Dominique Savard
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Dominique Savard

SAGUENAY – Selon le professeur au département des Sciences économiques et administratives de l’UQAC, Marc-Urbain Proulx, l’entreprise privée doit prendre la relève du secteur public dans le développement régional. « Depuis une quinzaine d’années, on a pas mal construit les régions du Québec en les équipant d’infrastructures en transport, éducation, santé, etc. C’est maintenant le tour au secteur privé d’investir », lance-t-il

L’économiste ajoute qu’il serait surpris que des investissements majeurs surviennent du côté de nos ressources naturelles, soit en forêt, aluminium et en agroalimentaire. « Ça va bien dans la forêt, mais on ne s’attend pas beaucoup à de nouveaux investissements. Il va y en avoir un peu dans les scieries et les papetières, mais pas énormément. On a atteint la limite de l’exploitation de la forêt et on ne peut pas couper beaucoup plus de bois. Alors ça devient difficile de construire une nouvelle scierie. Dans l’aluminium, on espérait beaucoup, mais il est difficile aujourd’hui de croire à des investissements importants. Les marchés sont assez saturés. Rio Tinto a construit une nouvelle usine à Kitimat qui connaît des difficultés à démarrer, ce qui refroidit beaucoup les investisseurs à Londres et ils sont moins chauds à construire une autre usine au Complexe Jonquière et à agrandir celle d’Alma. Même si ça va bien en agroalimentaire, on ne peut s’attendre non plus à de gros investissements de ce côté », avance M. Proulx.

Grands projets incontournables

Il explique qu’actuellement, ce sont les gros projets qui sont sur la table avec Arianne Phosphate, BlackRock et GNL Québec. Celui qui est également responsable du Centre de recherche sur le développement territorial à l’UQAC, tout en voulant conserver sa neutralité pour ces projets, convient qu’ils représentent des moteurs de développement potentiel important, non seulement pour le Saguenay–Lac-Saint-Jean, mais pour les régions périphériques.

« Historiquement, depuis 200 ans, ce sont les grandes entreprises qui ont créé l’environnement économique de la région, ainsi que celles de la Côte-Nord, l’Abitibi et en Gaspésie. À l’intérieur de cela, il y a les PME, l’entrepreneuriat, les transformateurs, les équipementiers, les services spécialisés, etc. Nous ne sommes pas comme la Beauce, l’Estrie ou les Bois-Francs qui ont des grappes dans les secteurs manufacturiers. Nous, nos moteurs, ce sont les grands projets. S’il n’y en a pas, notre économie est stagnante et c’est ce que nous vivons depuis les années 90. »

Peu de retombées du Sommet 2015

Pour sortir de cette stagnation économique, la région doit générer des initiatives innovatrices dans le secteur économique, bien sûr, mais également dans les secteurs sociaux, culturels, etc. « C’est pour cela qu’on parle tant d’innovations au Québec. Il faut miser là-dessus. Regardons dans les 50 dernières années, plus particulièrement dans les années 70 et 80 où l’on a fait un bon boulot pour impulser le développement régional par nous-mêmes. On a fait des choses magnifiques, plein d’initiatives dans plein de secteurs d’activités. On a été innovateurs. Et là, depuis la fin des années 90, on l’est beaucoup moins. Par exemple, on a mis en place de nouveaux outils comme Soccrent (société en commandite de création d’entreprises) en 1984. M. Adam Lapointe a pris sa retraite, et ça a fermé. Nous ne l’avons pas remplacé. En 1984, il y a eu le Sommet économique durant lequel la région a défini une stratégie, et plein d’initiatives nouvelles ont été proposées. Les leaders économiques ont notamment décidé de promouvoir les PME en ciblant particulièrement les créneaux des 2e et 3e transformations. Lors du Sommet économique en 2015, ils ont créé 13 Tables et ils ont ressorti une seule idée, celle de stimuler le numérique. On s’est creusé les méninges et on n’a presque rien trouvé. Nous avons un problème », avoue Marc-Urbain Proulx.

Se renouveler en innovant

Au lieu de vouloir créer des organismes ou vivre dans le passé en voulant recréer la CRÉ, on devrait trouver une procédure pour permettre une réflexion et la mise en action, toujours selon l’enseignant. M. Proulx ajoute que pour remettre la région en marche comme dans les années 70 et 80, il faut renouveler et innover, ainsi que trouver des mécanismes nouveaux.

« Dans le secteur privé, il y a de nouvelles niches avec l’énergie renouvelable et les produits du terroir, par exemple. Il se fait déjà des choses merveilleuses, mais il faut aller plus loin encore. Les technologies d’information et de communication vont bien avec CGI, Nordia, Ubisoft et plein de petites entreprises autour de cela. Il y a une grappette en émergence qu’il faut faire émerger en grappe. C’est la même chose en tourisme, en transformation d’aluminium et du bois, en agroalimentaire, etc. Les gens travaillent tous très fort individuellement et chacun de leur côté. Il faut trouver maintenant une procédure pour stimuler tout cela, comme on l’a fait il y a 50 ans. On doit créer un plan pour toute la région et ça pourrait s’étendre à d’autres régions périphériques aussi », propose M. Proulx.

Le municipal et les services publics invités à se parler

Le professeur d’économie à l’UQAC Marc-Urbain Proulx hésite à s’avancer sur des prévisions concernant le développement économique de la région au cours des prochaines années. Sa prudence s’appuie sur son expérience du début des années 2000 au sein de la Commission Harel sur la création des agglomérations urbaines à la suite des fusions municipales, notamment pour la Ville de Saguenay.

« À cette époque, on s’est dit qu’il y aurait une deuxième phase, mais on a tellement eu de troubles pour concrétiser la première, que les fonctionnaires nous ont prévenus qu’il faudra au moins 20 ans. Même si nous y sommes rendus, on est encore loin d’être prêts », fait-il remarquer.

L’économiste s’explique sur cette réforme qui devait permettre de créer des structures de concertation et de planification pour prendre en charge les grands enjeux métropolitains: « Dans les agglomérations urbaines, il y a les secteurs comme la santé, l’éducation, le transport et la sécurité publique.  Le budget de Saguenay (qui gère l’aqueduc, les égouts, le déneigement, les loisirs, la police, la culture) représente environ 21 % de tout le budget total de l’agglomération, qui inclut les autres grands secteurs urbains, comme la santé et l’éducation, dont Saguenay est complètement exclue. Comme à Sherbrooke, où c’est déjà en marche, il faudrait une table pour asseoir tout ce monde-là afin de se doter d’un cadre stratégique.

« Dans la ville reine des Cantons de l’Est, les décideurs sectoriels se rencontrent toutes les trois semaines pour faire avancer les dossiers de l’agglomération. Ici, on est encore très divisés, » affirme M. Proulx qui a également occupé la fonction de sous-ministre associé aux Régions du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation des territoires de 2012 à 2014.

Une seule MRC?

L’enseignant ajoute que l’agglomération de Saguenay pourrait très bien s’étendre à la MRC du Fjord-du-Saguenay avec une seule ville MRC gérée par un seul conseil municipal. « C’est d’ailleurs ce qui était prévu au départ des grandes fusions. Il existe bien une Table de la Conférence administrative régionale avec les différents ministères pour avoir une vision globale de la région, mais ils n’ont presque jamais de rencontres. Il faut créer un mouvement de proactivité pour remettre la région en marche », précise-t-il.

Marc-Urbain Proulx avoue que ça fonctionne mieux entre les municipalités et les MRC au Lac-Saint-Jean.

« Ils ont un bon succès avec l’énergie avec la création d’une société communautaire de l’énergie. Ils gèrent les déchets ensemble (un peu avec Saguenay) et ils ont une belle collaboration sur des dossiers stratégiques », ajoute l’économiste.

Un livre sur ce qui s’est fait depuis 200 ans

Dans son dernier et septième ouvrage intitulé Splendeurs, misères et ressorts des régions : Vers un nouveau cycle de développement régional, le professeur en économie régionale à l’UQAC et directeur du Centre de recherche sur le développement territorial Marc-Urbain Proulx, nous plonge dans l’histoire du développement territorial des régions du Québec, dont le Saguenay–Lac-Saint-Jean, tant par ses problématiques que par ses bons coups.

« Si plusieurs décollages économiques locaux, souvent fulgurants, ont permis aux régions de constituer 17 % de la population du Québec en 1960, celles-ci n’en représentent plus que 10 % aujourd’hui et on s’en va à 7 % en 2050, soit le même ratio qu’en 1850. À l’instar des grandes périphéries mondiales, la périphérie québécoise demeure très faiblement peuplée, malgré l’activité engendrée par l’extraction des ressources naturelles. Ce phénomène s’explique par les fuites financières, l’érosion économique et les pertes démographiques qui affectent généralement les périphéries et qui entravent la structuration des économies locales ainsi que la pérennité du développement. Malgré cela, on produit plus qu’avant, à l’exception peut-être de la forêt où ne sort pas plus de bois qu’en 2008. On produit plus avec moins d’emplois en raison, notamment, de nouvelles technologies », explique M. Proulx.

Un potentiel qui fait des envieux

Avec cet ouvrage, l’enseignant souhaite susciter la réflexion, trouver des pistes de solution. « Nous avons eu une région qui a connu une ère de splendeur et là, on a beaucoup ralenti. Nous sommes en stagnation. Heureusement, il y a encore du ressort, une énergie pour relancer la croissance démographique et économique. S’il n’y avait plus de ressorts, je lancerais la serviette. Bien des régions peuvent nous jalouser avec le potentiel qu’on a. Il faut miser sur notre capacité d’innover. Ça bouge rapidement. Oui, il y a les changements climatiques, mais il y a aussi la robotisation. Nous sommes plus mobiles qu’auparavant. Avec l’urbanisation de la planète, nous n’avons pas le vent dans les voiles et j’insiste, c’est l’innovation le nerf de la guerre. »

Le livre de 243 pages édité aux Presses de l’Université du Québec au sein de la collection Science régionale, ne se veut pas une critique. L’auteur le présente plutôt comme une analyse. « J’essaie toujours de terminer les chapitres en déterminant sur quoi on peut miser pour poursuivre nos efforts de développement régional. Ce livre s’adresse à tout le monde avec ses courts chapitres de 7 à 10 pages, pas trop abstraits, même si ça demeure un bouquin académique », conclut Marc-Urbain Proulx.

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