N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : Équipementiers et fournisseurs, une synergie à créer publié dans notre édition du mois de mars.
SAGUENAY – Les produits et l’expertise unique de plusieurs équipementiers et fournisseurs sont recherchés partout à travers la planète. Mais comment ces PME du Saguenay–Lac-Saint-Jean en sont-elles arrivées à rivaliser avec des entreprises à l’échelle mondiale ? Tour d’horizon avec trois fleurons d’ici.
Produits Gilbert
Fondé en 1986 par Sylvain Gilbert, l’équipementier de Roberval a rapidement évolué vers la fabrication de têtes d’abattage et de surfaceuses pour les sentiers de motoneige, avant de lancer ses premiers modèles de raboteuses dans les années 90. Jusqu’aux années 2000, elle vendait principalement au Québec, avec de premières exportations vers les États-Unis en 1996.
C’est en 2001 que les choses changent. « M. Gilbert a décidé de suivre des cours d’anglais au Cégep de Jonquière dans le but d’apprendre cette langue, mais aussi de l’améliorer au sein de son entreprise pour s’ouvrir aux marchés anglophones. Moi, j’étais sa professeure et c’est comme ça qu’il m’a recrutée pour développer le commerce à l’extérieur du Québec », raconte Heidi Danbrook, aujourd’hui directrice des ventes.
Les premières ventes de la division scierie ont eu lieu en Ontario en 2002, puis en Colombie-Britannique en 2003. « Nous avions des machines dans de grosses usines. La clientèle européenne en entendait parler, ce qui fait que des gens de l’Allemagne et de la Suède nous ont contactés en 2005 », explique Mme Danbrook.
Aujourd’hui, Produits Gilbert exporte dans plus d’une vingtaine de pays avec ses quatre divisions (la Construction s’est ajoutée en 2014). La clé du succès, selon Heïdi Danbrook, c’est d’avoir une vision et de ne pas considérer les distances, mais plutôt les occasions d’affaires. Ainsi, afin de réaliser les premières ventes à l’extérieur du Québec, l’équipe n’a pas hésité à faire venir les dirigeants de Bowater Thunder Bay pour qu’ils puissent observer leur raboteuse en fonction aux Chantiers Chibougamau. « Ils ont vu qu’on avait une excellente machine, alors ils ont annulé leur bon de commande avec une autre entreprise pour choisir la nôtre », précise Heidi Danbrook.
Elle estime qu’il faut savoir chercher les bons marchés et posséder une ouverture d’esprit pour réussir à l’international. « Ça prend une capacité à s’adapter à différents pays, à leurs langues et à leur culture. […] Nous traduisons le plus possible nos manuels dans la langue du pays où nous vendons. […] Frank Gilbert, le directeur général actuel, a appris le portugais. Moi, j’étudie l’allemand », conclut-elle.
STAS
STAS a fait ses débuts il y a 35 ans, grâce à une occasion d’affaires générée par Alcan (maintenant Rio Tinto). « Le fondateur, Pierre Bouchard, a signé une entente avec eux pour fabriquer les équipements développés par le centre de recherche d’Alcan pour améliorer le procédé de production de l’aluminium. Nous avions un droit de licence pour réaliser leurs appareils », révèle Jean-Michel Goupille, co-directeur général.
STAS a rapidement eu de la demande à l’international. « Alcan était déjà une entreprise mondialement connue. Ça n’a pas été long avant d’avoir des clients qui voulaient nos équipements en Europe, en Asie et au Moyen-Orient. […] Nous avions des licences exclusives, donc plusieurs alumineries nous couraient après », souligne M. Goupille, pour qui la force de STAS réside encore aujourd’hui dans la haute performance de ses produits.
Quelque 80 % du chiffre d’affaires de l’entreprise est maintenant réalisé à l’international. Pour y arriver, le co-directeur général estime qu’il faut avoir le courage de voir grand et viser une importante portion des recettes en provenance des exportations. « C’est très difficile de commercer à l’international. Ça demande beaucoup de compétences et de ressources qui ont les connaissances pour le faire », mentionne-t-il.
Jean-Michel Goupille rappelle que faire des affaires partout dans le monde vient avec des risques, qu’ils soient géopolitiques, logistiques, culturels, etc. L’entreprise en a eu l’expérience lorsque la Russie, qui constituait une grosse proportion de son chiffre d’affaires et de ses prévisions de ventes, a déclaré la guerre à l’Ukraine. « Du jour au lendemain, les contrats en cours arrêtent là où ils en sont. Nous avions des gens en Russie en train de réparer des machines, nous avions des équipements sur le bateau, d’autres en conception, chez nos fournisseurs ou dans l’atelier », dévoile-t-il.
Au final, la rentabilité a été affectée à court terme, mais cela n’a pas mis STAS en péril, notamment grâce au processus de gestion de risque effectué sur une base trimestrielle et ses exportations diversifiées dans plusieurs pays. « S’il y a une chose à retenir de ça, c’est qu’être à l’international implique de ne plus avoir le contrôle sur tout. On l’a vu aussi avec les problèmes des chaînes d’approvisionnement lors de la pandémie », fait valoir M. Goupille. Cette expérience n’a pas refroidi l’entreprise dans sa volonté d’exporter, mais l’équipe est plus consciente de l’impact réel et de l’importance des exercices de gestion de risques réalisés.
EPIQ Machinerie
EPIQ Machinerie est né de la fusion de la saguenéenne MECFOR et d’Advanced Dynamics de Saint-Bruno-de-Montarville. En 1999, quand la cheffe de la direction, Éloïse Harvey, a joint les rangs de MECFOR, Alcan regroupait environ 90 % du chiffre d’affaires de la PME. L’entreprise a d’ailleurs fait ses débuts en développement des équipements main dans la main avec l’aluminerie. « Aujourd’hui encore, cette relation avec la grande industrie est fondamentale. Elle nous ouvre ses portes pour tester des produits et permettre à des clients potentiels de les voir en service », précise Mme Harvey.
Lors de la fusion de MECFOR et d’Advanced Dynamics en 2021, les deux PME exportaient déjà. Les revenus consolidés de la PME s’établissaient à 55 M$. Ils ont doublé depuis de façon organique. « Nous avons tiré avantage de cette fusion. Nous nous positionnons comme le plus gros équipementier pour les alumineries au Canada. Ça nous a permis d’atteindre une masse critique pour nous organiser de la même manière qu’une grande entreprise », confie la cheffe de la direction.
La croissance mondiale s’est accélérée, avec maintenant 70 à 75 % du chiffre d’affaires à l’exportation. La tactique de développement d’EPIQ a aussi été modifiée. « Dans le passé, pour l’internationalisation, l’équipe québécoise se déplaçait dans différents pays. Aujourd’hui, nous avons une stratégie de proximité. Par exemple, notre unité de production en Inde est devenue une entité à part entière, avec de l’ingénierie, des ventes, etc. Elle développe ses clients locaux et connaît sa propre croissance », explique Éloïse Harvey.
EPIQ Machinerie vient également d’ouvrir un bureau au Moyen-Orient, dans le même objectif. « Nous souhaitons établir une force de vente, de service et de support sur place, ainsi que la capacité à développer des projets avec les spécificités du milieu. […] Ces filiales vont continuer à avoir la gestion d’EPIQ, nos façons de faire et nos hauts standards, tout en conservant une saveur locale », déclare Mme Harvey. L’objectif en 2024 sera de faire la même chose en Europe. « Nous avons déjà un département de pièces et de services en France et nous voulons le grossir pour créer une succursale complète », ajoute-t-elle.
La cheffe de la direction vise les États-Unis pour 2025. « Avoir des filiales opérantes dans les pays où l’on vend permet d’augmenter la satisfaction de la clientèle. Il ne faut pas oublier l’aspect géopolitique et la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales. […] En se positionnant près des clients avec des unités capables de livrer des projets localement, ça élimine un peu cette incertitude », rappelle Éloïse Harvey.