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Karine Boivin Forcier

SAGUENAY – Marie Lapointe, présidente-directrice générale d’AluQuébec, la grappe de l’aluminium, croit que l’organisme est en bonne voie d’atteindre son objectif – doubler la transformation d’aluminium au Québec d’ici 2025 – alors que la croissance du secteur avait atteint 7 % à la fin de 2017. Toutefois, des enjeux pourraient venir freiner cette croissance.

AluQuébec vise ainsi à faire passer le chiffre d’affaires de la transformation d’aluminium dans la province de 5 à 10 milliards de dollars entre 2015 et 2025, mandat qui lui a été confié par la Stratégie québécoise de développement de l’aluminium. À la fin de 2017, ce chiffre avait atteint 6,7 G$.

L’augmentation du chiffre d’affaires a donc été deux fois plus élevé que la croissance organique de l’aluminium, qui était de 3,5 % selon PwC. « La croissance de nos entreprises de transformation de l’aluminium a été beaucoup plus importante que ça. […] Pourquoi? Principalement en raison des demandes pour l’automobile et l’aéronautique. Ce sont les deux segments de marché qui requièrent le plus d’aluminium. La croissance a même été de 17 % pour les fabricants liés au transport terrestre, de l’automobile. Les transports sont en train de faire la transition de l’acier vers l’aluminium en raison des programmes d’allègement […] pour réduire les émissions de CO2 », souligne Mme Lapointe.

Les tarifs américains : une menace

Les plus de 1 400 transformateurs québécois se trouvaient donc dans une position qui devait leur permettre d’atteindre l’objectif fixé par Alu-Québec. Or, l’imposition de droits compensateurs et antidumping par les États-Unis et de contre-mesures par le Canada sont venus modifier la donne et menacent la possibilité de doubler la transformation du métal gris dans la province d’ici 2025. « Depuis l’imposition des tarifs, ça a ralenti un petit peu. Les tarifs américains et contre-mesures du Canada amènent des distorsions dans l’approvisionnement, dans la chaîne de valeur ». indique la PDG de la grappe industrielle.

En effet, un produit peut traverser la frontière cinq ou six fois avant d’arriver à sa forme finale. « Il y a beaucoup de produits à valeur ajoutée qui sont envoyés aux États-Unis pour y subir une deuxième transformation avant d’être sont réimportés au Québec où ils subissent un dernier niveau de transformation. C’est ce qui fait que ces tarifs ne sont pas soutenables pour ceux qui importent ces produits ici », explique Marie Lapointe, qui considère qu’il sera difficile pour AluQuébec de rencontrer son mandat s’il y a maintien des tarifs.

Les droits compensateurs pourraient également compromettre les investissements, étrangers notamment, dans la province, un point essentiel pour atteindre la croissance désirée. « Il y a des gens qui sont intéressés à venir au Québec de l’Europe et de l’Asie. Le Québec, avec les accords de libre-échange qui ont été signés avec l’Europe et l’Asie, devrait être l’endroit où investir dans les prochaines années pour servir l’Amérique. […] Mais il y a des investisseurs qui se posent des questions si les tarifs vont rester », mentionne Mme Lapointe.

Deuxième transformation

Selon Mme Lapointe, un autre frein à l’atteinte de l’objectif d’AluQuébec est qu’il « n’y a pas assez de deuxième transformation au Québec ». C’est la raison pour laquelle beaucoup de troisièmes transformateurs importent des produits qui ont subi une deuxième transformation chez nos voisins du sud.

Pour pallier à cette problématique, AluQuébec met de l’avant trois projets stratégiques : ramener une usine de plaque au Québec, amener une usine de grands profilés (grande extrusion) dans la province et développer des assembleurs de rang un (qui sont capables de développer des solutions complètes).

Par ailleurs, la PDG souligne que les transformateurs québécois peuvent compter sur trois grandes forces pour se démarquer sur le marché mondial : « ils sont très innovateurs, ils innovent plus que la moyenne des manufacturiers, ils sont capables de fournir aux États-Unis avec très court délai, ce qui permet aux clients de ne pas avoir d’inventaire, et ils offrent des produits à haute valeur ajoutée ». Ils devront toutefois faire face aux défis de l’adaptation à l’industrie 4.0 et de commercialisation de leurs produits.

« Ça va bien pour transformation au Québec, la croissance est bonne. Toutes les planètes étaient alignées pour que la croissance se maintienne et qu’avec les accords de libre-échange, il y ait de plus en plus de collaboration et d’investissements dans la province pour servir l’Amérique et développer les autres marchés. Mais les tarifs doivent être levés pour qu’on puisse y arriver », conclut Mme Lapointe.

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