Bien avant le tournant des années 2000, un grand nombre d’organisations, d’économistes et de spécialistes multipliaient les mises en garde face au défi démographique qui attendait le Québec. On s’inquiétait du vieillissement de la population, de la diminution prévisible du nombre de travailleurs et de l’accroissement des coûts de santé pour des aînés.
Malgré les mises en garde, ces soucis paraissaient très lointains, voire futuristes, tant ils nous renvoyaient au futur.
Mais nous y voici.
Depuis 2014, la population active du Québec diminue chaque jour au lieu d’augmenter, avec moins de travailleurs disponibles à l’emploi. Le taux de chômage atteint un plancher dangereux à 4,5 %, le plus bas taux des 50 dernières années, amplifiant une crise de main-d'œuvre qui ne fait que commencer, avec près de 280 000 postes vacants.
Pendant ce temps, la population vieillit. Le nombre de personnes de plus de 75 ans au Québec augmente et aura doublé d’ici 2040, celui des 85 ans et plus devrait tripler sur la même période. La pression sur les coûts du réseau de la santé, déjà énorme, continuera de gonfler jusqu’à dépasser les limites de notre croissance économique d’ici 20 ans.
Dans une étude publiée cette semaine, le Conseil du patronat du Québec (CPQ) se penche sur ce phénomène et tire, à nouveau, la sonnette d’alarme. Nous avons donc émis 29 recommandations sur les moyens d’éviter le pire et de tirer bénéfice de la situation.
Nous avions déjà publié cet été 10 recommandations pour corriger le tir quant à la pénurie de travailleurs. Ces moyens énoncés pour augmenter le bassin de main-d’œuvre permettraient d’éviter une catastrophe économique potentielle, notamment en régions.
Maintenant, il faut s’attarder aux enjeux du vieillissement eux-mêmes. Le visage du Québec est en train de changer et il faut préparer le terrain à ce virage démographique majeur.
En gros, notre questionnement est simple : prenons-nous suffisamment soin de nos aînés actuels et futurs? Mettons-nous tous les efforts en place pour qu’ils demeurent actifs et vieillissent en santé? Et surtout, avons-nous les moyens de nos ambitions ?
D’entrée de jeu, au Québec, la société en fait trop peu pour encourager ses travailleurs expérimentés à rester ou retourner au travail s’ils le désirent. Le taux d’activité des 60-64 ans n’est que de 52 % comparativement à 57 % en Ontario et 58 % dans le reste du Canada, ou même 71 % au Japon et 74 % en Suède.
Pourtant, un aîné sur quatre croit que le maintien d’un lien d’emploi est une priorité afin de rester actif et vieillir en santé. Ce n’est donc pas par manque d’intérêt. Il faut leur faciliter la vie : par exemple en améliorant le crédit d’impôt pour prolongation de carrière, en permettant l’arrêt des cotisations au RRQ après 65 ans, ou en offrant une réduction des cotisations salariales pour les employeurs de ces travailleurs.
Une même proportion d’aînés est d’avis que donner ou recevoir de la formation devrait être un élément à prioriser auprès des aînés. On le sait, il n’est jamais trop tard pour apprendre, d’autant plus que cela brise l’isolement et met à contribution le savoir de chacun. C’est aussi logique que nécessaire.
Quant aux services et aux soins, il faut notamment favoriser le maintien à domicile, quel que soit le domicile, et optimiser l’apport de chacun des acteurs et partenaires pour répondre adéquatement aux besoins multiples des aînés de façon efficiente. Il faut documenter les obstacles qui restreignent la disponibilité des ressources humaines en santé pour les lever et introduire davantage de flexibilité dans l’organisation du travail.
Pour pallier au financement, il faut entre autres modifier la formule du Transfert canadien en matière de santé afin que son calcul tienne compte non pas de la population totale d’une province, mais de la population par tranche d’âge.
Bref, nos recommandations touchent autant les pouvoirs publics, le milieu des affaires que la population en général. Tous doivent comprendre qu’il s’agit d’un enjeu urgent et que notre responsabilité est collective.
Bien que nous soyons en retard, il n’est pas trop tard, à condition que chacun joue son rôle.
Karl Blackburn, président et chef de la direction du CPQ
Norma Kozhaya, vice-présidente à la recherche et économiste en chef du CPQ