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Karine Boivin Forcier

SAGUENAY – L’année 2023 sera une période transitoire, selon les dires du professeur d’économie à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), Rémi Morin Chassé. Entre l’inflation, les politiques monétaires, la pénurie de main-d’œuvre et la volatilité des marchés, il est difficile de prévoir avec exactitude comment l’économie évoluera au cours des prochains mois.

« C’est comme si l’on avançait à l’aveugle. Les repères que nous avons développés lors des dernières récessions ne s’appliquent pas à la situation actuelle. Normalement, l’inflation est liée à la demande. Cette fois, il y a une effervescence économique jumelée à des goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement et à des changements importants d’une industrie de service vers une de production de biens pendant la pandémie. Un choc de l’offre, on n’a pas vu ça si souvent. Et là, nous avons un choc négatif du côté de l’offre couplé à un choc positif du côté de la demande. Ça devient problématique. On est capable de contrôler la demande dans une certaine mesure avec les politiques monétaires, mais pas l’offre », explique l’économiste.

Selon M. Morin Chassé, si l’économie s’engage dans une récession cette année, ce n’en sera pas une comme on a connu auparavant. « Il y a un ralentissement et une diminution du produit intérieur brut (PIB), mais il y a une rareté au niveau de la main-d’œuvre. […] Il y a des ralentissements pour les entreprises, mais on n’entrevoit pas de mises à pied massives », souligne-t-il.

Inflation

Du côté de l’inflation, Rémi Morin Chassé n’entrevoit pas un retour à la cible de 2 % de la Banque du Canada en 2023. « Présentement [fin décembre NDLR], nous sommes autour de 5 %. Les prévisions se situent un peu en bas de ce chiffre pour la prochaine année. Ce sera une période transitoire. »

Monsieur Morin Chassé estime que l’évolution des taux directeurs pour 2023 n’est pas encore claire, mais la Banque du Canada donne des signes indiquant qu’elle pourrait prendre une pause ou un ralentissement des hausses de taux. « On a donné un électrochoc et maintenant, on va voir quels sont les résultats », précise-t-il.

Quoiqu’il en soit, les politiques monétaires de la dernière année continuent d’avoir un impact chez les consommateurs et les entreprises. « La consommation est un des moteurs importants de la demande. En haussant les taux d’intérêt, on resserre le portefeuille et, en combinaison avec la situation d’inflation, on augmente la pression financière. Ça vient donc réduire la demande et ça va avoir un impact dans la région aussi », affirme l’économiste. Il rappelle aussi que certains secteurs, comme la restauration, les loisirs ou le tourisme, sont très dépendants du revenu disponible des ménages.

Projets ralentis

Par ailleurs, les hausses de taux ont des impacts sur les projets des entreprises. « S’il y a beaucoup d’inflation, il faut ajouter ça aux analyses. Ensuite, il faut obtenir un prêt. Si notre taux de rendement interne était moins élevé et que le taux d’intérêt augmenté vient l’égaliser, ça tue la rentabilité du projet. Le resserrement des politiques monétaires va restreindre le nombre de projets qui vont être financés ou leur rentabilité », indique Rémi Morin Chassé.

La volatilité importante sur les marchés affecte également les entreprises, notamment dans le secteur des ressources naturelles. Le professeur donne l’exemple du prix du bois d’œuvre qui a fortement diminué depuis son pic d’il y a quelques mois. Cette volatilité, combinée à l’incertitude économique, peut contribuer à ralentir les projets.

« On entend souvent des demandes régionales pour de grands investissements, surtout quand les prix montent de façon importante. Cependant, dans certaines industries, les investissements se rentabilisent sur une période très longue. Une volatilité à court terme peut envoyer un bon signal, mais est-ce que ça va s’avérer à long terme ? Ce n’est pas certain. Dans une situation où le financement est plus serré, où il y a une grande volatilité, je pense qu’on va voir un ralentissement le temps que l’incertitude passe », estime M. Morin Chassé.

Un avantage

Pour l’économiste, le Saguenay–Lac-Saint-Jean bénéficie malgré tout de certains avantages dans le contexte économique actuel. Notamment, selon les Mensualités moyennes par produit de crédit par Région métropolitaine de recensement (RMR) publié par la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), la région compte des prêts hypothécaires moins élevés que dans les grands centres. « Nous sommes même parmi les moins élevés au Canada », assure-t-il.

Même s’il y a eu une croissance du prix moyen de l’habitation dans les derniers mois, le prix de l’immobilier demeure plus faible que dans d’autres grandes villes québécoises. « C’est un avantage qui reste important parce que les consommateurs vont peut-être se sentir un peu moins serrés qu’ailleurs au Québec. » Il faut toutefois mettre en balance les paiements moyens plus élevés au niveau des cartes de crédit dans la région. « Je pense que les politiques monétaires vont affecter le marché de l’habitation. Nous n’aurons probablement pas la croissance que nous aurions eue autrement », nuance Rémi Morin Chassé.

Autre point à ne pas négliger, le tissu économique régional s’est transformé au cours des dernières années et dépend un peu moins du secteur de la fabrication. Selon les données présentées par l’économiste, le PIB du secteur des services est devenu depuis une dizaine d’années assez important. L’augmentation du PIB du secteur des services était de près de 35 %, alors que celle de la production de bien tournait autour de 15 % seulement. « Ce que ça fait, c’est que nous continuons d’être affectés en partie par ce qui se passe du côté industriel, mais le secteur des services suit un cycle différent. Ça compense un peu », conclut M. Morin Chassé.

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