Guy Bouchard
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Guy Bouchard

SAGUENAY – Après douze ans d’implication à titre de président du Syndicat National des Employés(es) de l’Aluminium d’Arvida (SNEAA), Alain Gagnon, a terminé, le 23 mars dernier, son quatrième mandat à la tête du SNEAA et a quitté définitivement son employeur Rio Tinto (RT) le 30 avril suivant. Portrait du parcours de ce visionnaire engagé et authentique, qui est considéré par beaucoup de décideurs économiques et politiques comme un important allié du développement régional.

L’homme, qui a longuement préparé sa sortie, affirme avec conviction qu’il laisse une équipe de relève solide pour continuer le syndicalisme pragmatique stratégique, qu’il a contribué à mettre en place au cours de ses 18 ans de militantisme au SNEAA. Il s’agit de faire le maximum pour préserver les postes de ses syndiqués, en les convaincant d’innover et de produire avec fierté le meilleur aluminium du monde. « Je prépare la transition depuis 2014. À la limite, il y en a neuf autour de la table qui auraient pu prendre le relais. Notre approche devrait se poursuivre, parce que j’ai toujours été transparent dans ma stratégie, et ce, depuis le 3 novembre 2008, au moment où j’ai été élu pour la première fois comme président du SNEAA », lance celui qui a été remplacé à la tête du syndicat par son collègue Donat Pearson.

« C’était comme fermer l’Hydro et Gaz Métro! »

Pour beaucoup d’observateurs de l’économie régionale, particulièrement de la grappe de l’aluminium, Alain Gagnon et son équipe sont considérés comme les sauveurs de la seule raffinerie d’alumine du Canada, l’Usine Vaudreuil, dont la fermeture avait été annoncée dès janvier 2009 par Rio Tinto. « Début janvier 2009, en pleine crise économique et deux mois après mon arrivée à la présidence du syndicat, je suis convoqué par la compagnie qui m’annonce qu’on doit préparer la fermeture de l’Usine Vaudreuil et des précuites. À l’époque, tout le monde parlait de l’entente secrète passée entre le gouvernement de Jean Charest et Rio Tinto concernant une série de fermetures d’usine qui compensait pour la continuité des opérations et la promesse de la construction sur 10 ans d’une nouvelle usine de remplacement sur la technologie AP-50 ».

« Ça n’avait pas de bon sens. Là, on a commencé à interpeller le milieu politique régional et le socio-économique. Je me suis aussi servi des partis d’opposition à Québec. On a aussi travaillé avec des économistes pour démontrer que fermer ces installations chez nous, c’était comme de fermer l’Hydro et Gaz Métro en même temps pour Montréal. L’équivalent de supprimer 42 000 jobs dans la métropole! On s’est ensuite attaqué à démontrer la valeur ajoutée de Vaudreuil. En avril 2009, on est allé présenter notre plan à Londres, à l’assemblée annuelle des actionnaires de Rio Tinto. Je ne sais pas quel impact réel on a eu là, mais au moins on a essayé », assure Alain Gagnon. Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, la raffinerie d’alumine est toujours en exploitation, notamment parce qu’Alain Gagnon a convaincu ses syndiqués de prouver à la compagnie que Vaudreuil pouvait être rentable. Depuis lors, l’usine a fracassé régulièrement des records de production. Sans compter que le lobbying efficace d’Alain Gagnon a permis de garder en opération les précuites jusqu’en 2025, sauvegardant ainsi des milliers d’emplois directs et indirects en plus d’assurer la survie de nombreuses PME de la région.

Complexe Jonquière fermé six fois

L’Usine Vaudreuil demeure une des seules au monde à ne pas être installée sur le site d’une mine de bauxite. « Ma plus grande fierté, c’est Vaudreuil. Les gars et les filles ont suivi et nous ont fait confiance et on a trouvé des solutions. C’est grâce à eux qu’on a obtenu le projet Vaudreuil 2022. Notre alumine est la meilleure au monde, on bat le marché partout sur la planète, même si nous on doit tenir compte du coût du transport alors que toutes les autres usines sont construites sur des gisements de bauxite. Avant de partir, j’aurais aimé voir Vaudreuil augmenter la production pour rendre les usines de la région autonome, en alumine », lance-t-il songeur. S’il reste beaucoup à faire à son successeur, la suite a été tracée par les nombreux combats menés par Alain Gagnon au cours de ses quatre mandats comme président. « J’ai été convoqué six fois en 12 ans par la compagnie pour m’annoncer qu’ils fermaient le Complexe Jonquière. Et on est encore là. Avec Donat Pearson, je suis certain de laisser la suite entre bonnes mains ».

Un allié des PME

Parallèlement à ses efforts pour la sauvegarde des installations du complexe Jonquière, Alain Gagnon s’est grandement impliqué auprès des organisations de développement socio-économiques régionales, notamment auprès de la Société de la Vallée de l’aluminium (SVA). « J’ai siégé auprès d’une douzaine de conseils d’administration au cours des dernières années. La SVA et le milieu de la 2e et 3e transformation de l’aluminium vont définitivement me manquer », avoue-t-il. Au-delà de protéger ses syndiqués, l’homme assure avoir toujours eu un souci pour le développement économique régional et l’importance des PME dans le giron d’un grand donneur d’ordres comme RT. « Je suis un régionaliste pur et dur. Il faut soigner les petites entreprises, on en a besoin pour approvisionner Rio Tinto. S’il n’y a pas de petits ménés, il n’y a pas de gros poissons », lance-t-il dans son langage imagé.

Un parcours atypique

Alain Gagnon se destinait davantage à une carrière en administration ou en finance quand il est entré à l’UQAC en 1979. Diplômé en mai 1983 de la première cohorte du programme Droit et gestion d’entreprise, le bachelier obtient deux offres d’emploi de la part de succursales d’institutions financières dans la région. Il décide toutefois de travailler quelques mois pour l’Alcan dans l’objectif de se constituer un petit magot de départ. « En finissant mon bac, j’avais donné mon CV partout, notamment chez Abitibi-Price et à l’Alcan. Mon père était déçu que je choisisse l’Alcan quand ils m’ont appelé, parce qu’il disait que j’allais me gâter avec de gros salaires et que je ne voudrais plus sortir de l’usine. Il avait pas mal raison », lance le syndicaliste.

Un autodidacte de l’économie

Même s’il a facilement obtenu son diplôme en administration, Alain Gagnon, qui a ensuite passé 37 ans dans l’industrie de l’aluminium, se considère comme un autodidacte de l’économie. « Je n’ai jamais cessé de m’intéresser à l’économie et aux affaires. Au cours des dernières années, j’ai fait un cours d’agent d’immeuble, un cours d’inspecteur en bâtiment et même un cours sur les impôts des particuliers et des commerces. Je lis beaucoup et je suis à l’affût de tout ce qui concerne l’économie et la mondialisation. Je pense vraiment que mes formations et mes lectures m’ont aidé dans mes défis à titre de président du SNEAA », explique-t-il.

Aidant naturel pour ses collègues

Dès ses premières années comme travailleur chez Alcan, Alain Gagnon a démontré une préoccupation pour la qualité de son milieu de travail et le bien-être de ses collègues. « Je m’impliquais beaucoup auprès des autres gars quand je sentais que quelque chose n’allait pas, un peu comme un aidant naturel. J’étais très à l’écoute et je m’imprégnais de l’ambiance. À l’occasion, quand je sentais que quelqu’un ne feelait pas bien et que son manque de concentration pouvait nuire à sa sécurité, je demandais à ma gang de le prendre en charge pour éviter les accidents », confie-t-il. Il ajoute qu’il a toujours eu le réflexe de défendre ses collègues quand il y avait apparence d’injustice. « J’ai tout le temps eu du mordant quand il était question de justice. Je déteste l’injustice et le mensonge et je peux parfois être un peu prime là-dessus », confie le retraité de 58 ans.

Une proposition étonnante

En juin 2002, Alain Gagnon travaillait comme opérateur au Centre de coulée 45, lorsqu’il a été convoqué par des officiers du SNEAA. Il s’attendait à une réprimande, puisqu’il avait eu une altercation avec un collègue quelques jours plus tôt. À son grand étonnement, ça n’avait aucun lien avec l’événement. On lui propose plutôt un poste d’officier sénior, alors qu’il n’avait jamais été impliqué pour le syndicat, pas même comme agent de grief. Il accepte l’offre sur le champ, y voyant une belle occasion de mettre encore davantage de l’avant son approche d’équité et de justice. « J’étais juste un employé à l’heure, mais ils avaient probablement entendu parler de mon attitude sur le plancher et ils ont senti que je pouvais les aider », lance-t-il. L’aventure de six ans se passe si bien qu’elle l’amène à se présenter comme président du SNEAA, en novembre 2008. Il est porté à la présidence en relève de Claude Patry, qui décide à la dernière minute de ne pas se représenter. Il sera élu trois autres fois pour des mandats consécutifs d’une durée de trois ans, les deux derniers sans opposition.

Quelques réflexions

Les projets : Alain Gagnon quitte avec le sentiment du devoir accompli, mais il aurait aimé voir quelques-uns des investissements projetés se concrétiser. Notamment, l’augmentation de la capacité de l’Usine Vaudreuil, la deuxième phase d’AP-60 et le Complexe Alma 2.

Rio Tinto : Alain Gagnon critique l’attitude de Rio Tinto en regard de la 2e et 3e transformation de l’aluminium. « Rio Tinto ne joue pas suffisamment son rôle de grand frère dans la transformation de l’aluminium. Ils n’ont aucune vision régionale, ce sont uniquement des comptables. En plus, c’est très difficile pour une PME d’avoir de l’aluminium chaud ou en lingot quand ils ont un projet. » Les organismes : Il aurait aimé voir l’ensemble des organismes régionaux liés au développement de l’industrie de l’aluminium se regrouper et offrir un guichet unique aux entrepreneurs. Il garde espoir.

Quelques défis à relever pour l’industrie :

Parmi les quelques défis à relever pour l’industrie, le syndicaliste parle de: Redevenir la capitale mondiale de l’aluminium. Pas pour le volume de production, mais en regard de l’expertise exceptionnelle que recèle la région, avec sa grappe de fournisseurs et d’équipementiers, le potentiel de nos chercheurs, nos infrastructures énergétiques et industrielles, nos organismes de développement, la qualité de nos ressources humaines et surtout, notre aluminium à faible empreinte carbone. « Il faut se rendre compte que beaucoup de pays à travers le monde voudraient posséder les avantages extraordinaires que nous avons ici », confie Alain Gagnon, qui estime que nous pourrions faire infiniment plus et mieux avec ce que nous avons. De plus, dans le contexte incontournable du rouleau compresseur 4.0 et de l’automatisation, il estime qu’il faut rapidement convertir les opérateurs de nos usines en techniciens, pour des emplois plus intéressants et offrant un meilleur potentiel. À moyen terme, vivre l’arrivée d’un nouvel acquéreur de la division aluminium de Rio Tinto. Il croit qu’un acheteur, qu’il se garde bien d’identifier, se profile à l’horizon.

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