ALMA – Raphaël Vacher est propriétaire de la ferme almatoise Les miels Raphaël qui commercialise annuellement près de 100 000 livres de miel. L’apiculteur tire ses revenus lors de deux moments importants dans l’année : à l’automne à la mise en marché de son produit et au début de l’été lorsqu’il emploie ses pollinisatrices dans les bleuetières.
Les pollinisateurs sont essentiels dans les bleuetières. Ces insectes jouent un rôle primordial puisqu’ils transportent le pollen des plants mâles vers les plants femelles. De cette manière, le pistil (l’organe féminin de la fleur) est fécondé et la formation du fruit (le bleuet) est possible. Les espèces indigènes comme le bourdon, l’andrène et les osmies, pour ne nommer que celles-ci, gravitent donc naturellement autour des plantations au printemps.
La production du bleuet sauvage au Saguenay–Lac-Saint-Jean couvre plus de 30 000 hectares et représente 80 % de l’ensemble du bleuet produit au Québec. L’ampleur de cette culture est telle que les variétés sauvages de pollinisateurs ne suffisent pas. Des abeilles domestiques doivent être introduites dans les champs. « En moyenne, je place 1500 ruches dans des plantations situées dans le haut du lac Saint-Jean tous les printemps. Il faut savoir que cette pratique existe depuis toujours puisque l’abeille domestique pollinise plus de 90 % des champs de bleuets. Pour les apiculteurs, ça représente un revenu d’appoint et pour les agriculteurs ça l’assure un rendement optimal de leur terre », explique Raphaël Vacher, apiculteur basé à Alma et président de l’Association des apiculteurs et apicultrices du Québec (AADQ).
Optimiser la main-d’œuvre ailée
Le producteur de miel almatois précise qu’il existe deux types d’ententes avec les cultivateurs concernant la rémunération. La plus fréquente est un contrat sur trois semaines (21 jours) où l’apiculteur place ses ruches actives dans les champs de bleuets en échange de 200 $ en moyenne par ruche. « La seconde méthode est calculée en fonction de la performance des cheptels. On vérifie fréquemment les ruches pour déterminer le nombre d’individus qui s’y trouvent. Plus une colonie est peuplée, plus elle est payante. Toutefois, c’est une façon de faire énergivore et peu populaire. »
Le contrat de trois semaines terminées, les apiculteurs récupèrent leurs ruches et les relocalisent dans des secteurs où la végétation est plus diversifiée. « Nous ne récoltons que très peu de miel de bleuet de cette activité. Celui-ci se vend plus cher sur le marché, mais ce n’est pas avec ça que nous rentabilisons nos opérations. Il faut le voir comme une stratégie d’optimisation de notre main-d’œuvre ailée. Installer une ruche dans une bleuetière se fait au détriment des abeilles et au bénéfice du bleuet. »
En effet, le pollen du petit fruit bleu ne contient pas tous les acides aminés nécessaires à la santé du pollinisateur. Celui-ci se retrouve en carence au bout de quelque temps et sa production en est affectée. « Nous démarrons les trois premières semaines de la saison avec cette entrée d’argent et après nous déménageons nos petits animaux vers des lieux plus propices à la production de miel », souligne Raphaël Vacher.
Une mortalité élevée
Les conditions extrêmes d’une saison ne se répercutent pas sur le coup, mais parfois sur l’année suivante. C’est ce que vivent les apiculteurs du Québec qui doivent composer avec des problématiques occasionnées par les canicules de 2021. « La chaleur intense de l’été passé a contribué au développement du varroa », se désole le président de l’AADQ. Le varroa est un acarien qui parasite les ruches et qui est mortel pour les abeilles. « Au printemps, nous avons eu l’effroyable surprise de découvrir des cheptels entièrement décimés. À l’AADQ, on observe des pertes de l’ordre de 60 % des colonies de pollinisatrices dues au varroa. C’est ce qui a poussé les producteurs de miel à interpeler le gouvernement pour une aide d’urgence de 12 M$. »
Du côté de Bleuet Royal, un important producteur basé au Lac-Saint-Jean, la saison 2022 s’annonce incertaine. « Au printemps, il a été plus difficile qu’à la normale de se trouver des ruches pour nos champs et les colonies ne semblaient pas aussi vigoureuses que les années précédentes. Pour le moment, nos arbustes fruitiers sont en feuille et il est impossible de voir sur l’ensemble de notre récolte où nous en sommes. C’est au mois d’août que nous saurons si le travail de pollinisation s’est bien fait ou non. Nous demeurons confiants, mais un doute subsiste », explique David Plourde, copropriétaire de Bleuet royal.
Des demandes restées sans réponse
Le 21 juin, André Lamontagne, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), annonçait son plan de protection des pollinisateurs dans le cadre du Plan d’agriculture durable 2020-2030. Il s’agit d’intervention qui pourrait totaliser 3 000 000 $ d’ici 2025 dans l’objectif, entre autres, d’améliorer les habitats des pollinisateurs. « À l’ADDQ, nous accueillons favorablement toutes actions prises par l’État pour protéger les abeilles. Toutefois, le printemps a été pénible pour notre industrie. Les pertes causées par le varroa, les pluies abondantes et les températures froides ont mis à mal nos ruches. Nous avions fait une demande de 12 M$, des demandes de prêts et une aide de trois millions de dollars pour rembourser notre Fonds d’assurance récolte qui est déficitaire de six millions de dollars. La dernière annonce du MAPAQ ne répond pas à nos besoins. De plus, nous avions travaillé cet hiver sur un plan d’action concertée qui consiste à augmenter notre autosuffisance en matière de reines afin d’en importer moins. C’était un programme pour lequel le MAPAQ nous avait aidés et pour lequel on nous avait indiqué une aide financière. Pourtant, rien n’a été fait encore », conclut Raphaël Vacher.