidemment, c’est loin d’être suffisant pour André Boily, mais c’est un début. Il vise beaucoup plus haut. La prochaine étape? Il a convaincu les gestionnaires de quatorze autres SADC du Québec de se joindre à un projet pilote, où quelque 125 entreprises seront impliquées dans un projet beaucoup plus vaste du marché volontaire des crédits carbone. Et, au moment où vous lirez ce texte, il sera à Winnipeg pour présenter une conférence sur ce sujet auprès de ses consœurs et confrères des SADC de tout le Canada, réunis en congrès annuel.
Mais, ultimement, ce dont rêve André Boily, c’est de rendre accessible aux PME d’ici l’immense potentiel de revenus lié au marché règlementé de la bourse nationale du carbone. Ce système soumet les grands émetteurs de gaz à effet de serre (plus de 25 000 tonnes/an) à une règlementation sévère de contrôle de leurs émissions. Actuellement, les grands générateurs de GES du Québec, de l’Ontario et de la Californie sont intégrés à cette bourse nord-américaine du carbone. Les économistes estiment que celle-ci recèlera une valeur de près de 3 milliards $ d’ici 2030.
Malheureusement, à cause de certaines limitations imposées par le gouvernement Couillard, seules les entreprises hors Québec peuvent actuellement se prévaloir des retombées économiques de cet immense marché. Pour André Boily, il s’agit d’une injustice et d’une iniquité flagrante que nos législateurs doivent impérativement corriger. Il est formel : il faut permettre aux grands émetteurs de ce groupe sélect d’acheter des CC dans la province. Sans quoi la situation risque de priver nos PME d’importants leviers de développement, au cours des prochaines années.
Et croyez-moi, notre homme n’a pas dit son dernier mot là-dessus. Il s’active en coulisse et à sa façon pour faire avancer cette cause qu’il considère comme son héritage professionnel. Moi, j’appelle ça de la vision.
(Pour en savoir davantage sur ce projet, suivez nos chroniques de mai, juillet, octobre, décembre 2018 et février 2019, toutes en page 6 du mensuel Informe Affaires)