SAGUENAY – À l’horizon 2050, le consortium Ouranos estime que la température moyenne annuelle au Saguenay–Lac-Saint-Jean aura augmenté de 2,8 °C. Cette hausse aura des impacts importants sur l’agriculture régionale et les entreprises du secteur doivent s’y préparer.
En plus de la hausse de la température moyenne, divers changements affecteront le climat régional. Le Plan d’adaptation de l’agriculture du Saguenay–Lac-Saint-Jean aux changements climatiques, réalisé dans le cadre de l’initiative Agriclimat, dresse un portrait de ces transformations à l’horizon 2050.
Il prévoit notamment une augmentation des précipitations l’automne, l’hiver et le printemps. Celles-ci seraient davantage sous forme liquide, ce qui risque d’accroître l’érosion des sols et la dégradation de la qualité de l’eau. La diminution du couvert de neige ainsi que l’alternance de pluie et de neige pourraient aussi accentuer les risques pour la survie des plantes pérennes (fourrages et petits fruits) et des cultures d’automne.
Saison allongée
Au printemps, la hausse des températures aurait pour effet de devancer le démarrage de la croissance des végétaux, alors que la chaleur se poursuivrait également plus longtemps à l’automne. L’été, les épisodes de canicule seraient plus fréquents, créant des risques tant pour les animaux que pour le rendement de certaines cultures. Cela accroîtra les besoins en eau, alors que les précipitations resteraient identiques à celles observées historiquement. Ouranos estime que les épisodes de stress hydrique seront donc plus fréquents.
Par ailleurs, la hausse des températures hivernales augmenterait possiblement la survie des insectes ravageurs des cultures, mais aussi des parasites des animaux. Cela nuirait également à la réalisation de travaux forestiers, puisque la saison où les sols sont gelés serait raccourcie.
Des variations
Selon Christine Gagnon, conseillère en agroenvironnement au Groupe multiconseil agricole Saguenay–Lac-Saint-Jean (GMA), ces scénarios donnent les grandes lignes auxquelles on doit s’attendre. Toutefois, il faut également prendre en compte les variations annuelles et à l’intérieur de la région.
« Par exemple, le haut du Lac-Saint-Jean reçoit généralement plus de précipitations que Saguenay. […] Il faut aussi penser qu’il n’est pas impossible que ça fluctue un peu d’une année à l’autre. L’an dernier, nous avions trop de précipitations au printemps, alors qu’en 2023, c’est très sec. Il y a beaucoup de disproportions entre les saisons et à l’intérieur d’une même saison », illustre-t-elle.
Se préparer et s’adapter
De façon générale, cinq priorités d’adaptation collective régionale ont été établies lors du projet Agriclimat, mené de 2017 à 2020. Il s’agit d’améliorer la santé des sols ; d’améliorer la gestion de l’eau à l’échelle de la ferme et du bassin versant ; d’anticiper le devenir des productions emblématiques de la région ; d’organiser la lutte contre les ravageurs et maladies ; ainsi que d’accompagner le développement de l’irrigation des cultures. Au Québec, le gouvernement a aussi établi cinq objectifs dans son Plan pour une agriculture durable 2020-2030.
Plusieurs projets sont ainsi en cours pour modifier les pratiques ou les adapter au futur climatique. Certains producteurs de la région ont notamment pris part au projet provincial Alternative à la fléole des prés en condition de stress hydrique, réalisé de 2019 à 2022. Cette plante, également appelée mil, est grandement utilisée dans le fourrage des bovins. Elle tolère toutefois très mal la sécheresse. « Nous avons regardé pour des graminées fourragères alternatives. Nous avons planté ces semis dans des zones de sécheresse connues. Les données ont été prises pendant trois ans à la récolte pour voir les performances au niveau du rendement », résume Mme Gagnon.
Des semis de couverture sont de plus en plus réalisés par les agriculteurs. Véritables engrais verts, ces cultures ont pour but d’entretenir, le plus longtemps possible, un système racinaire vivant dans le sol. Elles ne sont pas récoltées et seront soit détruites par l’hiver ou éliminées au printemps. « Un important objectif de leur usage est de couvrir le sol durant la saison froide pour le protéger de l’érosion hydrique et de la fonte des neiges. Ces cultures vont aussi recycler les éléments nutritifs, amener des matières fertilisantes, apporter de l’azote dans le sol, etc. Elles ont également un avantage sur la biomasse racinaire, qui a un rôle sur la quantité de carbone retenu dans le sol. »
Un guide sur le sujet a été publié l’automne dernier. « Il y a des choses que nous devrons documenter. Nous sommes dans un contexte de région nordique et nous devons voir sur le terrain ce que ça donne, parce que nous ne pouvons pas toujours appliquer directement ce qui se fait dans le sud du Québec », fait cependant remarquer la conseillère en agroenvironnement.
Pas de recette miracle
Au-delà de ces adaptations collectives, Christine Gagnon affirme qu’il n’y a pas de recette miracle applicable tous en matière de résilience face aux changements climatiques. Les agriculteurs régionaux devraient réaliser un plan personnalisé prenant en compte leur situation spécifique. « Il s’agit d’un portrait individuel pour voir ce qui va les toucher au niveau de leur localité et de leur entreprise. Chacun a des conditions de culture différentes, qu’il faut considérer. On identifie avec le producteur ses forces et ses faiblesses en lien avec les changements climatiques. Ensuite, on peut établir les pistes d’adaptation », indique-t-elle.
La conseillère ajoute qu’il y a la possibilité, pour les entreprises agricoles, de faire leur bilan carbone. « Cela leur donne un portrait de leur situation actuelle en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Ils pourront aussi voir comment elles pourraient séquestrer plus de carbone dans le sol. Elles obtiennent ainsi une description d’où elles se situent et d’où elles peuvent aller. » Les producteurs peuvent ensuite faire des simulations des changements qu’ils souhaitent réaliser afin de valider leur impact potentiel. « Ça va varier en fonction de chacun », conclut Mme Gagnon.