SAGUENAY – Une trentaine de modifications importantes à la Loi sur les normes du travail ont été adoptées par l’Assemblée nationale, le 12 juin, et les employeurs devront s’y ajuster. Selon l’avocat spécialisé en droit du travail chez Cain Lamarre, Me Pierre Parent, ce sont les entreprises ayant déjà une convention collective qui ressentiront les impacts les plus forts des mesures liées à la conciliation travail-famille.

Me Parent rappelle que le gouvernement a ajouté la possibilité pour les employés de bénéficier d’un maximum de deux jours de congé payés au cours d’une même année pour cause de maladie ou d’obligation familiale. Au total, 10 jours d’absence pour obligations familiales ou parentales, dont huit non rémunérés, sont prévus.

L’avocat précise que les conventions collectives prévoient souvent des congés mobiles pour lesquels un avis doit être donné d’avance. « Pour modifier la convention collective, [l’employeur] doit le faire par une lettre d’entente signée avec le syndicat. Donc dans un cas où la convention ne prévoit pas déjà qu’un congé mobile peut servir en cas d’obligation familiale ou maladie, il ne pourra pas modifier unilatéralement la convention pour que ce soit le cas et il devra donc accorder deux congés additionnels pour respecter le minimum prévu par la loi, même si dans l’ensemble de la convention il accorde beaucoup plus de congés », indique-t-il.

Un employeur qui n’a pas d’encadrement précis n’a pas les mêmes contraintes. « Un employeur qui n’a pas d’encadrement précis, mais qui offrait déjà des congés mobiles, pourra les modifier unilatéralement pour accorder les deux congés de maladie à l’intérieur de ce qu’il donne déjà », mentionne Me Parent.

Vacances

En ce qui a trait aux vacances, les nouvelles dispositions prévoient trois semaines de vacances après trois années de service continu plutôt que cinq. Cela pourrait avoir un impact financier pour les entreprises, selon leur courbe démographique.

Encore une fois, les entreprises visées par une convention collective seraient plus touchées. En effet, celles qui auraient renouvelé leur convention avant les modifications et qui auraient par exemple accordé un pourcentage en augmentation de salaire et congés sans toucher aux vacances pourrait devoir ajouter un 2 % supplémentaire et imprévu pour tous leurs travailleurs qui ont entre trois et cinq ans d’ancienneté, explique l’avocat.

Disparités de traitement

Les modifications à la Loi sur les normes du travail prévoient également qu’il ne pourra plus y avoir de disparité de traitement fondée uniquement sur la date d’embauche relativement à des régimes de retraite ou d’avantages sociaux pour des salariés qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement. Mentionnons que ces disparités avaient notamment été créées lorsque les régimes de retraites s’étaient trouvés en difficulté, afin de ne pas affecter l’ensemble des salariés. La nouvelle loi prévoit toutefois que les disparités existant avant son entrée en vigueur le 12 juin dernier demeurent valides.

Étalement des heures

Mesure réclamée depuis longtemps par les employeurs, la possibilité d’étaler les heures de travail sur une base autre qu’hebdomadaire sans que l’autorisation de la CNESST soit nécessaire a été ajoutée. La nouvelle mesure vient permettre d’étaler un maximum de 10 heures supplémentaires sur une période allant jusqu’à quatre semaines s’il y a entente entre l’employeur et l’employé, à condition que la moyenne des heures de travail soit équivalente à la norme prévue dans la loi. « Pour les travailleurs sur des quarts de travail en continu, ça permet d’aménager des horaires de travail avec des semaines qui comportent plus de 40 heures, en réduisant le temps supplémentaire payable », illustre l’avocat, qui mentionne également les travailleurs saisonniers oeuvrant pour des entreprises dont les occupations doivent suivre la météo. « Ça apporte une flexibilité que l’employé va apprécier aussi. […] Par exemple, pour se qualifier pour l’assurance-emploi, ça peut être avantageux puisque la qualification se fait en termes d’heures », ajoute Me Parent.

Harcèlement psychologique : politique obligatoire

Les employeurs devront se doter d’une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes d’ici le 1er janvier 2019, selon la nouvelle mouture de la Loi sur les normes du travail. Cette politique devra inclure un volet concernant les conduites de harcèlement qui se manifestent par des paroles, actes ou gestes à caractère sexuel.

Le gouvernement a aussi profité de l’occasion pour augmenter la durée du délai pour déposer une plainte. « Avant, la plainte devait être déposée dans les 90 jours et là, le délai est de deux ans. L’objectif, c’est de permettre à la victime qui ne s’était pas sentie capable dans les trois mois suivant le dernier geste de harcèlement de déposer une plainte. […] C’est un élément important, mais qui va compliquer beaucoup les dossiers », souligne Me Pierre Parent, avocat spécialisé en droit du travail chez Cain Lamarre.

Me Parent explique qu’il est très difficile de faire une enquête quand les faits remontent à près de deux ans, notamment parce que les employés qui étaient là peuvent avoir quitté l’entreprise depuis. Un dossier peut prendre trois ans avant de se rendre au tribunal.

 

Agences de placement : un impact important

 

Les modifications à la Loi sur les normes du travail prévoient que les agences de placement de personnel ne pourront verser un taux salaire inférieur à celui consenti aux autres salariés de l’entreprise cliente qui font les mêmes tâches. Ces changements, qui entreront en vigueur sur adoption d’un règlement, entraîneront certainement une réflexion profonde pour plusieurs entreprises.

Les modalités concernant les agences de placement sont encore à connaître, mais on peut s’attendre à un impact significatif, croit Me Pierre Parent, avocat spécialisé en droit du travail chez Cain Lamarre. « Les conditions de travail dans certains domaines ont tellement augmenté que les employeurs ouvraient la possibilité de faire affaire avec des sous-traitants pour diminuer les coûts. […] Ça va entraîner une réflexion profonde dans les entreprises sur l’organisation du travail quand il y a des besoins. Elles vont payer un frais sur les travailleurs des agences. […] Les agences doivent être inquiètes parce que leurs clients vont peut-être se demander si c’est encore nécessaire de faire affaire avec elles. […] Ça peut avoir un impact énorme pour les agences et leurs clients », mentionne-t-il.

Il faudra toutefois attendre l’adoption du règlement pour avoir des réponses aux questionnements, alors que d’autres modifications entraîneront pour les agences de placement l’obligation d’obtenir un permis, des amendes pour celles qui opèrent sans en obtenir un et une responsabilité solidaire de l’agence et de l’entreprise cliente quant aux obligations pécuniaires à l’égard des employés. « On sait peu de choses sur l’application, parce que pour cette section, les paramètres précis de retrouveront dans les règlements. Toutes les questions de la définition d’une agence de placement, jusqu’où ça va aller », indique Me Parent.