Auteur

Karine Boivin Forcier

N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : « Industrie numérique, innovation et croissance » publié dans notre édition du mois de décembre.

SAGUENAY – Une chercheuse de Saguenay, Stéfanie Vallée, travaille à développer un outil d’autoaudit 4.0 adapté aux PME et applicable à tout type d’entreprise. Elle souhaite ainsi aider les entrepreneurs du Saguenay–Lac-Saint-Jean à prendre le très nécessaire virage numérique.

Mme Vallée est étudiante à la maîtrise en gestion des organisations à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), sous la direction de Myriam Ertz, professeur agrégée du Département des sciences économiques et administratives. Elle se penche Le degré de maturité technologique des PME au Saguenay–Lac-Saint-Jean (SLSJ). Depuis son retour aux études en 2020, elle a colligé des données scientifiques et analysé plus d’une centaine de modèles d’audit 4.0 établis jusqu’en 2017. Elle en tire deux recommandations principales : l’outil d’audit doit être réalisable par l’entrepreneur lui-même et il faut faire émerger une formule qui soit applicable à toute industrie. « Il y a de nouveaux modèles qui apparaissent depuis 2017 et qui sont très intéressants. J’ai élagué les artifices et je me suis concentrée sur un qui est, à mon avis, agile et représentatif », explique-t-elle.

Rencontrer les PME

La prochaine étape consiste à rencontrer les dirigeants de 30 PME régionales de moins de 200 employés. Elle validera avec eux sa grille d’analyse d’autoaudit multisectorielle. « Quand le projet va être terminé, à la fin de 2023, je vais lancer cet outil d’autoaudit en ligne. Il pourra être utilisé gratuitement. Je veux instrumenter les PME avec un outil de mesure. Je veux que nous puissions, même au plan régional, nous dire à quel niveau de maturité nous sommes et ce que ça signifie », mentionne la chercheuse.

Celle-ci précise que les entretiens avec les PME demeureront confidentiels et que les données seront anonymisées. « Ce que je souhaite, c’est que les entreprises acceptent de me raconter leur prise de conscience par rapport aux technologies numériques ou leur transformation. Je veux voir si elles sont conscientes du virage nécessaire, si cela fait partie de leur planification stratégique et si elles ont l’intention de s’y attaquer dans la prochaine année. » Le recrutement débutera sous peu et Mme Vallée désire commencer les entrevues en janvier.

L’outil permettra aussi de mieux comprendre quels sont les freins qui ralentissent le passage d’une étape à l’autre. « Selon ce que j’ai trouvé dans la littérature scientifique, à chaque passage d’un niveau de maturité vers un autre, ça crée une mini-crise interne. Parfois, on aime le statu quo et comme ça va bien, on ne veut toucher à rien. Sauf que ce qu’on ne sait pas, c’est qu’il y a un train derrière qui arrive. Il y a des entreprises qui ne viennent pas d’ici et qui, à cause de l’interconnectivité des marchés, des objets, des clientèles, sont en train d’aller gruger la marge compétitive de PME locales. »

Immersion dans le futur

Et ce « train », Stéfanie Vallée le connaît très bien, ayant travaillé en Chine pendant 10 ans, une véritable immersion dans le futur. « C’est en 2011 et 2012 que j’ai entendu parler du virage numérique la première fois. […] La Chine est facilement 10 ans en avance sur nous. Ça va beaucoup plus vite là-bas. On dit qu’une année ici correspond à trois à cinq ans en Chine », raconte-t-elle.

Au cours de son parcours asiatique, Mme Vallée a œuvré comme consultante pour de grandes compagnies allemandes telles que Bosch et Siemens. Elle y a été aux premières loges pour vivre l’implantation des technologies. Le changement complet du mode de fonctionnement des usines se faisait en termes de semaines plutôt que de mois.

« Il faut savoir que le virage numérique a été créé par les Allemands, qui perdaient du terrain sur les grands marchés. Ils ont fait le pari qu’en améliorant les réseaux de connectivité et les transmetteurs, ils pourraient augmenter la productivité. Pas nécessairement produire plus, mais produire avec moins de pertes, moins d’erreurs et des connaissances plus poussées pour les employés », révèle la chercheuse. Cette dernière rappelle d’ailleurs que le père du terme « Quatrième révolution industrielle » est l’allemand Klaus Schwab, fondateur et président du conseil d’administration du Forum économique mondial.

En retard

Au Québec, on s’est réveillé un peu en retard par rapport au virage numérique. Ce n’est qu’en 2015, après une visite du premier ministre Philippe Couillard en Chine, que le gouvernement a lancé la Feuille de route numérique. De là est né l’Audit 4.0 proposé par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MEIE) par le biais d’auditeurs certifiés.

Cet outil, qui comporte 200 questions, prend en compte à la fois les aspects techniques et humains. Il se veut très complet et nécessite environ 170 heures, selon Stéphanie Vallée, qui a réalisé la formation d’auditrice 4.0 à son retour au Québec en 2019. « C’est un gros outil, plus complexe. Souvent, les entrepreneurs vont se dire qu’ils ne sont pas rendus là, même s’ils sont rendus à prendre le virage numérique. Ils doivent commencer quelque part, mais l’Audit 4.0 du gouvernement peut être pertinent un peu plus tard dans leur cheminement », souligne-t-elle.

C’est d’ailleurs de son expérience sur le terrain que Mme Vallée a tiré les constats qui l’ont menée à son projet de maîtrise. « Entre 2017 et 2020, seulement un peu plus de 400 entreprises ont effectué l’audit. De ce nombre, 25 % sont considérées comme matures technologiquement. […] Ça m’a amenée à me demander pourquoi il y a peu d’entreprises qui ont fait l’audit. Pourquoi les entrepreneurs ne voient-ils pas la pertinence ? », conclut-elle.

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