Par Catherine Gagnon, chargée de projets créatifs
Un processus créatif et collaboratif suit rarement des étapes de A à Z. Les acteurs de l’écosystème artistique, artistes et agents de l’effervescence culturelle, connaissent bien les aléas d’une démarche collective. On pourrait même dire qu’ils en sont experts: troupe de danse, de théâtre, regroupement de centres d’artistes, band de musique, orchestre symphonique, collectif, etc. Présentement, dans la communauté artistique du Saguenay–Lac-Saint-Jean, sept organisations culturelles mettent en pratique un modèle de collaboration: la mutualisation. Par le biais de la création de ce regroupement sectoriel (art et culture) et multidisciplinaire (arts visuels et numériques, cinéma, lettres et musique), leur objectif est de trouver des solutions collectives et pérennes à différents problèmes organisationnels, dont les ressources financières, matérielles et humaines.
À premier abord, nous pourrions soupçonner une simple économie d’échelle. Cette perspective est limitante. Dans le secteur artistique et culturel, la notion de qualité prévaut sur l’économie de temps et d’argent. On peut penser aux artistes qui créent des œuvres pour une esthétique et un concept de qualité, non seulement avec une intention de production à tout prix. Les agents culturels inventent des stratégies par nécessité de se renouveler constamment et d’offrir les meilleures conditions d’accueil des artistes et de leurs œuvres. En choisissant la mutualisation, le regroupement explore les limites d’une économie d’échelle. Ils vont au-delà. C’est un changement organisationnel dans le milieu. Ils font des investissements communs, selon des priorités prédéfinies ensemble, par exemple, des ressources humaines mutualisées, et supportent leur communauté avec un parc d’équipements numériques partagé. Par ce truchement, de nouveaux financements publics sont possibles grâce à cette communauté de partage d’expertises et permettent des revenus autonomes avec le développement d’un panier de services. Parler d’une économie de partage et collaborative serait plus juste.
Après plusieurs expériences de projets communs, les membres du regroupement arrivent à mieux se comprendre et à se connaître. La volonté de réciprocité et l’aspect humain sont au cœur de cette démarche, sans quoi il serait impossible d’investir dans le fameux « pot commun ». Mutuellement, les membres augmentent leur potentiel d’empathie et testent des visions convergentes qui soulèvent parfois leurs divergences. Une mise en abîme du regardeur regardé. Reconnaître aussi en l’autre des capacités hautement distinctives, voire supérieures, n’est plus une menace dans le processus de mutualisation, mais une réelle opportunité. Le développement stratégique, les réseaux, le positionnement politique, les planifications opérationnelles et la marque employeur sont des éléments d’amélioration perpétuelle pour tous gestionnaires de projets créatifs. C’est un passage de l’ère de la compétition à l’ère de la collaboration.
Toutefois, dans la plupart des secteurs, il faut s’attendre à une résistance aux changements. Cette citation d’Arthur Schopenhauer l’exprime particulièrement bien : “Toute vérité franchit trois étapes : d’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence.” Le milieu culturel dispose d’un “joker” pour pallier cet aspect itératif: une démarche artistique se répète pour se renouveler, devenir meilleure et s’améliorer continuellement. Les porteurs de ballons doivent incarner une confiance et une tolérance aux risques. À terme, malgré un nombre incalculable d’itérations, la vision aura été porteuse et son application sera totalement inusitée, émergente et rafraîchissante. La créativité n’est pas garante de l’innovation, mais les processus créatifs le sont. Chaque projet dans une boîte culturelle est une nouvelle entreprise. Combien de champs des possibles explorés, de laboratoires expérientiels mis sur pieds, de Cirque du Soleil partant de zéro et de Xavier Dolan critiqués ? Cette prérogative de la démarche artistique confère à la gestion d’organismes culturels un atout d’un genre inédit.
Donc, voulez-vous maintenant établir une mutualisation comme processus créatif dans le développement stratégique de votre entreprise ? Placez-vous au-dessus de la forêt ! Ne restez pas dans les aspects concrets de la réalité, ils viendront bien assez rapidement. Ayez une vision claire de cette alliance collaborative et créatrice des fondations de votre mission. Restez ouverts aux changements. Créez un écosystème digne de la forêt la plus abondante. Entourez-vous des meilleurs. Favorisez les heureux hasards. Cultivez sans cesse l’audace de travailler autrement.