SAGUENAY – Pour lutter contre les changements climatiques, « il faut utiliser encore plus la forêt qu’on ne le fait à l’heure actuelle. Il faut l’utiliser encore mieux qu’on ne le fait et nous devons conserver des espaces pour étudier comment les choses se passeraient si on n’était pas là », affirme le professeur Claude Villeneuve de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
Directeur de la Chaire en écoconseil et de Carbone Boréal, M. Villeneuve indique que l’utilisation de produits du bois peut devenir un outil de lutte contre les changements climatiques en raison de la capacité des arbres à stocker du CO2. Ceux-ci extraient en effet de l’atmosphère ce gaz à effet de serre (GES), qui est transformé en cellulose par la photosynthèse. « Autrement dit, du bois, c’est du CO2 en bâton. Plus la forêt va capter de CO2, plus elle va produire de bois et plus elle va appauvrir l’atmosphère de ce gaz qui cause les changements climatiques », explique-t-il.
Cette particularité fait en sorte que lorsqu’on brûle du bois ou qu’on produit du CO2 à partir de produits de la forêt, celle-ci le reprend dans son cycle de vie naturel. Par ailleurs, le CO2 capté dans le bois demeure sous cette forme sans être relâché dans l’atmosphère, tant qu’il n’est pas brûlé ou décomposé. « Le bois, on peut le garder 100 ans dans un mur. […] Les poutres qui ont brûlé à Notre-Dame-de-Paris avaient poussé il y a plus de 1 000 ans. Pendant 1 000 ans, ce CO2-là n’était pas dans l’atmosphère », illustre Claude Villeneuve.
Un gain net
Les arbres qui poussent pour remplacer ceux qui ont été extraits par l’exploitation forestière, pour la production de poutres ou de meubles par exemple, vont aussi capter du CO2 sous forme de bois. « Lorsque vous allez chercher du bois pour des usages durables, vous retardez la période de décomposition et vous permettez que le même territoire capte une autre génération d’arbres qui vont produire du bois. Il y a un gain net à cet endroit. »
Utiliser les produits du bois plutôt que, par exemple, du béton ou de l’acier qui nécessitent des émissions de GES pour leur production, contribue donc à lutter contre les changements climatiques. « Si, ensuite, vous prenez des résidus du bois que vous avez coupé, comme les copeaux ou les écorces, et que vous vous en servez pour remplacer des produits comme les carburants fossiles, vous empêchez de mettre des tonnes supplémentaires de CO2 dans l’atmosphère qui ne seront pas récupérées par l’écosystème », ajoute le professeur.
Mieux exploiter
Mais attention; pour profiter de tous les bienfaits de la forêt, il faut encore l’exploiter de façon durable et éviter la déforestation. En effet, la forêt n’est pas composée que de bois et il faut prendre en compte sa globalité. Elle possède plusieurs compartiments qui retiennent du carbone à plus ou moins long terme, soit les racines, les branches, le feuillage, le tronc, l’humus (couche supérieure du sol), le bois mort et les résidus.
Le carbone contenu dans le feuillage, par exemple, sera réémis assez rapidement dans l’atmosphère lorsqu’il sera consommé par des animaux ou que les feuilles tomberont au sol pour se décomposer. En comparaison, le tronc stocke le carbone pour une longue durée, tandis que le bois mort peut prendre jusqu’à 75 ans pour se décomposer.
« Il y a un cycle du carbone dans la forêt qui va de quelques heures à des milliers d’années. […] L’enjeu, c’est de faire une foresterie durable qui conserve un maximum de stocks de carbone dans le compartiment où il peut être gardé longtemps tout en retirant un stock qui va être dédié à des usages à long terme ou qui vont se substituer à des carburants fossiles. »
Cycle de vie
Claude Villeneuve croit que, pour ce faire, il faut penser l’industrie forestière en termes de cycle de vie de ses produits. Cette méthode permet d’analyser les impacts environnementaux liés à toutes les étapes de la vie du produit. « Si j’aménage la forêt pour produire un plus grand volume de bois sans affecter les processus naturels de décomposition dans les sols, je vais capter plus de carbone. […] Si je fais l’exploitation forestière en préservant les sols, j’aurai un maintien du stock de carbone dans les sols tout en extrayant une partie du CO2 sous forme de bois. […] Une fois à l’usine, il faut aussi penser à ce que je fais avec les portions de l’arbre que j’ai amenées, comme les écorces, les rejets de sciage, etc. », précise-t-il.
Selon M. Villeneuve, l’industrie forestière québécoise fonctionne déjà de façon très intégrée, récupérant ainsi une grande partie de ses résidus. « Au Québec, les usines de pâtes et papiers et les usines de sciage ont fait beaucoup de réduction des émissions de GES depuis 1990. On est déjà à plus de 60 % de réduction. »
Le professeur donne l’exemple de la scierie de La Doré, qui appartient à Produits forestiers Résolu. Lorsque le bois arrive à cette scierie, tout est utilisé. Il n’y a pas de déchets. Les écorces et les copeaux sont envoyés à l’usine de papier, les sciures sont utilisées pour produire de l’énergie dans d’autres processus, les plus petits morceaux sont envoyés pour faire du bois lamellé-collé, etc.
Risque climatique
Claude Villeneuve rappelle finalement que s’il faut conserver des espaces où la forêt demeure inexploitée afin d’étudier comment elle évolue, il y aurait un risque à ne pas du tout l’exploiter. « Nous vivons actuellement dans une déstabilisation du climat planétaire causée par les humains. Cela affecte le devenir des forêts. Si on essaie de les garder telles qu’on les imagine, naturelles, on risque de les perdre à cause du changement du climat. Les espèces qu’on connaît ne seront plus confortables et vont disparaître à cause de différents phénomènes comme les feux, les épidémies d’insectes auxquelles elles ne seront pas adaptées. Si nous ne voulons pas utiliser la forêt, nous avons plus de risques de la perdre que si nous l’utilisons et l’accompagnons dans le changement climatique », conclut-il.
La question des sols
Dans la forêt boréale, c’est le sol qui contient la plus grande quantité de carbone. On en trouve à courte et à longue durée de vie dans ce compartiment de la forêt. Les stocks de carbone à court terme peuvent être réémis plus vite si on déstructure les sols, puisque cela favorise la pénétration de l’oxygène qui accélère la décomposition des matières organiques.
« Vous pouvez avoir effectivement un relargage de CO2 plus rapide que ce qui se serait produit naturellement. Il se serait toutefois produit naturellement, mais avec un délai », explique Claude Villeneuve.
Il faut donc penser en termes d’équilibre des écosystèmes. « Dans son cycle de vie, la forêt peut donc être une source ou un puits de carbone pendant de courtes périodes, mais sur l’ensemble, il y a toujours un gain net, ce qui signifie moins de CO2 dans l’atmosphère », résume le professeur.
Émissions de GES
Nous émettons actuellement plus de gaz à effet de serre (GES) que ce que les forêts, les plantes ou les océans peuvent capter, ce qui fait qu’il s’en accumule chaque année un peu plus. « Un peu plus, ça correspond à 17 milliards de tonnes de CO2 », affirme Claude Villeneuve.
Selon lui, le fait de produire du CO2 n’est pas problématique en soi pour le climat, tant qu’il peut être réabsorbé par la nature. « Le problème, c’est plutôt qu’on va chercher du carburant fossile, composé d’un stock de carbone capté par les plantes il y a des millions d’années. Quand on brûle en quelques minutes ces carburants fossiles, ça remet ce CO2 en circulation dans un cycle qui n’est pas capable de l’absorber. Ça fait des millions d’années qu’il s’accumule et là, on le repasse rapidement dans l’atmosphère, plus rapidement qu’il ne s’accumule. »
Carboneutre en 2050
Selon le rapport Forest Sector Net-Zero Roadmap présenté en décembre par le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), l’industrie forestière pourrait devenir carboneutre en 2050 à l’échelle mondiale. Le rapport se base notamment sur les recherches internationales récentes en la matière pour proposer trois grandes avenues permettant d’atteindre cet objectif.
L’industrie devrait ainsi réduire les émissions liées aux opérations, augmenter la captation de carbone (par l’exploitation durable des forêts) et faire croître la bioéconomie circulaire (utilisation de produits du bois pour remplacer ceux faits à partir de carburants fossiles, utilisation des résidus et recyclage, etc.).