Auteur

Maxime Hébert-Lévesque

N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : « Agriculture et agroalimentaire : cultiver la nordicité » publié dans notre édition du mois de juillet.

DOLBEAU-MISTASSINI – Au Saguenay–Lac-Saint-Jean (SLSJ), les éleveurs de bétail souhaitant accéder au marché des épiceries doivent passer par des abattoirs hors région. Une situation causée par l’absence d’installation de type A1 sur le territoire. Les choses pourraient toutefois changer puisqu’une étude de faisabilité concernant un abattoir mobile est en cours.

Une première partie de l’Étude d’opportunité pour développer et commercialiser une viande de spécialité issue de la région du SLSJ a été livrée au courant des derniers mois. Comme son nom l’indique, l’objectif est de déterminer si l’ensemble de la chaîne de valeur de la production de viande pourrait être viable au SLSJ. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas de produit provenant du porc, de l’agneau et du bœuf entièrement transformé ici. « Le circuit de la viande est une longue chaine dont le maillon faible est à l’extérieur de la région », s’exprime François Potvin, conseiller agricole pour la MRC de Maria-Chapdelaine.

M. Potvin fait référence aux abattoirs de type A1, ceux qui ont les autorisations pour distribuer les carcasses vers la vente au grand public et qui sont absents de la région. « Lorsque la vague du mouvement achat local a frappé, le consommateur s’est aperçu qu’il n’y avait pas de viande 100 % SLSJ. La raison est simple, les abattoirs sont à l’extérieur. Les choses sont toutefois appelées à changer. La hausse du prix de l’énergie, comme les carburants, et la pénurie de main-d’œuvre font pression sur le marché. En effet, les producteurs de la région voient leur marge bénéficiaire grugée par le transport et, pire encore, dû au manque de personnel, certaines entreprises de manutention ont dû fermer. Le résultat, on élève les animaux ici, mais on ne les revoit jamais parce que ramener les carcasses coûte trop cher. »

D’autres facteurs, soulevés par l’étude, démontrent que les consommateurs, dans leur processus d’achat, prennent en compte des critères comme la provenance et la qualité. De plus, on indique également dans le rapport que la consommation de viande de spécialité est appelée à croître au cours des prochaines années, en lien avec la demande pour des produits plus distincts, locaux et plus respectueux du bien-être animal et de l’environnement.

Une solution mobile

Les quatre MRC du SLSJ ainsi que la Ville de Saguenay étudient donc si un projet d’unité d’abattage mobile serait viable. « Après notre première ronde de récolte de données, nous savons que la demande est là. Les producteurs sont ouverts à un tel projet. La mobilité est aussi un facteur gagnant. L’abattoir couvrirait de cette façon l’ensemble du territoire en se déplaçant de secteur en secteur et en y restant pour des périodes limitées », souligne François Potvin qui ajoute qu’on vise l’ouverture d’un tel service d’ici les deux prochaines années.

L’unité mobile est une remorque pouvant être tirée par un tracteur ou un camion et dans laquelle il y a les équipements nécessaires à l’abattage des bêtes. La remorque est alimentée en électricité et comprend les systèmes d’eaux et de drainages requis pour les opérations. Plusieurs entreprises manufacturent ce type d’installation et les prix gravitent autour du demi-million de dollars dépendamment de la grosseur de l’unité.

« Selon nos prévisions, trois employés seront nécessaires au bon fonctionnement des activités qui devraient représenter l’abattage d’une dizaine de têtes par jour. L’équipe derrière le projet devrait se retrouver à l’automne pour déterminer certains enjeux reliés au financement et au concept, dont la structure juridique (privé, public, coopérative) qui chapeautera l’abattoir. L’objectif des MRC n’est pas de devenir propriétaires des installations. Toutefois, ça va peut-être prendre un premier investissement public pour décoller l’initiative et inciter les entreprises privées à embarquer. Au Yukon, le gouvernement est propriétaire de l’unité mobile et aux trois ans, l’État émet un nouvel appel d’offres pour trouver un opérateur. C’est l’une des solutions qui pourraient être envisagées, mais pour l’instant rien n’est fixé. »

Changer les lois

Au SLSJ, on compte trois abattoirs de proximité et un autre dans le secteur de Saguenay est en cours d’élaboration. « Il est impératif que l’unité mobile soit certifiée A1. C’est la clé du succès de ce projet. Les installations A1 doivent respecter plus de normes et suivent certaines procédures. Ces caractéristiques compliquent un peu les choses. L’un des points les plus problématiques, c’est la présence d’un vétérinaire en tout temps lors de l’abattage. Le professionnel de la santé a le mandat d’inspecter chaque carcasse pour s’assurer qu’il n’y ait pas de contaminants ou de maladies. La pénurie de main-d’œuvre touche tous les secteurs et il est difficile et couteux de trouver un médecin en région qui souhaite se consacrer à cette tâche. L’UPA est actuellement sur un dossier avec le MAPAQ pour modifier un peu cette loi. L’idée serait de pouvoir faire inspecter la viande par visioconférence. Une solution qui nous parait réaliste. Depuis la pandémie, la technologie dans ce domaine a beaucoup évolué et désormais des rendez-vous médicaux se font en téléconférence d’un océan à l’autre. J’ose croire qu’il est possible de faire de même pour l’inspection des bêtes », souligne l’expert en agriculture de la MRC de Maria-Chapdelaine.

Pas dans ma cour

La sensibilité de la population à l’égard des animaux n’étant plus la même qu’autrefois, un abattoir peut soulever des questionnements et des craintes pour une partie de la société. L’acceptabilité sociale est donc un enjeu tout aussi important que le financement pour la réalisation d’un tel projet. « Il y a un avantage au niveau du bien-être de l’animal lorsqu’on parle d’unité mobile. Le voyagement en camion des animaux entassés les uns sur les autres et sur de très grandes distances a pour effet de stresser les bêtes. Pouvoir retirer cette étape anxiogène de la chaine de production serait bénéfique. Toutefois, un abattoir demeure un abattoir, on s’entend que ce n’est pas un lieu qui sera visité lors des sorties scolaires. Je pense qu’il ne faut pas se voiler les yeux, mais plutôt de diriger l’attention sur les avantages des circuits courts pour l’environnement et le bien-être animal ainsi que sur l’achat local. »

Moins cher pour le consommateur ?

L’une des questions abordées fréquemment dans le dossier de l’unité d’abattage mobile, c’est la réduction du prix de la viande pour le consommateur. Les coûts reliés au transport étant quasiment nuls, est-ce que le conserver aurait une réduction sur les produits issus de la région ?

« Il est difficile de répondre à cette question. Je pense qu’avant tout, c’est l’éleveur qui pourrait recevoir le juste retour sur son investissement. Actuellement, nos intrants pour nourrir nos bêtes ont augmenté, mais l’encan qui achète nos animaux pour les parcs d’engraissements n’a pas revu à la hausse ses prix. Autrement dit, l’argent monte, mais ne redescend pas. Le client se fait dire que tout coûte plus cher à cause de l’explosion du prix des matières premières et l’éleveur se fait dire que la transformation est plus dispendieuse. Finalement, ce sont les mêmes dans la chaine de valeur de la viande qui génèrent des profits. L’idée d’un abattoir A1 en région est principalement pour mieux contrôler notre industrie. Pour le consommateur, l’avantage se trouve plutôt dans la qualité et la traçabilité de leur nourriture », conclut Jennifer Harvey, copropriétaire de la Ferme l’Air de bœuf à Bégin.

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