Auteur

Maxime Hébert-Lévesque

N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : « L’agroalimentaire, moteur de la relance » publié dans notre édition du mois de juillet.

HÉBERTVILLE – La ferme Tournevent a triplé ses ventes au cours des dernières années et surtout au plus fort de la pandémie. Naviguant sur le créneau du bio et du local, la PME se trouve au bon endroit et au bon moment. Toutefois, gérer une croissance n’est pas une mince affaire et la famille Dallaire-Bouchard en sait quelque chose.

En 2014, Audrey Bouchard a rejoint l’entreprise familiale de son conjoint Guillaume Dallaire en tant que copropriétaire. Initialement producteur laitier, la ferme change de cap pour une production essentiellement d’oléagineuse (plantes cultivées pour leurs graines). Cinq cents hectares de champs sont consacrés à la production et le couple d’entrepreneurs décide d’investir le créneau des aliments sans gluten et sans OGM, sous la certification ECOCERT Canada. « J’ai une formation en science et technologie des aliments de l’Université Laval. Devenir copropriétaire d’une entreprise, c’est énorme et ça représente une grande partie de ma vie. Il fallait donc que j’incorpore quelque chose qui me stimule et me plaît », confie Audrey Bouchard.

Croissance synonyme de sécurité

Produisant un grain de canola sans OGM, l’équipe de la Ferme Tournevent se positionne, dans les premiers temps, comme un fournisseur d’exception pour les transformateurs. « Nos grains sont un peu comme le vin. Selon les conditions climatiques durant la saison, ils ne goûteront pas la même chose d’année en année. C’est une production artisanale », précise la femme d’affaires. Une spécificité de plus en plus recherchée, mais qui a causé un gros souci dans les débuts.

En effet, un client transformateur habitué d’acheter leur culture a refusé un lot prétextant un problème de standardisation. « Les huileries standardisent leurs produits et ne désirent pas qu’ils changent de goût d’une extraction à l’autre. Nous nous sommes donc retrouvés avec 40 tonnes de canola sur les bras. Nous l’avions semé, cultivé et récolté. Bref, nous avions pris tous les risques. » C’est à partir de ce moment qu’un projet de croissance a été lancé. Non pas pour croître, mais pour sécuriser l’entreprise. Rester coincé avec sa production peut signifier une fermeture pour bien des PME.

Revamper un produit vieux comme le monde

Désormais conscients de cette réalité du marché, Audrey Bouchard et Guillaume Dallaire décident de contrôler un chaînon supplémentaire sur la chaîne de valeur, avec l’acquisition d’une presse à grains. « La première idée était de produire une huile de cuisson avec nos grains. Toutefois, le procédé de fabrication le plus vert était très complexe. Nous nous sommes donc tournées vers les huiles pressées à froid. »

Commandée en Allemagne, la presse parvient à la ferme au bout de 11 mois d’attente. Dès lors, la production est entamée et une agente de commercialisation est embauchée. Des revendeurs, ici et là du Saguenay–Lac-Saint-Jean (SLSJ), hébergent sur leurs tablettes les premières bouteilles d’huile de Tournevent. « Nous nous sommes présentés sur un marché déjà en place avec une demande déjà existante. Il fallait simplement arriver avec les bons mots, le bon marketing. » Autrement dit, la PME devait revamper l’image de l’huile de canola. Le pari a été réussi. « On connaît tous cette huile sans saveur dans les étagères du bas d’un supermarché. Ce que nous proposions soudainement c’était le même produit, mais avec une identité jeannoise bien présente dans l’apparence et le goût. »

Des investissements au menu

Lors de la première vague de la pandémie, les efforts du gouvernement pour conscientiser la population à acheter local ont porté fruit. Au mois de novembre, les stocks d’huile de la ferme ont été épuisés. « Nous avions déjà prévu une phase trois de développement, mais la pandémie nous a donné un coup de fouet. » L’objectif pour l’entreprise est de transformer 75 % de sa production. Un but qui ne peut pas se réaliser dans les conditions actuelles. « De prochains investissements de l’ordre de quelques millions de dollars seront nécessaires. Nous avons besoin de plus d’espace de stockage et l’implantation de technologies 4.0 et d’automatisation sont dans les plans. »

En effet, toujours en croissance dans les ventes, les entrepreneurs pensent que c’est en se constituant un large inventaire que des économies d’échelles pourront s’effectuer. « Les marchés Avril distribue nos produits et Métro vend aussi sur l’ensemble de la province quatre de nos huiles. Devant des partenaires aussi importants, nous devons nous assurer de pouvoir livrer. »

De la place, toujours de la place

Il peut sembler risqué de réaliser de gros investissements étant donné l’engouement soudain et récent pour les produits locaux. Rien ne garantit que cette bulle n’éclatera pas dès que la situation reviendra à la normale. « Nous sommes bien établis dans le marché régional et c’est le moment de sortir un peu du territoire du côté des autres régions. Notre croissance est calquée sur la demande, mais elle demeure prudente. Le marché provincial s’ouvre à nous et si nous vendons que la moitié de ce que nous sortons pour le SLSJ, nos investissements sont justifiés. Il y a encore beaucoup de place et l’avenir s’annonce prometteur », conclut l’entrepreneure agricole.

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