SAGUENAY – Une bataille juridique en cours depuis 2009, portée en appel en décembre, pourrait ouvrir une brèche dans la loi qui permettrait aux cadres de se syndiquer. Selon Me Pierre Parent, avocat spécialisé en droit du travail chez Cain Lamarre, s’il s’agit d’un dossier qui touche principalement le secteur public, il est tout de même à propos de lui accorder de l’intérêt.
La base du dossier remonte à un litige datant de 2009. L’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (ACSCQ) avait déposé une requête en accréditation fondée sur le Code du travail auprès de la Commission des relations du travail, devenue le Tribunal administratif du travail (TAT), pour représenter des cadres de premier niveau œuvrant pour la Société des casinos du Québec (SCQ). Or, l’article 1 du Code du travail exclut spécifiquement les personnes œuvrant à titre de « gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec les salariés ».
Le TAT devait donc déterminer si l’exclusion des cadres du régime général du Code du travail portait atteinte à leur liberté d’association, garantie par les Chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, ce qu’arguait l’ACSCQ. « Il s’agit d’une question de constitutionnalité. […] C’est un débat de fond », indique Me Parent.
En 2016, dans une décision historique, le TAT avait jugé inopérante cette exclusion des cadres du régime général des rapports collectifs du travail au Québec, puisqu’il considérait qu’elle entravait de façon substantielle leur liberté d’association. Le dossier a été porté en contrôle judiciaire auprès de la Cour supérieure. « Une décision rendue par un tribunal administratif se conteste en Cour supérieure. […] Elle s’assure de la légalité de la décision. […] Puisqu’il s’agit d’un débat constitutionnel, donc un sujet qui n’est pas dans le champ d’expertise du TAT, la Cour devait déterminer si la décision était correcte dans les circonstances », explique l’avocat.
En appel
La Cour supérieure a cassé, en novembre dernier, le jugement du TAT. « Le message de la Cour, c’est que le bon véhicule pour les cadres n’est pas la syndicalisation, mais que c’est à l’employeur de s’assurer que l’association a les outils pour avoir un certain pouvoir de négocier. […] L’entrave à la liberté d’association est venue du comportement de l’employeur qui n’a pas traité l’association de cadres avec considération [en imposant des modifications unilatérales à leurs conditions de travail] », souligne Me Parent.
Toutefois, le jugement a été porté en appel. La Cour d’appel a accepté l’appel dans le dossier, le 23 janvier. «Le dossier soulève la question de la constitutionnalité de l’exclusion des cadres de la notion de “salarié” au sens du Code du travail. La permission d’appeler sera accordée car il s’agit à la fois d’une question de principe et d’une question nouvelle au sens de l’article 30 du Code de procédure civile», peut-on lire dans le procès-verbal d’audience.
Cet appel pourrait ouvrir la porte à de nouvelles décisions, qui pourraient aller dans le sens de la première. « Si la décision du TAT restait, il y aurait eu une brèche au niveau de l’exclusion de la notion de salarié. Est-ce que cette brèche-là, intervenant dans le contexte particulier des cadres de premier niveau dans une société parapublique, est-ce que ça pourrait être élargi? Ça dépend de la façon dont la Cour va traiter ça. […] Ça pourrait arriver que ça fasse des petits », analyse Me Pierre Parent.
L’appel devrait prendre environ six mois pour les procédures, puis de 12 à 18 mois pour obtenir le jugement.
Secteur privé
Selon l’avocat, il s’agit d’un débat pour l’instant assez spécifique aux cadres du secteur public. « Dans l’entreprise privée, il n’y a pas cet aspect d’association de cadres. En général, les entreprises négocient un par un les conditions de travail », note-t-il. Par ailleurs, le dossier touche uniquement les cadres de premier niveau, soit ceux qui se trouvent juste au-dessus des chefs d’équipe et supervisent directement des employés. « Ça ne touche pas les cadres qui ont des attributions plus élevées et ceux qui ont un rôle à jouer dans la gestion des ressources humaines. […] Les attributions des cadres sont souvent plus importantes dans le secteur privé », ajoute-t-il.
Si l’impact de ces décisions peut être majeur pour le secteur public, il est donc un peu moins clair en ce qui a trait aux entreprises privées. « Ce n’est pas vrai de dire que ça ne touche pas du tout le secteur privé. C’est le cas actuellement, mais avec un appel, il faudra voir de quelle façon la Cour d’appel va formuler sa décision », affirme l’avocat.
Selon Me Parent, si la décision de la Cour d’appel ramenait celle du TAT, il faudrait tout de même franchir un autre pas avant qu’il y ait un impact sur le secteur privé. C’est toutefois le genre de dossier qu’il croit possible de voir monter jusqu’en Cour suprême. « C’est toujours sur permission, mais compte-tenu du fait qu’il s’agit d’un dossier constitutionnel et que c’est la première fois qu’il est entendu devant les tribunaux, il n’est pas interdit qu’il puisse se rendre en Cour suprême. C’est le genre de dossier entendu par cette Cour, parce qu’il discute de droits fondamentaux et touche beaucoup de gens », conclut l’avocat.