SAGUENAY – Le natif de Jonquière Guillaume Lavoie croit fermement que l’économie collaborative peut être un vecteur de développement économique, plus spécifiquement pour le tourisme, et encourage les municipalités, dont celles de la région, à se pencher sérieusement sur cette approche peu exploitée au Québec. Le chargé de cours, conférencier et président du Groupe de travail sur l’économie collaborative, affirme même qu’une « ville qui ne se met pas en mode réflexion économie collaborative, c’est une ville qui perd des opportunités pour elle, comme gestionnaire de taxes de ses citoyens et aussi pour ses entreprises ».
D’abord, il faut préciser, pour les non-initiés, que l’économie collaborative se définit comme étant l’utilisation de la capacité excédentaire d’un bien ou d’une ressource par-delà son utilisation usuelle, de manière à faire plus avec ce qui existe ou ce que l’on possède déjà. À titre d’exemple, Uber et Airbnb sont des entreprises d’économie collaborative.
Des bâtiments multi-usages
« Pour revenir aux municipalités, par exemple, les plans de tout ce qui se construit doivent passer par elles, que ce soit un bâtiment privé ou public. Si la ville décide de se doter d’infrastructures collaboratives, elle ne devrait pas autoriser une école à côté d’un centre communautaire. C’est exactement le même bâtiment. Elles devraient exiger, par exemple, des portes séparées pour les gymnases pour permettre une utilisation le soir, les fins de semaine et lors des vacances. Les villes devraient aussi mettre en place des bibliothèques d’outils. Le but d’une bibliothèque est de donner accès à plus de choses. Pourquoi se limiter aux livres ? »
« À Ottawa, ils en ont une pour toutes sortes de choses comme des équipements de camping, canot, kayak, etc. Et c’est un succès énorme. Souvent, ce ne sont pas des équipements dont on a souvent besoin. Je pense à des outils, à un escabeau, etc. Et la ville n’a pas à acheter tout cela. Elle peut faire un appel auprès des citoyens qui, au lieu de les jeter, pourraient les donner à la bibliothèque d’outils », indique Guillaume Lavoie, en ajoutant à sa liste de partage plusieurs autres exemples comme la location des voitures municipales quand elles ne servent pas, les stationnements, les différents locaux ou équipements, etc.
En haut de la liste pour le tourisme
L’économie collaborative devrait être en haut de la liste de la stratégie touristique en 2020 parce que le tourisme, surtout au Québec, est une affaire de périodes de pointe.
« C’est la solution pour mobiliser les actifs d’accueil pour ces périodes de pointe. On a une stratégie dans la région un peu d’un autre siècle qui dit ceci en gros : si vous n’avez pas de voiture, ne venez pas nous voir. Je peux venir en avion, en train, en autobus, mais une fois rendu, ça me prend une voiture. La moitié des Montréalais n’ont pas d’autos et cet été, tout ce beau monde va voyager au Québec. C’est là, par exemple, où Turo, la plus grande plateforme d’autopartage au monde, doit faire partie intégrante de la stratégie de promotion touristique. Il y a aussi une autre plateforme extraordinaire, RVEZ.com, le Airbnb du motorisé. On n’a pas besoin de développer de technologies, elles sont là. »
Ça existe ailleurs
M. Lavoie affirme que même les commerces doivent être amenés à réfléchir au mode collaboratif. Il pense notamment aux restaurants qui développent chacun leur infrastructure de livraison, alors qu’il y a en a déjà en place comme Uber eats (présent à Montréal, Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières) et d’autres qui pourraient voir le jour pour l’ensemble de l’industrie.
« Les occasions sont multiples. Il s’agit de vouloir. Regardez le transport en commun qui accumule des déficits astronomiques dans les régions en raison de la faible densité de la population. Il faut mobiliser les sièges vides qui se promènent tous les jours. Il y en a près de deux millions dans la région et 25 millions au Québec. Je n’invente rien. Ça existe ailleurs. L’application Eva permet aux gens qui veulent faire de l’argent d’arrêter lors de leur trajet pour prendre un passant qui a fait appel au service sur son application. Tout cela se fait en temps réel, en quelques secondes. En France, ils ont la plateforme Swimmy qui permet la location des piscines entre les particuliers. »
Pour les entreprises, celui qui a présenté plus de 150 conférences sur ce thème au Canada et à l’étranger soutient qu’il faut absolument connaître le BizBiz Share (achetez, vendez ou louez des inventaires, espaces d’entreposage ou des équipements d’autres entreprises). « Tout ce qui ne sert pas à 100 %, c’est un potentiel qui dort. C’est vraiment de faire plus avec ce qui existe déjà. »
Le Québec et les municipalités en retard
On observe plusieurs bons coups, comme à Plessisville où les citoyens peuvent emprunter des voitures de la municipalité, les bibliothèques d’outils développées à Toronto et à Ottawa, ainsi que plusieurs villes et quartiers industriels qui font des partenariats avec la plateforme BizBiz Share.
« Toutefois, le Québec est très en retard dans le partage d’actifs. Il y a une espèce de mythe comme quoi c’est l’affaire des grandes villes. Pourtant, les petites villes tissées serrées sont encore mieux prédisposées pour embarquer dans l’aventure. Il y a quelque part dans les vieilles habitudes de faire cela. On vient juste ajouter une part de technologie pour rendre cela plus facile. À la fin, si on le fait, c’est parce que c’est payant. Chacun décide de ce qui est bon pour lui. Il faut se poser la question avant d’acheter ou de construire, est-ce que je peux maximiser des ressources qui sont déjà là ?
« Ça, c’est vrai pour le privé, le public, les grandes entreprises comme les petites. Il y a beaucoup de leadership politique là-dedans. À un moment donné, un élu va dire moi je veux cela chez moi. Dans notre rapport sur l’Économie collaborative en 2018, le groupe de travail suggère aussi que le gouvernement du Québec crée un secrétariat à l’économie collaborative », de conclure Guillaume Lavoie.
Soulignons enfin que selon le dernier recensement, il y aurait un peu plus de 210 initiatives de l’économie collaborative au Québec ayant cours au sein de 16 secteurs d’activités différents. Parmi les secteurs les plus actifs, mentionnons celui des biens (31 % des initiatives), celui de l’espace (19 %), de l’alimentation (13 %), des services (8 %), des entreprises et organisations (6 %) ainsi que de la finance (6 %).