SAGUENAY – L’épinette noire est une essence recherchée pour la fabrication du bois de structure, les fameux 2 x 4. Légère et robuste, cette fibre ligneuse a la particularité de pousser principalement dans l’est du Canada. Son exploitation est à la fois économique et écologique.
« L’épinette noire n’est pas faite pour fabriquer des meubles. C’est un bois qui prend mal les teintures. En contrepartie, il est léger et idéal pour produire des matériaux de construction. D’ailleurs, au Québec, nous avons développé une expertise en fabrication des poutrelles en I avec cette essence. Celles-ci sont utilisées pour les charpentes de plancher. La qualité de cette production est si élevée que des provinces grandes productrices de bois comme la Colombie-Britannique s’approvisionnent en poutrelles au Québec », souligne Réjean Gagnon, biologiste, spécialiste en écologie forestière et professeur retraité à l’UQAC.
Selon le spécialiste, les plus grandes forêts d’épinettes noires se trouveraient au Québec et à Terre-Neuve. Une particularité qui a permis à la région de se positionner comme étant une référence au niveau du bois d’œuvre. « C’est un créneau et bien que nous manufacturions principalement des madriers de type 2 x 3, 2 x 4 et 2 x 6, pour ne nommer que ceux-ci, nous pouvons affirmer qu’ils sont très recherchés. L’épinette noire est au cœur de l’économie régionale, cela nous a permis également de développer une expertise en papeterie et d’optimiser l’ensemble de la chaîne de valeur d’un arbre. Du moment qu’un billot rentre dans l’une de nos scieries, absolument rien n’est perdu. » Le spécialiste ajoute que l’un des défis pour les prochaines années à venir sera de promouvoir l’utilisation de la forêt et la grande qualité de notre production.
Une gestion unique au monde
Coupons-nous trop d’arbres au Québec ? Pour le biologiste qui a consacré une grande partie de sa vie à comprendre l’écologie des forêts, la réponse est non. En fait, nous nous basons sur un système unique au monde pour la gestion des stocks. « Nous faisons des coupes à rendement soutenu, contrairement à l’Ontario qui priorise des coupes à rendement variable qui s’appuient sur les pressions du marché. Notre façon de faire nous assure un approvisionnement constant, sans année de pénurie. C’est-à-dire que l’on évalue les ressources de notre forêt sur un horizon de 150 ans et que tous les cinq ans nous revérifions nos prévisions et nous réémettons les quotas d’approvisionnement des usines de transformation en fonction de nos calculs. »
L’idée est de pouvoir récolter un volume de bois plus ou moins similaire chaque année sur une très longue période. Pour ce faire, le Forestier en chef Louis Pelletier et son équipe analysent les possibilités forestières. Cela correspond au volume maximum des récoltes annuelles de bois par essence que l’on peut prélever tout en assurant le renouvellement et l’évolution de la forêt. Ce calcul prend également en compte les feux et les épidémies qui peuvent affecter la croissance des arbres. « Nos récoltes ne suivent pas la demande du marché. Présentement, la fibre ligneuse est recherchée partout et pourtant nous ne coupons pas plus. Nous récoltons toujours le minimum afin de préserver nos forêts et pouvoir les exploiter dans le futur. »
L’épinette noire est un arbre qui pousse tranquillement, contrairement au pin blanc. Pour cette raison, il se retrouve souvent en sous-étage. « La forêt a parfois besoin du coup de pouce des humains. L’aménagement forestier est un excellent moyen de s’assurer une pérennité au niveau des récoltes. »
Capter le CO2 atmosphérique
Le réchauffement climatique est un enjeu de taille pour l’humanité. L’une des solutions pour ralentir ce phénomène est de retirer des gaz à effet de serre (GES) de l’atmosphère, comme le dioxyde de carbone. « La magie d’un arbre est
dans le fait qu’il transforme un gaz en matière solide, entre autres, grâce à l’énergie solaire. Par photosynthèse, l’essence absorbe le CO2 atmosphérique pour en faire le bois qui constitue son corps, ses racines et ses branches. Il rejette aussi l’oxygène et le carbone est emprisonné dans sa fibre cellulosique. Le plus beau dans tout ça, c’est qu’il répète le même processus tout au long de sa vie. »
Une fois que l’arbre est mort et qu’il tombe sur le sol humide, les choses changent. Des champignons commencent à se former sur l’essence et se nourrissent de sa lignine et de sa cellulose. Ce processus de décomposition relâche dans l’atmosphère du CO2. « Les aires protégées doivent exister, nous devons conserver des espaces où le cycle de vie normal des forêts est préservé. Toutefois, pour combattre le réchauffement climatique, la récolte du bois est une excellente solution. 50 % du poids sec d’un madrier de 2 x 4 représente du carbone et tant que le bois n’est pas dans un environnement où il peut pourrir, il va conserver son carbone. Construire sa maison en bois est un geste écologique fort qui aide à réduire le CO2 dans l’atmosphère. »
Au Québec, contrairement à l’Europe, nous sommes précurseurs en matière de construction écoresponsable. La majorité de nos maisons sont faites de bois. « Une maison standard dans la province comprend de 25 à 35 mètres cubes de bois. Si cette matière n’avait pas été récoltée et transformée, elle aurait libéré de 25 à 35 tonnes de CO2 atmosphérique à sa mort. La construction peut survivre de 100 à 150 ans et durant toute cette période, le carbone ne s’échappe pas. Ensuite, lorsque la vie utile du bâtiment est expirée, nous pouvons recycler les matériaux ligneux. »
Des interprétations parfois loin de la vérité
Réjean Gagnon ne le cache pas, une photo prise à la suite d’une récolte forestière peut choquer un auditoire non initié. « Selon tes connaissances scientifiques et du milieu forestier, voir une image de coupe, ça frappe l’imaginaire. Ça peut te laisser une impression négative. C’est malheureux puisque c’est un vecteur à la fausse information. Les débats entourant l’industrie forestière sont essentiels, pourvu qu’ils s’appuient sur des faits scientifiques. Les groupes qui critiquent l’industrie ne parlent jamais de la captation du CO2 ou de l’optimisation des procédés. Ici, on n’abat jamais un arbre pour rien. Chaque essence est sélectionnée pour un but précis. Les copeaux et les sciures sont récupérés pour faire des granules de biomasse ou pour en faire de la pâte Kraft qui servira pour fabriquer le papier », conclut le biologiste et spécialiste en écologie forestière.