SAGUENAY - Avec quatre des neuf alumineries du Canada, le Saguenay-Lac-Saint-Jean est une région cruciale pour la production d'aluminium au pays. Malgré les nombreux enjeux qui touchent actuellement cette industrie, elle devrait demeurer un moteur économique solide, selon le professeur d'économie à l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), Rémi Morin Chassé.

« Moi, j'entrevois quand même un beau futur. Il va toujours y avoir des aléas ou des enjeux environnementaux. [...] Somme toute, c'est une industrie qui est stable et qui va le rester sensiblement pour les prochaines années. Elle va aussi être sujette à des changements technologiques, possiblement une amélioration de l'efficacité », mentionne M. Morin Chassé.

Celui-ci explique que pour bien comprendre le contexte entourant la situation actuelle du secteur de l'aluminium, il y a plusieurs éléments à prendre en compte. D'abord, il y a eu une forte volatilité des prix de ce métal dans les dernières années, notamment à la suite de la crise financière de 2008 et de la pandémie. Cet état de fait a beaucoup influencé les décisions des producteurs d'aluminium primaire au cours de la décennie passée.

« Dans l'environnement régional, on entend beaucoup récemment que les prix sont sans précédent et qu'on doit investir. [...] Même si les prix sont très élevés à court terme, ça n'exclut pas qu'il puisse y avoir des baisses très marquées dans le futur. Cette variabilité des prix peut avoir des impacts très importants sur la décision d'investir ou non. Autant, si les prix sont faibles, on va attendre plus longtemps avant d'investir, autant, s'ils sont élevés, on risque d'attendre encore au cas où ils retomberaient », souligne Rémi Morin Chassé.

Énergie

Un autre élément essentiel de la dimension régionale du secteur est l'hydroélectricité. L'industrie de l'aluminium est très énergivore. Or, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, Rio Tinto est propriétaire de plusieurs barrages hydroélectriques, ce qui lui permet de compter sur une source d'électricité verte, à faible coût. « D'un point de vue industriel, l'accès à une source d'électricité qui est stable dans une économie qui est stable, ça reste un avantage comparatif du marché canadien », note le professeur.

L'environnement est aussi un aspect essentiel de l'avenir de l'aluminium régional. Malgré l'hydroélectricité, qui positionne l'aluminium québécois comme plus vert que celui produit dans d'autres pays utilisant des énergies non renouvelables, l'industrie demeure une importante émettrice de gaz à effet de serre (GES). La réduction des GES et la réutilisation des résidus industriels sont d'ailleurs d'importants enjeux et font l'objet de plusieurs projets de recherches. Notamment, Elysis pourrait changer la donne dans le futur avec sa technologie d'anodes inertes. 

« Je m'intéresse particulièrement aux impacts de la circularité, dont on entend beaucoup parler, dans ce secteur. Il faudra voir où il y a du recyclage, quels sont les impacts de l'aluminium primaire par rapport à l'aluminium secondaire et comment on peut générer de l'aluminium secondaire sur nos marchés. On a un avantage comparatif régionalement, mais on reste quand même loin des principaux marchés consommateurs de la ressource », mentionne Rémi Morin Chassé.

Montée de la Chine

Un dernier aspect à prendre en compte, c'est que les alumineries québécoises évoluent dans un marché mondial. « Les prix sont déterminés à la Bourse de Londres et les échanges se font partout. Il y a eu un changement structurel de l'industrie avec la montée en puissance de la Chine au cours des années précédentes », révèle M. Morin Chassé.

À la fin des années 90, le Canada se classait ainsi au troisième rang des producteurs d'aluminium mondiaux, derrière les États-Unis et la Russie. Entre 1997 et 2005, la Chine est passée à la première place, position qu'elle maintenait encore en 2022, suivie de l'Inde et de la Russie. Le Canada se retrouvait au quatrième rang, tandis que les États-Unis avaient glissé en neuvième place. La Chine produit donc aujourd'hui plus de 50 % de l'aluminium mondial.

En 2022, la Chine était également le principal consommateur d'aluminium, avec 57,5 % de la demande mondiale. « Ça, ça veut dire que la Chine dépend de ses besoins internes. Il y a eu dans ce pays un ralentissement économique important et la demande interne de produits finis a diminué. Ça a créé une surcapacité de production dans le secteur de l'aluminium », commente le professeur. 

Les surtaxes

Il est important de comprendre que les procédures pour arrêter une aluminerie sont longues, coûteuses, laborieuses, voire risquées. La Chine ne peut donc pas réduire drastiquement la production. « Alors qu'est-ce qu'on fait avec l'aluminium ? On essaie de trouver preneur, de ne pas trop ralentir la production. [...] Là, on arrive à la situation des dernières semaines ou mois, avec les pressions pour tarifer les produits d'aluminium chinois sur les marchés nord-américains », affirme Rémi Morin Chassé.

Fin août, le Canada a ainsi emboîté le pas aux États-Unis en annonçant des surtaxes de 25 % sur l'importation de plusieurs produits d'aluminium en provenance de la Chine. Ces surtaxes se fondent sur l'analyse par le gouvernement que la Chine utilise les marchés internationaux pour écouler sa production excédentaire à des prix inférieurs à ceux de son marché intérieur (le fameux dumping).

Selon M. Morin Chassé, pour les marchandises ciblées pour les surtaxes, on a effectivement pu constater une augmentation majeure des importations en provenance de la Chine au cours des dernières années. « Au niveau de la tôle, les importations ont presque quadruplé entre 2017 et 2022. [...] Près du quart des importations d'aluminium en valeur venaient de la Chine en 2023 », indique-t-il. 

Il révèle qu'entre 65 % et 75 % des importations pour les produits identifiés par le gouvernement canadien proviennent de la Chine. « C'est une part importante des produits qui sont consommés au Canada », relève le professeur. Ce dernier ajoute qu'il y a une différence de 10 % à 25 % entre les prix chinois et ceux des autres partenaires économiques majeurs. « Je ne peux pas dire que c'est pour un produit en tant que tel, parce que les catégories pour les données à l'importation et à l'exportation ne vont pas dans les détails les plus fins, mais on est capable de créer des indices synthétiques qu'on peut comparer. Ça nous permet de voir qu'il y a une différence substantielle au niveau des importations chinoises », nuance-t-il, ajoutant que les allégations de dumping n'ont pas encore été prouvées et que la Chine pourrait contester les mesures.