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Maxime Hébert-Lévesque

SAGUENAY – En constituant son département innovation en une entreprise distincte, Réfraco vient de se garantir un fournisseur technologique de premier ordre. Le spin-off industriel, Robexco, développera la technologie robotique à sa société sœur en plus de développer le marché régional.

Le 25 mars dernier, Réfraco présentait lors d’une conférence médiatique à Saguenay son robot maçon, le Robot briqueteur Réfraco (RBR). Une première mondiale pour ce type d’engin qui remplacera sous peu l’humain dans l’entretien et la construction de murs de briques réfractaires qui composent les fours de cuisson d’anodes à la fonderie d’aluminium de Rio Tinto (RT) à Kitimat. Pour Réfraco, il s’agissait d’une nouvelle d’envergure qui découlait d’années de recherches et de mises au point par ses ingénieurs et techniciens. À la suite de la réussite de ce premier automate, les dirigeants de la société ont conclu qu’il était temps de laisser le département d’innovation voler de ses propres ailes, fondant ainsi Robexco.

« Nous avons pris possession de nos premiers bureaux sur la rue Manic à Chicoutimi en septembre 2021. Je dis premier parce qu’à la vitesse qu’on grandit, nous allons peut-être devoir déménager dans les prochaines années. Nous sommes déjà 13 dans l’équipe et d’ici 2023, je prévois diriger une vingtaine d’employés », explique Giovanni Pucella, précédemment directeur de l’innovation chez Réfraco et maintenant DG de Robexco.

Nous sommes Saguenéens

Pour l’homme d’affaires, la présence d’une entreprise qui développe des solutions robotiques est tout à fait cohérente à Saguenay. « Notre principal client demeure Réfraco, mais nous sommes également entourés de manufactures et de transformateurs d’acier. Ces joueurs ont des besoins au niveau de la productivité et nos robots peuvent les aider. D’ailleurs, nous sommes sur des projets avec deux firmes de la région. Il est trop tôt pour divulguer des noms, cependant avec la pénurie de main-d’œuvre, disons que nos produits arrivent à pic ! » Ne se fermant aucune porte, l’entrepreneur précise que tout type d’industrie est analysé afin de trouver des clients potentiels. Toutefois, selon l’historique de Réfraco, le secteur de la construction serait un domaine d’activités favorable à accueillir la robotique.

Monsieur Pucella est sans équivoque; l’implantation de l’entreprise technologique dans la région est une bonne chose pour la santé des travailleurs. « Nous sommes une équipe composée de professionnels qui sont habitués aux longs déplacements à l’étranger dans le cadre de nos fonctions. Offrir un lieu de travail qui permet d’innover dans un secteur d’avenir et tout ça à la “maison”, ça n’a pas de prix pour la conciliation travail-famille. De plus, il est question de mettre sur pied des programmes de mise en forme et de diététique pour notre personnel. Existe-t-il un meilleur terrain de jeux que notre région pour promouvoir le sport ? »

Un petit nouveau en route

Réfraco est une société qui porte plusieurs chapeaux. C’est une entreprise de construction, une usine de fabrication de briques réfractaires et une firme qui exploite un volet service. « C’est Réfraco qui détient, entre autres, le contrat de maintenance des fours de cuisson d’anodes de Rio Tinto. Dans son entente de service, elle a décidé d’utiliser le RBR pour gagner en productivité. C’est une première et ce n’est pas la dernière. En effet, Robexco développe présentement un Robot Cuve Réfraco (RCR). Cet automate sera installé dans les installations du producteur d’aluminium et fabriquera des cuves », raconte Giovanni Pucella. Il peut s’agir d’un modèle d’affaires intéressant puisqu’en gardant la propriété, l’entreprise poursuit le développement de sa technologie et la finance.

Le plein emploi

L’un des enjeux pour Robexco dans les années à venir sera le recrutement d’une main-d’œuvre spécialisée. La transition numérique et la volonté des entreprises à automatiser leurs ateliers et leurs usines créent une forte pression sur le bassin de programmeurs disponibles. « Configurer des robots demande des centaines de milliers de lignes de codes informatiques. Nous avons et aurons besoin de programmeurs pour répondre à la demande. »

La réalité dans le secteur des technologies est toutefois complexe. En effet, un phénomène de plein emploi est observé et les acteurs de l’industrie des Technologies de l’information (TI) s’arrachent littéralement les ressources. « Les programmeurs que je vais engager vont probablement provenir d’une autre entreprise. C’est une bonne chose lorsqu’on apprend que de nouvelles pousses technologiques s’établissent dans la région, toutefois ça signifie qu’on va jouer du coude pour mettre la main sur les ressources. Je pense que l’attractivité de la main-d’œuvre dépendra de ce que peut offrir l’employeur au niveau des réalisations et de l’environnement de travail », conclut le gestionnaire.

Démocratiser l’usage robotique

« Depuis plus de 40 ans, l’industrie automobile utilise des bras robotisés pour manufacturer ses véhicules sur une chaîne de montage. Les robots sont fixes et préprogrammés pour effectuer des tâches répétitives. Leurs mouvements sont définis par des points géographiques préétablis », explique Giovanni Pucella, le directeur général chez Robexco. Pour l’ingénieur mécanique qui a consacré sa carrière professionnelle à l’innovation, l’objectif est de dépasser l’utilisation procédurale des robots en leur donnant plus d’autonomie.

« Imaginez un robot qui s’oriente seul dans une usine et qui va lui-même chercher les matériaux dont il a besoin pour la réalisation de sa tâche. Voilà sur quoi une partie de notre équipe travaille. Nous avons plusieurs pistes de solutions pour y arriver et l’utilisation de la caméra est l’une d’elles. »

En effet, l’équipe de Robexco a imaginé un bras robotisé muni d’une caméra 3D. Cet ajout permettrait à la machine de voir son environnement et de s’orienter dans l’espace. « Le robot gagnerait en efficacité et en simplicité. Notre robot maçon, le RBR, a besoin d’un convoyeur qui lui achemine les briques à une certaine vitesse et d’une certaine position afin que celui-ci soit en mesure de les saisir. Bien qu’efficace, il requiert tout de même plus d’instrumentation machine qu’un bras qui repère seul les briques. De plus, le programmeur en amont aurait besoin d’entrer moins d’instructions. »

La fin de la machine-outil ?

Les machines-outils observables dans les ateliers d’usinage possèdent parfois de deux à cinq axes rotatoires, et mis à part les imprimantes 3D, ces équipements font principalement de l’alésage et du découpage de pièce. « La machine-outil fonctionne généralement ainsi : un opérateur dessine une forme voulue sur un logiciel de dessin industriel et avec l’aide d’un compilateur, il traduit son plan technique en langage machine. Il place ensuite le morceau à transformer dans l’équipement et l’outil s’exécute. Cependant, ces machines ont des limites que les bras robotiques n’ont pas. »

En effet, une machine de type CNC est restreinte à ne faire que des coupes. L’entreprise qui décide d’automatiser une partie de sa production devra donc débourser pour acquérir d’autres équipements pour percer, par exemple. Le bras robotique, quant à lui, peut souder, couper et faire de la fabrication additive et soustractive. « Les possibilités sont très larges avec ce type de technologie. L’idée est d’amener les robots à faire certaines tâches effectuées par des machines-outils. Le but n’est pas de les remplacer, mais d’être complémentaire. »

Le nerf de la guerre

Selon Giovanni Pucella, le nerf de la guerre dans l’industrie est d’amener un automate à faire des tâches non répétitives. L’équipe de Robexco travaille d’ailleurs sur un robot qui pourrait faire des moules différents les uns des autres. « Si l’on regarde la construction d’un mur de briques réfractaires par un robot cela représente une seule et même tâche. On ne programme l’engin qu’une fois en lui indiquant la position des briques et les dimensions du mur. Pour le cas des moules, on doit réintroduire de nouvelles instructions à chaque pièce puisqu’aucune n’est semblable à la dernière. Or, un bras robotisé, ce n’est pas simple à programmer. Les mouvements rotatoires de son coude et de son poignet complexifient les choses dans le sens que le positionnement de l’outil ne se fait pas seulement sur les axes X et Y. On doit donc trouver un moyen de réduire le temps de conception afin qu’il ne dépasse pas celui de l’exécution. »

C’est ce qu’a fait la PME saguenéenne. Ils ont réduit le temps de programmation d’un robot au même niveau que celui d’une machine-outil. « Nous avons découvert une entreprise ontarienne nommée Octopuz. La société informatique a mis au point un programme qui prend le code généré par un logiciel de dessin et le traduit en langage robot. Nous offrons donc avec nos produits cette solution qui fait en sorte que le temps de conception n’est pas allongé par la complexité de la machine. »

Une technologie qui évolue vite

Le RBR, la technologie présentée le 25 mars, est déjà en route pour les installations de Rio Tinto à Kitimat en Colombie-Britannique. Le robot maçon n’aura enregistré que quelques heures d’ouvrage lors de sa première mise à jour. « Nous allons mettre à niveau son convoyeur à briques. Nous en avons développé un nouveau qui lui fera gagner 25 % en efficacité. » Le RBR a une durée de vie estimée à une vingtaine d’années. D’ici là, il est bien possible que sa technologie soit dépassée », laisse tomber M. Pucella.

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