Auteur

Karine Boivin Forcier

N.D.L.R. : Ce texte est composé de trois articles originairement regroupés dans un dossier RH paru dans l’édition papier de l’Informe Affaire de janvier 2021.

SAGUENAY – S’ils sont encore peu reconnus, les profils atypiques, ces candidats au parcours professionnel non conventionnel pour le poste qu’ils convoitent, représentent un atout important pour les entreprises qui les recrutent. Avec les changements dans le monde du travail et la pénurie de main-d’œuvre actuelle, ils pourraient bien devenir indispensables dans le futur.

« Pour moi, un profil atypique, c’est quelqu’un qui ne correspond pas à 100 % aux exigences du poste. C’est quelqu’un qui va arriver d’un autre univers, qui n’aura pas nécessairement toutes les exigences », indique Marjorie Blackburn, conseillère en ressources humaines agréée (CRHA) à la firme L’Adjointe. Cela peut aussi être une personne possédant un parcours professionnel ou scolaire différent de la norme.

S’ils ont longtemps été négligés, ces profils sont de plus en plus recherchés par les recruteurs, notamment en raison de la pénurie de main-d’œuvre. Toutefois, outre le simple besoin de combler un poste, les atypiques présentent plusieurs avantages à ne pas négliger pour les entreprises en termes d’innovation et de créativité. « Ils apportent une nouvelle vision à l’entreprise. Ils vont penser en dehors de la boîte. […] Ils vont apporter un vent de fraîcheur, mais surtout, des compétences nouvelles », affirme Mme Blackburn.

Des compétences diversifiées

Dans un monde du travail en évolution perpétuelle, les entreprises ont aussi intérêt à se tourner vers ces ressources. « Ce sont des personnes ouvertes, capables de toucher à plein de choses. […] Le marché du travail change vite et va changer encore plus vite au courant des prochaines années avec les nouvelles réalités et le numérique. Les professions de demain n’existent pas encore. Ça va prendre des personnes qui sont capables de s’adapter », estime pour sa part Caroline Maltais, directrice générale chez Propulsion Carrière, une entreprise d’entraînement en employabilité. « Ce sont des gens qui, comme ils arrivent d’univers différents, vont apporter des solutions créatives à des problèmes qui existent. Ils vont apporter des idées innovantes, que ce soit en ce qui concerne la stratégie d’affaires, les RH, etc. », ajoute Marjorie Blackburn.

Mme Maltais donne l’exemple d’une participante de Propulsion Carrière en graphisme, qui était intéressée par les communications. « C’est une candidate qui n’avait pas fait d’études en communication, mais elle avait de belles aptitudes en rédaction. Elle compose très bien, sans aucune faute. Un profil comme ça, c’est payant dans une organisation, quand il y a quelqu’un qui sait bien rédiger, bien écrire et faire du graphisme en même temps », raconte-t-elle.

Un haut niveau d’engagement

Si l’introduction d’un profil atypique dans un poste peut demander un peu plus de temps et de formation, cela va se rentabiliser par l’innovation. Étant donné leur curiosité intellectuelle, ce sont en général aussi des gens qui apprennent rapidement. Autre avantage majeur, lorsqu’ils postulent dans une entreprise, c’est qu’ils sont très motivés. « Ce ne sont pas des gens qui se tirent partout. Quand ils postulent, leur décision est réfléchie. […] Ce qu’ils vont chercher chez vous, c’est quelque chose qu’ils veulent vraiment », précise la CRHA.

Cette motivation peut se transformer en un haut niveau d’engagement envers l’entreprise, pour peu que le gestionnaire soit en mesure d’y répondre et de la stimuler. « Il faut aller chercher la motivation intrinsèque derrière le profil atypique et s’en servir comme levier d’engagement. […] Plus un employé est engagé envers l’entreprise et sa mission, plus il sera performant. Plus tes employés sont performants individuellement, plus ils le deviennent collectivement », souligne Marjorie Blackburn. Mentionnons que ces façons de faire sont également de bonnes pratiques à adopter en matière de gestion des ressources humaines, peu importe leur profil.

L’employeur doit par ailleurs valider régulièrement cette motivation, afin d’être là pour y répondre lorsqu’elle évolue. « Ce sont des gens qui, en général, ont une curiosité intellectuelle et un besoin de défis supérieurs à la moyenne. […] Le patron doit être prêt à nourrir l’engagement de ces personnes au fil du temps. »

Oser les profils différents

Actuellement, de nombreux gestionnaires ne considèrent pas les profils atypiques dans leurs démarches de recrutement. Les recruter demande du temps et des efforts supplémentaires, mais se révèle gagnant, selon Marjorie Blackburn. « Il faut oser prendre la peine de les contacter. Leur demander ce qui les motive à appliquer chez nous. Ce sont des gens qui en général vont briller par leur savoir-être, qui est impossible à sentir sur un CV », croit-elle.

Il s’agit également de modifier les entrevues, de ne pas se fier uniquement à une grille ou un canevas d’entrevue et d’aller voir si la personnalité et les valeurs du candidat sont compatibles avec celles des gestionnaires, de l’équipe et de l’entreprise. Les recruteurs doivent les amener à parler d’eux, de leurs domaines d’intérêts. « Il faut voir l’humain. Il faut qu’il y ait un fit de personnalité. […] Il faut prendre le temps de jaser, d’aller ailleurs. […] Il faut vérifier : qu’est-ce que leur parcours peut apporter à notre entreprise ? Qu’est-ce qui les motive à aller vers ce domaine ? », explique Mme Blackburn.

Mentionnons que, selon les deux intervenantes, les pratiques de recrutement évoluent pour laisser une plus grande place à l’humain. Caroline Maltais croit qu’on verra de plus en plus de profils atypiques sur le marché du travail dans l’avenir. Quant à Marjorie Blackburn, elle estime que les changements actuels sont d’abord motivés par la pénurie de main-d’œuvre.

Ubisoft | Recruter des profils atypiques, un choix gagnant

Chez Ubisoft, recruter des profils atypiques est une stratégie incontournable. Pour l’entreprise spécialisée dans le développement de jeux vidéo, la diversité et la créativité qu’ils apportent sont définitivement la clé qui permet au produit fini d’être un succès.

« Pour nous, les profils atypiques sont des gens qui vont avoir un savoir-être qui va avoir un fit avec notre entreprise, mais qui ne seront peut-être pas passés par un même parcours que les autres. […] Ils amènent une vision différente, par exemple, d’une personne qui a étudié en programmation avec un baccalauréat en jeux vidéo », explique Isabelle Joly, partenaire RH chez Ubisoft Saguenay.

L’entreprise compte notamment dans ses programmeurs des gens qui ont travaillé dans l’industriel, le domaine médical ou l’aviation. D’autres ont des diplômes en ingénierie, en plein air, en kinésiologie. « On a des gens qui travaillent en programmation et qui ont été autodidactes, qui n’ont pas étudié en informatique, mais qui, par leur passion et leurs habiletés, sont excellents », affirme Mme Joly.

Ces ressources apportent des aspects et des idées différents, ce qui permet à Ubisoft d’avoir des jeux encore plus diversifiés et réalistes. « Ça nous amène à aller plus loin dans nos jeux. […] Ils vont nous apporter des idées qu’on n’aurait pas vues. Ils nous amènent à aller plus loin dans nos réflexions. Ça va être challengeant, mais c’est ce qui va faire que le résultat final sera un wow ! », souligne la partenaire RH, ajoutant qu’ils vont aussi apporter leur bagage dans la façon de travailler, de réfléchir et de collaborer.

Pas de recette secrète

Selon Isabelle Joly, il n’existe pas de recette secrète parfaite pour recruter des profils atypiques. Ubisoft mise sur sa culture d’entreprise, cherche à se faire connaître et met de l’avant ses talents passionnés pour attirer des personnes qui ont envie de jumeler leur passion à leur travail.

À Saguenay, l’entreprise vise à engager 125 employés en cinq ans et compte actuellement environ 75 ressources, dont 31 % de femmes, trois ans après sa naissance. Le recrutement est donc toujours en cours.

Développer les talents

Ubisoft possède dans son ADN d’entreprise la volonté de trouver des profils atypiques, mais aussi d’accompagner tous ses employés dans leur développement professionnel et personnel. « Le jeu vidéo, c’est un domaine où c’est rare que la personne va arriver et va avoir la formation exacte que ça nous prend. […] Nous, on va les développer. On a un beau système à l’interne qui aide à les accompagner vers ce pour quoi ils sont passionnés. Ils peuvent être jumelés à d’autres experts. […] On va leur donner la formation qui leur manque », indique la partenaire RH. Le développement de soi et professionnel sont mis à l’avant-plan. « On peut avoir un plan qu’on va développer avec notre gestionnaire en étroite collaboration pour la prochaine année, deux ans, trois ans », précise Isabelle Joly.

Le Hub, des emplois uniques

Le Hub Saguenay–Lac-Saint-Jean, qui est en plein déploiement, a dû créer deux postes sur mesure pour assurer son rôle de créer des opportunités de mise en relation entre les différentes forces vives et expertises du milieu. Pour ces postes uniques, un processus de recrutement atypique a dû être mis en place.

« Les nouvelles carrières sont développées par le fait que les modèles d’affaires des entreprises évoluent et se positionnent dans une nouvelle économie aussi. Je pense que c’est là-dedans que le Hub se positionne en ce moment », souligne la directrice générale de l’organisme, Annabelle Brossard.

Le Hub s’est donné comme objectif principal de créer des ponts entre les différents secteurs d’activités socio-économiques du milieu en déployant des approches transversales et collaboratives afin de favoriser un développement innovant, cohérent et concerté. Pour le réaliser, l’organisme a choisi de développer un service d’animation intersectorielle, ce qui n’est pas un domaine d’études ou professionnel en soi actuellement.

« L’idée, c’est beaucoup plus d’avoir des compétences d’animation, de compréhension politique aussi et des différents enjeux. Ce n’est pas un parcours typique. Il y a beaucoup d’humain dans ces compétences ainsi que d’organisation et gestion de projet. C’est la création d’un poste sur mesure, qui n’existe pas ailleurs », indique Mme Brossard à propos du poste de gestion de projets majeurs et animation intersectorielle.

L’économie circulaire

L’autre poste est lié au développement collaboratif. « Dans une autre optique, on propulse des plateformes numériques qui vont permettre l’échange de ressources matérielles et humaines [au niveau B2B]. On a donc des plateformes complètement nouvelles qui s’inscrivent dans l’économie circulaire. Ça nous prend des personnes habiles avec les technologies et qui sont capables de bien accompagner l’utilisateur vers une nouvelle façon de faire. […] Encore une fois, c’est un nouveau service. Tu n’as pas vraiment quelqu’un qui est spécialisé en économie circulaire par le biais de plateformes numériques », note la directrice générale.

Recrutement différent

Pour des postes créés sur mesure pour le Hub, le recrutement se devait d’être différent, puisqu’il n’existe pas vraiment de cursus de formation ou de parcours professionnels spécifiques à ces emplois. « Il y a deux choses super importantes quand tu fais le recrutement de ressources : le fit avec la culture organisationnelle et les valeurs […] et les compétences qui peuvent venir appuyer la mission du poste. On a focalisé sur la mission du poste plutôt que les rôles et responsabilités de celui-ci. Quel est l’objectif du poste et quelle est notre vision par rapport à ce poste. […] On a établi une liste de types comportementaux que nous, nous souhaitions retrouver, sous forme de maximes. Celles-ci exprimaient vraiment comment on voulait travailler en équipe et le type d’équipe qu’on recherchait », confie Annabelle Brossard.

De l’adaptabilité

La personnalité des candidats a aussi eu une place prépondérante dans le recrutement, d’autant que l’organisme est en plein déploiement, ce qui demande de l’adaptabilité et une capacité à voir son rôle évoluer dans le temps. « On cherchait des gens qui étaient très dynamiques, qui avaient une capacité de se revirer rapidement. […] Je voulais aussi deux piliers qui ensuite seraient capables d’avoir d’autres personnes à leur charge », précise Mme Brossard. Le succès a été au rendez-vous, avec une soixantaine de candidatures reçues.

Les compétences, la personnalité et la complémentarité ont finalement permis de sélectionner les candidats. « Est-ce qu’on va être capable de travailler de façon complémentaire pour s’amener plus loin l’un et l’autre ? Quand tu es dans un démarrage organisationnel, tu as aussi besoin d’avoir des personnes capables de voir en avant, d’avoir une vision. Moi j’apporte une première compréhension de comment on va développer ça, mais ça nécessite l’apport des nouveaux employés », conclut la directrice générale.

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