N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : Formation et main-d'oeuvre, un milieu en évolution, publié dans notre édition du mois d'août.

SAGUENAY – En matière d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI), il n’y a pas de recette magique applicable à toutes les organisations. Les entreprises qui s’engagent sur ce chemin doivent se rappeler qu’il s’agit d’un processus à long terme et se baser sur leurs forces et leurs valeurs pour mettre en place une vision stratégique, selon plusieurs expertes. 

« Construire un environnement inclusif, c’est très long. On ne peut pas s’imaginer que ça va être réglé en six mois », affirme d’emblée Martine Lafrance, conseillère en ressources humaines agréées, consultante en EDI et propriétaire de la firme Inclusio conseils.

Celle-ci explique que le processus va dépendre de l’organisation, de sa taille, de ses ressources et de sa réalité. La première chose qu’elle suggère à ses clients de se demander, c’est pourquoi ils entreprennent cette démarche. « Quand on le fait par conviction, parce que c’est dans nos valeurs, c’est la meilleure raison. C’est là qu’on va construire quelque chose de plus durable », lance-t-elle. 

Caroline Rhéaume, gestionnaire des ressources humaines (RH) au Groupe Inclusia, organisation saguenéenne spécialisée en employabilité et développement RH, ajoute qu’il est important pour les entreprises de définir ce que l’EDI veut dire pour elles. « Une fois qu’on donne un sens et une signification à ces mots, c’est là qu’on va décider quels sont les comportements que nous souhaitons voir apparaître dans notre quotidien. Ça va nous guider pour les actions qu’on va faire », souligne-t-elle. 

Les dirigeants se doivent ensuite d’analyser les pratiques organisationnelles existantes, les individus qui composent leurs équipes, les problèmes rencontrés. « Une bonne façon de faire peut être de réaliser un sondage sur le climat EDI de l’entreprise. Ça va nous donner une vision globale qui va nous permettre de savoir ce qu’on va prioriser et vers où on veut aller », mentionne Mme Lafrance.

La diversité, déjà présente

Selon les deux expertes, la diversité est déjà présente dans les entreprises. « À la base, nous sommes tous des individus différents. Nous n’avons pas tous le même sexe, le même statut social, les mêmes valeurs, les mêmes compétences. Nous n’avons pas un parcours académique identique ou encore des expériences ou des croyances semblables », rappelle Mme Rhéaume. La diversité peut aussi être présente sans qu’on s’en rende compte : neurodiversité, proches aidants, monoparentalité, difficultés financières, etc. 

Or, ce ne sont pas toutes les entreprises diversifiées qui sont inclusives. « Pour être inclusif, il faut que tu travailles l’équité, qu’il y ait des adaptations, des accommodements. Il s’agit d’aller chercher des moyens de transformer l’environnement pour que n’importe qui s’y sente inclus », estime Martine Lafrance. « C’est une gestion qui prend en compte les besoins de chacun et de l’organisation. […] L’équité, ce n’est pas traiter les demandes de tout le monde de la même façon, mais de voir comment, dans mon cadre, je peux les analyser pour me rapprocher des besoins individuels sans brimer ceux des autres. […] Le changement optimal répond à une variété de besoins », renchérit Caroline Rhéaume.

Pour elle, l’EDI est une coresponsabilité des dirigeants et de tous les salariés. Martine Lafrance abonde également dans ce sens. « C’est important que les employés fassent partie de la réflexion. […] Quand on se penche en équipe sur les accommodements, ça peut être bénéfique pour tout le monde. »

Design universel

Afin d’implanter des pratiques pouvant être profitables au plus grand nombre de salariés, Mélissa St-Louis, CRHA, et Fran Delhoume, copropriétaires de la firme spécialisée en inclusion de la neurodiversité Nüense, suggèrent de se baser sur les principes du design universel. Ceux-ci sont définis par le Universal Design Institute comme l’usage équitable, la flexibilité de l’usage, l’utilisation simple et intuitive, l’information claire et compréhensible, la tolérance à l’erreur et un faible effort physique nécessaire. 

« Par exemple, des pratiques qui vont aider une personne qui a un enjeu de mémoire de travail pourraient aussi être bénéfiques à un travailleur qui a des problèmes de sommeil, à un nouveau parent ou à un individu qui est en apprentissage de la langue », illustre Mme Delhoume.

Sa collègue et elle recommandent également d’adopter une approche de gestion par les forces, plutôt que de cibler les défis des salariés. « C’est une des bonnes pratiques documentées et reconnues qui n’est pas spécifique à la neuroinclusivité. Souvent, on va pointer les lacunes de l’employé et les choses à améliorer. L’approche par les forces va voir comment on peut leur donner de la place et les utiliser pour contrebalancer les défis. On peut aussi observer comment les forces d’une personne peuvent venir compenser les défis d’une autre », explique Mme St-Louis. 

Dans tous les cas, les deux expertes rappellent que l’EDI est évolutive et qu’il s’agit d’un parcours qui n’est jamais vraiment terminé. « C’est une trajectoire, plus qu’une destination », conclut Fran Delhoume.

Des exemples concrets

Pour les entreprises qui se demandent quelles pratiques pourraient être pertinentes en matière d’EDI, dans une approche d’accès universel, les quatre expertes ont présenté quelques exemples concrets. Elles rappellent que plusieurs mesures ne demandent pas d’investissements importants. 

En matière de recrutement, par exemple, on peut s’assurer de revoir les pratiques et de valider si les compétences demandées pour un poste sont vraiment nécessaires. « Il faut porter attention à la manière dont on exprime les critères dans les offres. On peut aussi penser à mettre le nom au féminin en plus du masculin dans la description du métier », propose Martine Lafrance. 

Elle suggère également d’avoir plus d’une personne de l’équipe présente lors de l’entrevue afin de minimiser les biais. « Ça permet de moins se laisser influencer par nos préjugés. » Fran Delhoume et Mélissa St-Louis abondent en ce sens. « Quand tu engages un pâtissier, est-ce que c’est parce qu’il est confiant, souriant et qu’il paraît sympathique ou tu engages le meilleur pour faire de la pâtisserie? », illustrent-elles. 

Elles soulignent que d’opter pour l’approche par compétences permet d’évaluer les candidats de façon plus standardisée, au lieu d’y aller au « feeling ». Dans cette approche, les compétences sont alors déclinées en comportements observables. 

Communication

Du côté de la communication organisationnelle, Mélissa St-Louis et Fran Delhoume encouragent les entreprises à se doter de canaux clairs dès le départ. Il s’agit ici de déterminer de quelle façon (courriel, texto, téléphone, et autres) on communiquera en fonction des situations. Par exemple, les discussions sur les activités d’équipes doivent se faire sur le groupe Messenger, l’envoi de documents importants par courriel, le téléphone pour les urgences seulement, etc. 

Les attentes et les livrables devraient aussi être clairement et précisément établis, de même que les procédures inhérentes à l’entreprise. En ce qui a trait aux congés, Mme Lafrance préconise d’opter pour une banque plutôt que pour des congés à utilisation spécifique. Cette pratique offre plus de flexibilité et permet de répondre à des besoins diversifiés.

Environnement

En ce qui a trait à l’environnement, les investissements peuvent être plus importants, mais il peut être utile de considérer certains aspects lors d’une construction neuve ou d’une rénovation. « Quand on peut, c’est intéressant de mettre des toilettes séparées, mais mixtes. Tout le monde préfère aller dans une toilette individuelle », indique Mme Lafrance.

Celle-ci prend aussi l’exemple de l’implantation d’une pièce de ressourcement. Ce type d’espace pourrait être utilisé tant par des employés qui souhaitent avoir un endroit pour la prière que par d’autres qui voudraient méditer ou faire du yoga, ou encore par ceux qui ont besoin d’un endroit calme pour se ressourcer pendant leurs pauses. 

Une autre suggestion touche à l’organisation de l’espace. Alors que l’emphase a été mise au cours des dernières années sur les aires ouvertes, Martine Lafrance propose de concevoir les locaux en fonction du type de travail à effectuer : des zones de concentration, d’autres destinées au travail collaboratif et des bureaux isolés pour faire des appels. « Il y a de plus en plus d’entreprises qui aménagent leurs locaux comme ça. Les gens se déplacent d’un endroit à l’autre selon leurs besoins », précise-t-elle.