Auteur

Jonathan Thibeault

N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : Agriculture et agroalimentaire : cultiver l'avenir de la région, publié dans notre édition du mois de juillet.

SAGUENAY — Un récent sondage révèle une situation préoccupante pour les entreprises agricoles du Québec : 86 % d’entre elles font face à une baisse significative de leur situation financière. L’Union des producteurs agricoles (UPA) appelle à une intervention urgente pour aider ces entreprises en difficulté.

Selon un sondage récent, près de 9 fermes sur 10 interrogées ont rapporté une détérioration de leur situation financière au cours de la dernière année. Cette enquête, réalisée par l’UPA, met en lumière l’impact dévastateur des hausses des taux d’intérêt et des coûts croissants des intrants sur le secteur agricole.

Montée de l’endettement

Les résultats du sondage montrent que l’endettement des entreprises agricoles est à un niveau alarmant. Les fermes, hautement capitalisées, ont besoin de capitaux importants pour leurs opérations courantes, leurs expansions ou leurs investissements. Pierre-Olivier Dallaire, directeur du service de comptabilité et fiscalité de l’UPA (SCF Conseils), explique : « Les taux en avril 2020 étaient au minimum et, jusqu’à octobre 2023, on est passé de 0,02 % à 5 %. En 18 mois, c’est incroyable. » Il ajoute : « La dépense d’intérêt est passée de 40 000 $ à 110 000 $ pour un agriculteur, simplement à cause du renouvellement des prêts. »

L’augmentation rapide des taux d’intérêt a eu un impact disproportionné sur les fermes comparativement aux autres secteurs économiques. Alors que l’augmentation des taux affecte les propriétaires de maisons, elle frappe encore plus durement les entreprises agricoles avec des actifs de plusieurs millions de dollars. « Tout le monde a été touché par les hausses, mais le fait est que sur une maison, ça a un impact oui… mais sur une entreprise agricole de trois millions de dollars, ce n’est pas le même impact », souligne Joanie V. Tremblay, directrice du Service communication et vie syndicale.

Conséquences pour l’avenir

La tendance est inquiétante : 30 % des entreprises agricoles se trouvent dans une mauvaise ou très mauvaise situation financière, et 11 % des répondants prévoient même fermer ou cesser leurs activités. Cette situation met en péril l’avenir de l’agriculture québécoise, avec une baisse de 24 % des revenus nets pour chaque augmentation de 1 % des taux d’intérêt. Avec les données du sondage en main, Mme Tremblay croit que les mois à venir seront difficiles dans le milieu : « la tendance est à la baisse et des entreprises ne survivront pas à cette situation-là si rien n’est fait. »

Face à cette crise, le gouvernement du Québec a mis en place plusieurs mesures pour soutenir les entreprises agricoles par le biais de la Financière agricole du Québec. Le programme de protection des hausses d’intérêt permet de plafonner les taux à 4 % sans égard à la scolarité des agriculteurs, comme c’était le cas auparavant. Québec a aussi injecté 30 millions de dollars dans un fonds d’urgence. Cependant, ces initiatives, bien que salutaires, ne suffisent pas à compenser les difficultés financières croissantes des agriculteurs.

Obstacles administratifs

Outre les défis financiers, les entreprises agricoles doivent faire face à des obstacles administratifs majeurs. Les agriculteurs déplorent la lourdeur des obligations réglementaires et fiscales, qui augmentent les coûts administratifs sans ajouter de valeur à leurs activités principales. « Les obligations administratives, la lourdeur dans le secteur agricole sont incroyables. Faire attention à l’environnement, la fiscalité, etc., on sait que c’est important. Toutefois, les programmes qui existent sont très lourds », indique Pierre-Olivier Dallaire.

La pandémie de COVID-19 a également révélé l’importance de l’autosuffisance alimentaire et des marchés locaux. Bien que les fermes aient observé un regain d’intérêt pour les produits locaux, la situation économique actuelle pourrait compromettre ces avancées. « On essaie de rester positif pour notre relève. On veut les encourager. Les gens auront toujours besoin de manger », rappelle Joannie V. Tremblay. « Cependant, les agriculteurs sont contraints de reporter ou d’annuler des projets d’investissement, ce qui nuit à leur développement futur et à leur capacité à répondre aux besoins alimentaires croissants de la population », d’ajouter son collègue.

L’UPA appelle à une intervention accrue des gouvernements et à un changement de mentalité pour soutenir le secteur agricole. Selon l’organisation, il est crucial de mettre en place des programmes adaptés pour faire face aux fluctuations météorologiques imprévisibles et réduire la lourdeur administrative. Les agriculteurs ont besoin d’un soutien financier solide pour surmonter cette crise et assurer la pérennité de l’agriculture québécoise.

Méthodologie du sondage

Le Sondage sur la situation des fermes a été réalisé du 25 mars au 22 avril 2024. Le questionnaire était disponible en anglais et en français, et a été transmis à plus de 18 000 adresses courriel d’agriculteurs. Afin de maximiser le taux de réponse, deux relances ont été effectuées. Le sondage a également été relayé par les fédérations régionales et les groupes affiliés à l’UPA. Pour garantir l’unicité des réponses, l’adresse IP des répondants a été collectée et traitée afin d’identifier et de supprimer les doublons. Au total, 3 683 réponses ont été reçues. Après traitement des données, la base de données finale contient les réponses de 3 552 répondants.

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