SAGUENAY – Avec la normalisation du télétravail depuis quelques années et la multiplication des situations complexes concernant l'analyse de rendement des employés, quelles sont les limites d'un employeur face à la collecte et la surveillance de ses employés ? L'avocate spécialisée en droit du travail, Marie-Claude Néron, fait le point sur la question.

N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : Formation et main-d'oeuvre, un milieu en évolution, publié dans notre édition du mois d'août.

"Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que l'arrivée du télétravail a bouleversé le monde du travail avec la pandémie. Employeurs et salariés ont dû s'adapter très rapidement. Les règles s'appliquent de la même manière que pour les fouilles et la filature. Le fait qu'il y a des logiciels de surveillance n'a pas changé l'univers du droit. Le droit du travail reste toujours du cas par cas, et il est rare qu'on puisse dire qu'un employeur peut tout faire en toute circonstance", indique Me Néron de la firme Tremblay Parent, avocates et avocats.

Surveillance raisonnable

Dans un contexte de travail à distance et de gestion des ressources, l'avocate rappelle qu'une mesure de surveillance ne pourrait pas s'appliquer à l'ensemble des salariés, uniquement parce que quelques employés sont pointés du doigts par des lacunes ou possibles manque de productivité. "La surveillance doit être directement reliée au problème en cause. Par exemple, si un employé est suspecté de ne pas travailler réellement, l'employeur ne peut pas simplement fouiller ses textos et courriels sans lien avec la performance au travail. Vérifier les conversations sur un logiciel de travail peut être logique, mais il doit y avoir un lien entre le moyen de surveillance utilisé et le problème qu'on souhaite résoudre. Le moyen doit être le moins invasif possible", mentionne celle qui accompagne des employeurs en droit du travail.

L'augmentation des outils numériques utilisés par les effectifs et des problèmes spécifiques ne peuvent pas justifier une surveillance permanente et dirigée auprès de tous les salariés, rappelle Marie-Claude Néron. "Il n'est pas justifié d'appliquer des mesures de surveillance à tous les employés s'il y a un problème avec uniquement 2-3 personnes. Si un employeur souhaite surveiller tous les employés, il devra le démontrer et ne peut pas s'appuyer sur des raisons économiques, comme le fait de ne pas atteindre des objectifs. Les employés qui pourront être surveillés sont ceux qui ont des problèmes identifiés, mais il faut toujours s'assurer d'avoir un motif raisonnable ", indique-t-elle. 

Comme motif raisonnable, elle ne croit pas que l'utilisation de logiciels détection de mouvement de souris soit approprié, car il pourrait y avoir plusieurs motifs pouvant justifier qu'un salarié ne travaille pas devant l'écran. "La personne pourrait être en train de lire un document, être au téléphone avec un client ou réaliser toute autre tâche reliée à son travail. [...] Un employeur ne pourrait pas non plus justifier une surveillance sans motif ou parce qu'il perd de l'argent. Il doit fonder ses raisons sur des motifs valables, mais aussi les documenter ", rappelle Me Néron.

La surveillance des systèmes doit être encadrée

Au-delà de la surveillance des gestes des employés, un milieu de travail peut surveiller la sécurité et l'intégrité de ses systèmes. Avant toute chose, un contrat clair doit être signé par chaque membre du personnel pour encadrer cette pratique. "L'usage de VPN et les vérifications à distance des ordinateurs de tout le monde relèvent de la sécurité du système. Il est recommandé aux employeurs d'avoir une politique claire sur la surveillance, indiquant que les outils appartiennent à l'employeur et que la vie privée des employés est restreinte sur ces outils. La première chose à déposer en preuve pour légitimer une filature ou une fouille est de démontrer un motif sérieux", explique-t-elle.

Elle prend en exemple une entreprise ayant eu à justifier la captation d'informations précises sur l'utilisation des appareils. "Au bureau, les employés ont une expectative de vie privée moindre par rapport à la maison, où la frontière entre vie professionnelle et personnelle est plus floue. Prendre un salarié dans sa sphère personnelle est risqué. Par exemple, surveiller tous les employés pour voir qui consomme le plus d'Internet et cibler ensuite ceux-ci pour vérifier l'historique de navigation a été jugé correct dans certains cas."

Pour l'avocate, la mesure qui demeure la plus efficace pour un patron est d'avoir une communication efficace avec son équipe. "Lorsqu'un employeur remarque une baisse de productivité, il pourrait envisager des rencontres quotidiennes pour faire des suivis, ce qui est beaucoup moins intrusif que de surveiller les écrans en temps réel. Des méthodes comme la capture d'écran ou la webcam en temps réel sont très intrusives, donc il faut chercher des moyens moins invasifs. Utiliser un logiciel pour surveiller le mouvement de la souris n'est pas très représentatif de la productivité, car si un employé lit un document, cela ne signifie pas nécessairement qu'il ne travaille pas", conclut-elle.