Auteur

Karine Boivin Forcier

N.D.L.R. : Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : « Un secteur forestier responsable et durable » publié dans notre édition du mois d’avril.

SAGUENAY – L’un des gros défis que vivent présentement les travailleurs de la forêt est la désinformation qui circule sur l’industrie forestière et qui influence les perceptions du public de façon négative, estime Caroline Lavoie, ingénieure forestière et représentante des bénéficiaires pour la Zone d’intégration Saguenay.

Celle qui fait ce métier depuis 2003 constate que, depuis quelques années, la perception et la pression négative de l’opinion publique envers son métier se sont renforcées. « Nous on le sait qu’on intervient et que les effets se font sentir à long terme. […] Après deux ans, c’est tout vert, de belles jeunes pousses. Nous, avec notre œil de forestier, on voit un potentiel de captation de carbone, avec de jeunes pousses qui viennent de renaître, en croissance. […] Nous, on voit tous les avantages, les sphères touchées par nos activités. Mais les opposants ne veulent plus t’écouter. Tu as beau leur donner toute l’information, toute la science derrière ça… Pour eux, ce n’est pas envisageable », indique-t-elle.

Les forestiers mal aimés

Caroline Lavoie se dit fière de son travail, mais a l’impression de devoir se cacher pour le faire. « C’est difficile pour le moral. Je serais fière de parler de mon métier, de tous les avantages d’aménager une ressource renouvelable, d’avoir des matériaux écologiques… Quand on transforme un arbre, on ne perd rien ! […] Notre foresterie est extraordinaire ! La régénération est principalement naturelle, donc au niveau de la biodiversité, on garde toute la génétique des arbres qui étaient sur place. […] On travaille fort, bien. On s’est amélioré, on optimise la matière le plus possible, on diminue la consommation de diesel des machines en forêt, on utilise les drones, le LIDAR, on fait du laser pour évaluer comme il faut la forêt. […] On est tellement des passionnés en foresterie. Sauf que là, tu dis que tu es ingénieur forestier et c’est tout juste si tu ne te fais pas tirer des tomates », souligne-t-elle.

Une industrie extrêmement normée

Mme Lavoie rappelle que dans le système forestier québécois, nombre d’étapes et d’exigences sont à respecter avant d’en arriver à un plan de coupe final, ce dont les gens sont souvent peu conscients. D’abord, la possibilité forestière est établie par le Bureau du Forestier en chef. En second lieu, la Direction des stocks ligneux, un organisme gouvernemental, va déterminer le volume attribuable. « Entre la possibilité forestière et le volume attribuable, ils peuvent retirer, par exemple, des volumes en précaution pour les incendies de forêt ou le caribou forestier, des volumes pour conserver des permis de bois de chauffage pour le public, etc.

Ils vont en retirer aussi pour des affectations de territoire, comme les aires protégées. » Du volume restant, une quantité est conservée pour le Bureau de mise en marché des bois, qui effectue des enchères publiques pour établir le juste prix du bois. Par la suite, dans chaque Unité d’aménagement forestier (UAF), il y a une stratégie d’aménagement qui est établie. Celle-ci permet de répartir les volumes attribuables différents critères, tels que coupe avec protection de la régénération, coupe partielle, pentes fortes, etc.

Le ministère fera finalement une planification respectant cette stratégie d’aménagement, avec des secteurs d’intervention plus précis. « C’est fourni aux entreprises. Dans la banque de secteurs, on a environ trois ans de planification, nous ensuite on sélectionne une programmation annuelle avec la sélection des chantiers où on va aller opérer », ajoute Mme Lavoie, dont le rôle est d’être l’interlocutrice entre le ministère et les entreprises bénéficiaires dans la zone d’intégration de Saguenay, qui correspond à une UAF. Elle doit donc mettre en commun les choix des 18 entreprises ayant des volumes sur ce territoire, afin de coordonner et valider que les volumes de chacun sont comblés, qu’il n’y a pas de dédoublement et que le tout corresponde à toutes les exigences requises.

La tordeuse, un enjeu de plus

Depuis environ trois ans, les entreprises doivent aussi composer avec les plans spéciaux concernant la tordeuse des bourgeons de l’épinette (TBE). « On doit obligatoirement aller chercher près de 50 % de nos volumes là-dedans. Le ministère nous impose d’aller dans ces chantiers-là. Ça, c’est un défi supplémentaire, parce que souvent on a peu de préavis », mentionne Caroline Lavoie, précisant que c’est ce qui a amené les entreprises forestières à récolter dans les secteurs du lac Kénogami et de Péribonka, par exemple.

C’est que ces secteurs sont désignés prioritaires pour éviter le « gaspillage » et éviter la mortalité et la perte de fibres. « En plus de la perte de matière ligneuse, on se retrouve avec un terrain parfait pour les feux. Quand le bois est sec… Les arbres vont rester debout, morts, pendant des années. […] Et lorsqu’ils restent debout longtemps, l’aménagement forestier est impossible. Si on n’intervient pas, le retour de la régénération est plus long », fait remarquer l’ingénieure forestière.

Régénération naturelle

Caroline Lavoie explique que la forêt boréale québécoise est un système équien. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une forêt où pratiquement tous les arbres sont à la même hauteur. « Notre système de régénération naturelle, c’est qu’il y a de grosses perturbations, comme les feux ou les épidémies, où il y a une mortalité soudaine d’un grand nombre d’arbres. Ça va créer de la lumière, réchauffer le sol et créer une régénération. Pour avoir une régénération comme ça, ça prend de la lumière qui se rend au sol. S’il y a encore des branches, un couvert d’arbres morts toujours sur pied, la lumière ne se rend pas assez, le sol ne se réchauffe pas assez, et ça ne donne pas des conditions gagnantes pour la régénération. »

Champions de la biodiversité

L’ingénieure forestière rappelle qu’au Québec, de nombreuses normes sont en place pour favoriser la régénération naturelle, préserver la qualité de l’eau et protéger les propriétés du sol, ce qui favorise le maintien de la biodiversité. Sur 75 % des sols dans les chantiers de récolte, il n’y a aucun passage de machine. Les entreprises ne peuvent pas non plus intervenir à moins de 20 mètres des ruisseaux.

« On est très performants. Je pense qu’on est en avance sur beaucoup de monde. […] Les pays scandinaves ont l’air bons, mais au niveau de la biodiversité, on est meilleurs qu’eux. Ils font beaucoup plus de volume par superficie, mais ce sont des monocultures et il n’y a plus de biodiversité. Au Québec, il y a du cerisier, des framboises, du bleuet, un paquet de choses qui ne servent pas à l’industrie forestière, mais qui servent pour conserver la biodiversité. Ça va servir à nourrir le lièvre ; si tu as du lièvre, tu vas avoir du renard, du lynx… »

Plus d’autonomie

Caroline Lavoie souhaiterait finalement que les ingénieurs forestiers aient plus d’autonomie et de flexibilité au sein du régime forestier. « On a un ordre professionnel, mais l’imputabilité professionnelle qui accompagne normalement une signature, une décision qu’on prend, le régime forestier est tellement normatif qu’on ne peut pas déroger. Le cadre normatif est très uniforme, alors que les régions forestières sont très différentes. […] On ne peut plus dire, en tant qu’ingénieur forestier, que ça ici, je devrais le faire de cette façon-là. Ce serait plus intelligent de faire comme ça, mais on doit respecter le cadre. Ça fait plusieurs années qu’on demande que notre imputabilité professionnelle soit mise de l’avant. Laissez-nous appliquer nos connaissances, laissez-nous porter un jugement professionnel sur ce qui est vraiment meilleur pour le territoire, pour la forêt. […] On a les deux mains dedans, mais c’est quelqu’un qui est dans un bureau à Sainte-Foy qui va nous dire comment faire notre travail », conclut-elle.

ZI Saguenay, des enjeux particuliers

La région du Saguenay–Lac-Saint-Jean compte trois zones d’intégration (ZI), dont deux au Lac-Saint-Jean. Celles-ci couvrent cinq Unités d’aménagement forestier (UAF), dont une correspond à la Zone d’intégration Saguenay.

Selon Caroline Lavoie, ingénieure forestière et représentante des bénéficiaires pour la ZI Saguenay, celle-ci possède des particularités et enjeux qui lui sont propres et qui diffèrent légèrement de ceux des autres zones de la région. Notamment, elle comprend 18 entreprises, comparativement à cinq ou six dans les autres ZI.

De plus, il y a de très petites à de très grandes scieries, avec des entreprises qui ont aussi des garanties d’approvisionnement au Lac-Saint-Jean. Il y a donc beaucoup d’hétérogénéité. « Ça augmente le défi d’intégration de tout le monde », note Mme Lavoie.

Par ailleurs la forêt est très fragmentée et il y a beaucoup d’usagers sur le territoire, tels que ZEC, pourvoiries, détenteurs de baux et villégiateurs, la SÉPAQ, etc. « Il y a beaucoup d’harmonisation et de discussions à faire avec les différents usagers », souligne-t-elle. Les entreprises doivent diffuser leurs calendriers, avertir les trappeurs deux semaines à l’avance, etc. « L’harmonisation opérationnelle, il y en a partout au Québec, mais à Saguenay on en a plus à faire », conclut-elle.

L’industrie forestière québécoise en chiffres

En 2019

60 000 emplois

220 communautés

2 880 M$ en salaires

9 610 M$ en exportations

6 045 M$ de PIB

Les forêts du Québec

905 800 km2 de forêts

2 % des forêts mondiales

92 % des forêts québécoises sous responsabilité de l’État

Source: MFFP

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