Auteur

Karine Boivin Forcier

N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : Formation et emploi, une synergie à créer publié dans notre édition du mois d'août.

SAGUENAY – Avec le télétravail et les horaires flexibles, le droit à la déconnexion continue d’être un sujet d’actualité en matière de ressources humaines. Alors que plusieurs pays ont adopté des lois sur le sujet, le Québec n’a pas encore emboîté le pas. Et la nécessité de légiférer sur cet enjeu est loin de faire l’unanimité.

Le droit à la déconnexion, c’est celui de ne pas répondre aux demandes liées au travail lorsqu’on est en dehors des heures normales du travail. À l’ère des horaires flexibles et de la possibilité de travailler à des heures atypiques, il ressort de plus en plus dans les discussions. Il en a notamment été question à l’Assemblée nationale du Québec et un comité consultatif canadien s’est penché sur le problème en 2022 afin de faire des recommandations au gouvernement fédéral. Des projets de loi ont aussi été présentés par des partis d’opposition, principalement Québec Solidaire. Toutefois, seul l’Ontario a pour l’instant légiféré sur le droit à la déconnexion, exigeant des entreprises de 25 employés et plus qu’elles se dotent de politiques sur le sujet.

« Dans un recensement des conventions collectives en vigueur au Québec, il y en a seulement trois qui prévoient le droit à la déconnexion. Sinon, c’est vraiment plus de l’ordre de politiques établies par l’employeur de façon plus ou moins formelle » indique Me Jessica Tremblay, avocate en droit du travail chez SBL Avocats.

Deux courants de pensée

En ce qui a trait à la nécessiter d’adopter des lois sur cet enjeu, deux courants de pensée s’opposent. L’un prétend qu’il est essentiel de légiférer parce que l’approche volontaire ne fonctionnera pas et que des salariés pourraient être pénalisés par leur employeur pour avoir exercé ce droit.

L’autre assure qu’il n’y a pas besoin d’une loi spécifique, puisque les normes du travail actuellement en vigueur fournissent déjà un certain encadrement. Au Québec, celles-ci prévoient notamment la durée normale d’une semaine de travail, les congés et les périodes de repos. « Plusieurs juristes considèrent qu’il y a tout ce qu’il faut dans la loi pour protéger l’employé », précise Me Tremblay.

La difficulté, au niveau légal, réside dans le fait qu’il est impossible de généraliser des exigences particulières, puisque les usages varient grandement d’une entreprise à l’autre. Une loi pourrait donc seulement obliger les entreprises à adopter des politiques sur le droit à la déconnexion et devrait leur permettre de conserver une certaine flexibilité.

La formatrice et coach en gestion Audrey Tremblay est partisane de cette flexibilité. « De laisser des temps d’arrêt, c’est essentiel. Je suis d’accord que chaque entreprise l’encadre, mais pas de façon à ce que ça devienne une loi qui prévoit tous les cas de figure. Il n’y a pas une seule recette », affirme-t-elle.

Des politiques

Selon Mme Tremblay, il peut être intéressant pour les entreprises de faire des politiques sur le droit à la déconnexion. Elles ne devraient toutefois pas être trop rigides. « Elles peuvent nous donner un cadre, mais qui nous permet de trouver entente. Par exemple, si on a un grand projet urgent qui doit être livré rapidement, il faut que l’équipe puisse se dire que pour quelques jours tous seront plus largement disponibles. Il y a aussi des entreprises qui fonctionnent 24 h/24 et qui ont besoin d’avoir accès aux salariés en dehors des heures dites normales », estime-t-elle.

Pour la coach en gestion et formatrice, l’essentiel est d’avoir une communication ouverte entre les gestionnaires et les employés. « Il faut valider quels sont les besoins des travailleurs et ceux de l’organisation. Tout est dans la communication et le partage d’informations.»

Définir les canaux

Audrey Tremblay encourage les employeurs à définir les canaux de communication qui sont utilisés, quand ils doivent l’être et les délais de réponse acceptables. « L’employé peut aussi clarifier avec le patron quelles sont ses attentes quand il envoie un courriel à 22 h. Il faut convenir du mécanisme pour les urgences : le téléphone, par exemple », mentionne-t-elle.

Mme Tremblay rappelle finalement que le droit à la déconnexion part de nous et qu’il est important d’en être conscient lorsqu’on travaille à des heures atypiques. « Il ne faut pas sous-estimer l’impact que peut avoir, chez certains salariés, la réception d’un courriel à 22 h. […] Ça se peut que j’aie un rendez-vous dans la journée et que je veuille reprendre mes heures en soirée, mais c’est essentiel de penser aussi à l’autre qui recevra mon message », conclut-elle.

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