SAINT-BRUNO - L'industrie du transport routier est une importante émettrice de gaz à effets de serre (GES). À eux seuls, les véhicules lourds constituaient 10,3 % des émissions totales du Québec en 2021, selon les données présentées dans le rapport sur la Décarbonation du transport lourd de marchandises du Comité consultatif sur les changements climatiques. Une situation dont les transporteurs sont conscients, mais pour laquelle les solutions ne sont pas encore complètement abouties.

Le dernier Inventaire officiel des gaz à effets de serre du Canada d'Environnement et Changements climatiques Canada chiffre, pour 2022, les émissions de GES liées aux véhicules lourds à diesel à 6 770 kilotonnes (kt) d'équivalent COet celles pour les véhicules lourds à essence, à 791 kt d'équivalent CO2. Ces données comprennent le transport de personnes, mais les experts du Comité consultatif estiment que celui-ci correspond à en gros à 5 % seulement de ces émissions.

L'Inventaire indique également que les émissions rattachées au transport de marchandises par camions lourds et trains se situent à sept millions de tonnes d'équivalent CO2. C'est toutefois moins que le transport de passager (incluant voitures, camions légers, mobylettes, autobus, train et aérien), qui totalise 20 Mt d'équivalent CO2.

Une industrie consciente

« Vous savez, dans l'industrie du transport, chaque sou est compté. Les transporteurs qui sont écoresponsables ont déjà fait le maximum, je crois, pour être verts. L'industrie travaille beaucoup à réduire son empreinte carbone, malgré le fait qu'on consomme du diesel et qu'on en consomme beaucoup », souligne d'entrée de jeu Martin Laforest, directeur du terminal de Saint-Bruno pour le Groupe Morneau.

Parmi ces efforts, on retrouve des dispositifs qui stoppent automatiquement le moteur du camion après cinq minutes à l'arrêt, la conception plus aérodynamique des remorques, l'utilisation de pneus à bandes larges ou l'implantation de jupes aérodynamiques sur les camions. Les nouvelles technologies, telles que les camions électriques, au gaz naturel ou à l'hydrogène ou les carburants synthétiques, commencent à faire leur apparition, mais présentent tout de même des limites. 

Coûts élevés

Selon M. Laforest, l'un des obstacles majeurs pour les camions fonctionnant à partir d'énergies alternatives est leur coût d'acquisition. Par rapport à un véhicule diesel, celui-ci est près du double (plus de 500 000 $ avant subvention) pour l'électrique et quadruple pour un moteur à l'hydrogène (800 000 $ à 900 000 $). « L'hydrogène est une technologie qui demeure très verte, mais côté rentabilité, c'est difficile. Le prix de l'hydrogène est presque équivalent à celui du diesel. En payant le camion 900 000 $, je n'ai pas de rentabilité. [...] Les clients ne sont pas encore prêts à payer le double pour que leurs marchandises soient transportées avec un camion à l'hydrogène », mentionne-t-il. 

L'autonomie : un enjeu

Du côté de l'électricité, l'autonomie des batteries est également un frein majeur pour l'adoption de cette technologie. « Dans certains endroits, cette application est géniale. Dans la ville de Montréal, ça va avoir plein de sens de le faire avec un camion électrique. Mais sur de longs corridors, actuellement, ça ne fait pas de sens », estime le directeur de terminal.

En ce moment, la logistique du transport routier [voir texte en p.14] fait en sorte que l'usage d'un camion électrique devient plus complexe. Celui-ci ne permet pas la double utilisation (routes locales en journée, grands centres-régions de nuit), puisqu'il devrait être chargé avant de pouvoir repartir. « Avec l'autonomie actuelle, on ne pourrait même pas partir de Saint-Bruno et livrer en camion électrique jusqu'à Normandin. [...] Et puis le réseau de borne n'est pas capable de supporter mon camion », illustre Martin Laforest. 

Ce dernier estime toutefois qu'il y a de belles avancées dans ce domaine et que les choses évoluent rapidement. Le Groupe Morneau possède un camion électrique de première génération acheté à Volvo il y a deux ans. Le véhicule est en activité sur des routes locales à Québec et l'expérience se passe bien. « Il fait ce qu'il a à faire. Il travaille tous les jours. [...] C'est beaucoup de la recherche et développement. Nous y croyons beaucoup et nous investissons dans ces technologies », affirme-t-il.

L'entreprise a également converti la majorité de ses camions gareurs, qui restent dans la cour des terminaux pour placer les remorques au quai et inversement, à l'électrique. Les chariots élévateurs fonctionnent aussi presque tous à l'électricité. « L'électrification a sa place. Elle est très performante sur nos quais et dans nos cours, mais sur la route, il en manque encore un peu », précise M. Laforest, ajoutant que la technologie évolue très rapidement.

Projet de société 

Martin Laforest estime que la décarbonation de l'industrie du transport devra devenir un projet de société. Il croit qu'il serait difficile pour les transporteurs de modifier les itinéraires ou la logistique, surtout devant les exigences des clients et consommateurs d'avoir un délai de livraison court.

« Je ne vois pas comment l'industrie pourrait rapetisser ses parcours pour venir se coller sur l'électrification, par exemple. [...] Tant et aussi longtemps que les gens vont vouloir avoir leurs commandes pour le lendemain, je ne pense pas que le multimodal soit non plus viable dans la consommation quotidienne. Pour des trajets plus longs, oui, c'est plausible », conclut M. Laforest.