Auteur

Karine Boivin Forcier

N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : « L’aluminium, une force régionale » publié dans notre édition du mois d’octobre.

SAGUENAY – Le secteur de l’aluminium n’est pas épargné par le contexte économique mondial difficile. Après un sommet historique en mars, le prix du métal gris accusait d’ailleurs, début octobre une baisse de 22 % par rapport à janvier.

La prime du Midwest, qui bonifie le prix de chaque tonne d’aluminium primaire livrée en Amérique du Nord, a quant à elle diminué de 55 %. La hausse entraînée en début d’année par la guerre en Ukraine et les sanctions économiques occidentales n’a pas résisté aux autres facteurs qui perturbent les marchés mondiaux, dont la crise énergétique en Europe. Également liée à la guerre, l’explosion du coût de l’énergie sur ce continent est en train de changer la donne dans l’industrie de l’aluminium, selon le président et chef de la direction de l’Association de l’aluminium du Canada (AAC), Jean Simard.

Les producteurs industriels européens ont en effet vu leur facture de gaz naturel multipliée par 12 en quelques semaines. « C’est dévastateur. Leur capacité de production d’aluminium diminue. Ils ont perdu un million de tonnes de capacité depuis le mois de janvier et on s’attend à ce qu’ils en perdent un autre 500 000 tonnes », précise-t-il, rappelant que les alumineries sont de grands consommateurs d’énergie et que son coût a un impact sérieux sur leur compétitivité.

Producteurs québécois

Ce contexte se combine aux sanctions économiques occidentales contre la Russie, troisième producteur mondial d’aluminium, qui rend difficile la vente d’aluminium russe sur les marchés mondiaux. « Le métal russe n’est pas sanctionné, c’est toujours légal de le transiger, mais plus personne n’en veut. Les marchés se referment », indique Jean Simard.

On pourrait croire que cette situation sera bénéfique pour les alumineries québécoises, mais ce n’est pas le cas. En réalité, il est peu probable qu’ils puissent tirer partie des difficultés vécues en Europe. D’abord, la crise énergétique fait en sorte que plusieurs secteurs industriels européens tournent également au ralenti, laissant planer la possibilité d’une récession. Conséquemment, la demande pour le métal gris est en forte diminution sur ce continent.

En outre, nos usines produisent déjà à 93 % de leur capacité. Entre janvier et juillet 2022, 99 % des exportations canadiennes d’aluminium primaire étaient dirigées vers l’Amérique du Nord. La possibilité des producteurs d’exporter en Europe est donc limitée. « Ce serait difficile d’augmenter la capacité de production actuelle au Québec », rappelle Jean Simard. La moyenne d’âge des alumineries y est de 35 ans environ. Selon lui, les prochaines augmentations importantes de capacité risquent donc de se faire avec la technologie Elysis en cours de développement. « Il faut moderniser nos actifs et pour ce faire, ça prend des technologies qui vont nous maintenir parmi les meilleurs pour 25 ou 30 ans. »

Marchés perturbés

Il ne faut pas oublier qu’ailleurs dans le monde, d’autres bouleversements perturbent les marchés. « L’économie chinoise tourne au ralentit en raison de la COVID-19 et de sécheresses importantes dans le sud du pays. En Amérique du Nord, la crise des semi-conducteurs et des chaînes d’approvisionnement se poursuit. Même si la demande est là, ces chaînes n’arrivent pas à fournir. C’est ce qui crée l’inflation », fait remarquer M. Simard.

Les manufacturiers nord-américains de produits d’aluminium retardent aussi leurs commandes de matières premières, puisque l’incapacité des chaînes d’approvisionnement à fournir d’autres matériaux critiques entraînent un ralentissement de leur production. Même si la demande de métal gris pour la construction de véhicules électriques est appelée à croître, les nouvelles chaînes industrielles pour ce secteur sont encore en train de se mettre en place et la pénurie de semi-conducteurs ne se résorbera pas avant 2023-2024. Avec les risques de récession et les taux d’intérêts élevés, les analystes de l’industrie s’entendent pour dire que les perspectives ne sont pas roses.

« Nous sommes dans une phase transitoire où il y a énormément de perturbations sur le plan de la géopolitique mondiale et de la macroéconomie continentale. […] C’est complexe et c’est encore plein d’incertitudes. Il faut être prudent, mais ce ne sera pas une crise pour l’industrie québécoise de l’aluminium, qui est très résiliente », conclut Jean Simard.

L’aluminium au Canada

Le Canada produit 3,12 millions de tonnes d’aluminium primaire annuellement, selon les données de 2020. La production est concentrée au Québec (2,8 millions de tonnes) et en Colombie-Britannique. Cette dernière province compte une aluminerie, les neufs autres étant implantées au Québec. Le Canada est le quatrième producteur d’aluminium de première fusion en importance du monde, derrière la Chine, l’Inde et la Russie. En utilisant principalement l’hydroélectricité et des technologies de dernière génération, les producteurs d’aluminium canadiens ont l’empreinte carbone la plus faible au monde.

L’aluminium russe et la guerre en Ukraine

La Russie était, en 2021, le troisième producteur d’aluminium au monde, après la Chine et l’Inde. Elle produit environ quatre millions de tonnes de métal gris, dont 500 000 tonnes sont dirigées vers sa consommation intérieure, le reste étant exporté principalement vers l’Europe et l’Amérique du Nord.

Les mesures punitives imposées par les pays occidentaux à la Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine constituent une troisième série de sanctions. La première remonte à 2014, lors de l’annexion de la Crimée, et certaines de ces mesures ont encore cours dans quelques endroits du monde. En 2018, de nouvelles sanctions visaient les oligarques Russes, dont le propriétaire du producteur d’aluminium Rusal, l’un des plus importants au monde. Celles-ci ont eu un impact significatif sur la production d’aluminium.

Ainsi, la part de l’aluminium russe dans les importations d’aluminium primaire des États-Unis est passé de 27 % du total il y a 20 ans à 5 % en 2021. Des diminutions successives marquées de 50 % ont succédé aux sanctions de 2014 et de 2018.

Actuellement, la Bourse des métaux de Londres (LME), qui dicte le prix des métaux dans le monde, a entrepris un processus de consultation pour délister le métal russe. « Ça veut dire qu’ils ne pourraient plus vendre leur métal à la LME. Cela ferait en sorte que les banques ne prendraient plus en garantie du métal russe et donc, plus personne ne voudrait en acheter », explique M. Simard. Il resterait donc deux choix à la Russie : réduire leur capacité ou tenter de vendre à la Chine, où l’économie tourne présentement au ralenti, mais dont les problèmes de sécheresse réduisent la production de métal gris.

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