N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : Équipementiers et fournisseurs, rouages essentiels de notre économie, publié dans notre édition du mois de mars.

SAGUENAY – Alors que l’Industrie 4.0, le virage numérique, est toujours en cours, on commence déjà à parler de la cinquième révolution industrielle. Reprenant les principes de base du 4.0, l’Industrie 5.0 y ajoute l’humain et le développement durable, en les plaçant au cœur de l’équation.

Le concept en est à ses balbutiements et est un phénomène principalement européen actuellement. Selon Louis Duhamel, conseiller stratégique chez Deloitte, le Québec aurait cependant tout intérêt à s’en préoccuper. "L’Industrie 4.0, c’était bien, mais c’était une œuvre incomplète et inachevée. […] Le 4.0, c’était des technologies exponentielles. Ça va vite et c’est puissant. Mais c’est uniquement à propos de la technologie, mais ce n’est pas soutenable si on ne pense pas aux deux autres angles de l’équation [l’humain et la planète NDLR]", souligne-t-il. 

La Commission européenne estime ainsi que l’Industrie 5.0 vient complémenter sa prédécesseur, en "mettant la recherche et l’innovation au service d’une transition vers une industrie […] durable, centrée sur l’humain et résiliente." Il ne s’agit donc pas seulement de songer à la compétitivité de l’entreprise. "Ce qui rend le 5.0 encore plus puissant, c’est que le prisme d’une décision, par exemple pour un investissement dans n’importe quel département de l’entreprise, va se faire en vérifiant si c’est bon pour l’entreprise, l’humain et la société, ainsi que pour la planète. Les choix devront donc aller dans le sens des trois aspects", précise M. Duhamel.

Exemple concret

Le conseiller stratégique donne l’exemple d’une entreprise dont la production générait des émanations de certaines molécules nuisibles à l’humain. Les dirigeants ont été proactifs dans la recherche d’une technologie propre, qui permettait de détecter s’il y avait ces émanations dans l’air. L’organisation a ainsi investi dans une jeune pousse qui avait développé cette technologie.

"Il s’agit de capteurs sophistiqués qui avertissent immédiatement s’il y a des émanations, puis ça passe dans un filtre qui corrige la situation. C’est donc bon pour l’humain parce que ça protège la santé des employés. C’est bon pour la société, puisqu’on a aidé une jeune PME à avoir son premier client. On sauvegarde aussi l’environnement direct de l’usine en empêchant les molécules d’être libérées dans l’air extérieur. Finalement, la technologie d’avant-garde préserve le capital réputationnel de l’entreprise. C’est gagnant à tous points de vue", illustre-t-il. 

L’humain comme guide

En offrant une approche à 360 degrés, l’Industrie 5.0 mise sur l’aspect humain, plutôt que de se concentrer uniquement sur la technologie. Pour Louis Duhamel, c’est ce qui manquait au 4.0. "La transition 4.0 ne progresse pas à la bonne vitesse parce que l’humain n’est pas au centre de cette évolution", évalue-t-il, ajoutant que la formation des travailleurs n’est pas à la hauteur actuellement en ce qui a trait au rehaussement des compétences ou à la requalification des salariés.

La philosophie de l’Industrie 5.0 reconnaît quant à elle que l’humain est l’atout principal d’une organisation et lui redonne la place centrale dans les décisions. Elle prend en compte les connaissances des employés pour favoriser de meilleures interactions et une plus grande collaboration entre eux et les nouvelles technologies. 

Migration essentielle

Louis Duhamel considère qu’il est impératif que l’industrie québécoise migre vers le 5.0. Il rappelle que le secteur industriel est le premier consommateur d’énergie de la province et le deuxième producteur de gaz à effet de serre. "Le manufacturier a des risques réputationnels. Il y a des possibilités qu’il ne soit pas vu comme un bon domaine à développer, même s’il génère beaucoup de richesses. Il doit montrer patte blanche et démontrer qu’il peut être un acteur sociétal et non seulement économique", affirme-t-il. 

Le conseiller stratégique se dit conscient que les entreprises manufacturières n’ont jamais eu autant de défis à gérer en même temps et que cela peut en rebuter certains. Il cite notamment les incertitudes économiques, la fragilité des chaînes d’approvisionnement, la pénurie de main-d’œuvre ainsi que l’environnement et les crises climatiques. Il croit toutefois que l’Industrie 5.0 peut répondre à plusieurs de ces enjeux en les regroupant en un seul élément. Les solutions seraient donc plus faciles à implémenter qu’en évaluant chaque point individuellement. 

Bien outillée

Par ailleurs, l’industrie manufacturière est bien outillée pour effectuer cette transformation. "C’est un secteur très organisé. […] Il y a un processus d’amélioration continue, des exercices pour augmenter l’efficacité. C’est déjà dans leur ADN de mettre en place de nouveaux procédés ou façons de faire", indique Louis Duhamel. 

Celui-ci pense que l’Industrie 5.0 peut tout à fait devenir une culture d’entreprise. Le processus devra partir du haut et éviter le mur à mur. "Il faut que la haute direction y croie. Ensuite, ce ne sera pas difficile de faire descendre ça, puisque les organisations sont en rajeunissement de leurs effectifs. Ce sont des choses nobles qui vont être bien vues par ces employés."

Selon M. Duhamel, c’est maintenant que le virage 5.0 doit se faire. "Ça ne peut pas attendre. Comment allons-nous atteindre nos cibles climatiques si les entreprises ne se mettent pas de la partie ? Même si elles sont dans vingt ou trente ans, il faut commencer tout de suite", conclut-il. 

Controverse

Il existe une certaine controverse quant à savoir si l’Industrie 5.0 constitue une véritable révolution industrielle, puisque l’écart de temps entre sa naissance et celle du 4.0 est très faible par rapport aux évolutions précédentes. Louis Duhamel juge pour sa part que la progression technologique exponentielle actuelle entraînera simplement un registre de temps plus court entre les révolutions.