Guy Bouchard
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Guy Bouchard

SAGUENAY – Le projet d’une voie ferrée de 370 km entre Dolbeau-Mistassini et Baie-Comeau, a fait couler beaucoup d’encre dernièrement, avec l’annonce par le gouvernement du Canada d’une subvention de 7,5 M$, qui porte à 15 M$ l’aide totale pour la réalisation des études de faisabilité de ce projet nord-côtier et piloté par Innovation et Développement Manicouagan. (Québec avait déjà réservé 7,5 M$ dans son premier budget).

J’ai pris acte de la réaction, tardive, mais incontournable, de quelques décideurs régionaux qui ont finalement dénoncé un projet qui, à mon sens, ne tient pas la route et qui est surtout propice à diviser les deux régions voisines que sont la Côte-Nord et le Saguenay–Lac-Saint-Jean. Je m’explique. Puisqu’il passerait à 50 km au sud du site d’Arianne Phosphate, plusieurs intervenants qui appuient QcRail avancent que la minière serait avantagée d’utiliser ce tronçon pour transporter son concentré d’apatite.

Peut-être. Si les deux projets étaient en synchronie. Mais à la vitesse où se réalisent les grands développements au Québec, le rail vers Baie-Comeau, si jamais il se réalise, sera livré, au mieux, dans dix ans. Arianne ne pourra pas attendre jusque-là, alors que sa mine sera probablement en opération au cours des prochains mois. Qui plus est, l’entreprise a obtenu toutes les autorisations pour son transport par camion vers le port prévu sur la rive nord du Saguenay, qui lui aussi été avalisé par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale.

Notre réseau routier hors-norme fait très bien l’affaire

Et les autres minières? Le Nord-du-Québec profite déjà d’un réseau routier hors norme extraordinairement bien développé et qui pourrait facilement atteindre le nouveau port sur la rive nord. Il a coûté des centaines de millions de dollars au cours des dernières décennies et a demandé des efforts de titan à réaliser. Pourquoi ne pas en profiter davantage, si d’autres projets miniers se concrétisent?

Mais revenons au projet QcRail, qui est relativement facile à planifier… sur papier. Sur le terrain, c’est une toute autre histoire. Imaginez un tronçon ferroviaire de 370 km, qui passerait en territoire Innu, dans l’habitat du caribou forestier, dans des milieux humides et fragiles, qui devrait traverser plusieurs grandes rivières, longerait d’innombrables lacs. On n’a pas fini d’argumenter dans les chaumières. Parlons aussi des études préliminaires qui font état d’un coût de réalisation de1,6 G$. C’est vraiment très préliminaire.

Pas besoin de vous soumettre des exemples où les estimations de faisabilité des projets québécois sont très souvent dépassées. Même multipliées par cinq, parfois. Dans le contexte du projet QcRail, ça donne presque le vertige. Qui va payer en bout de ligne? Pourquoi ce bel argent ne pourrait-t-il pas atterrir sur notre réseau routier qui en a bien besoin ?

QcRail pour le pétrole de l’Ouest

Et qui plus est, ce projet a été initié pour des objectifs questionnables. Les gens d’Innovation et Développement Manicouagan, qui pilotent le projet QcRail, ont certainement des intentions louables et veulent stimuler leur économie. Mais ils peuvent bien claironner qu’il n’y aura pas de pétrole transporté sur ce tronçon, je suis convaincu du contraire. (Des membres de leur équipe ont d’ailleurs déjà fait des représentations auprès de l’industrie à Calgary.) Et je ne prétends pas que les producteurs de grains de l’Ouest canadien ou d’autres clients ne soient pas intéressés par ce nouvel accès au marché atlantique. Ils ont de l’intérêt, certes.

Toutefois, selon des experts que j’ai consultés, il est fort probable que les producteurs de pétrole albertains sont des clients potentiels de première ligne pour utiliser le tronçon projeté. Selon ce que j’ai pu apprendre lors de mes consultations, c’est qu’il semblerait que l’actuel gouvernement du Québec cherche à compenser l’abandon de l’oléoduc Énergie-Est en offrant à l’Alberta la possibilité de faire transiter son pétrole sur le territoire québécois en utilisant ce tronçon jusqu’au port de Baie-Comeau (potentiellement des millions de barils).

Le vrai enjeu environnemental

Mentionnons aussi qu’avant d’être évincée du pouvoir par Jason Kenney, le gouvernement albertain de Rachel Notley avait planifié l’achat de quelque 1000 wagons-citernes et quelques locomotives, dans le but de « sortir » 120 000 barils de pétrole de plus de cette province au cours des prochaines années. Vers l’Est du Canada, en passant par Baie-Comeau? C’est à voir. Quoi qu’il en soit, son successeur à mis rapidement fin à ces démarches, puisqu’il privilégie définitivement la construction d’oléoducs pour écouler ses hydrocarbures. Une décision qui, chez-nous, pourrait bien sonner le glas du projet QcRail.

Dans ce contexte, j’invite certains environnementalistes de notre région (notamment ceux qui ont fermement appuyé QcRail lors des consultations publiques du MELCC à Baie-Comeau, en novembre dernier, possiblement parce qu’il serait une potentielle alternative au deuxième port sur le Saguenay) à s’intéresser plus sérieusement à QcRail, qui est à mon sens est infiniment plus dangereux pour le Québec que l’ensemble de nos grands projets régionaux.

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