« C'est le deuxième moment le plus important pour le commerce de détail. Le premier, c'est le printemps et le début de l'été où il y a beaucoup d'achats de voitures, de matériaux pour la rénovation, etc. Cependant, pour beaucoup de détaillants, Noël est vraiment le pic, comme dans les secteurs de l'électronique, des bijoux. Ça demeure important année après année », analyse Damien Hallegatte, professeur titulaire de marketing à l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
Selon les chiffres présentés dans le Baromètre sur les intentions d'achat des Québécois en prévision du Vendredi fou et des Fêtes publié à la mi-novembre par le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), même si les ménages de la province se disent plus inquiets financièrement face à l'avenir (74 %), ils prévoient somme toute dépenser un montant semblable en moyenne à celui de l'an dernier, soit 1096 $.
La plus grande partie de cette somme (318 $) est destinée aux cadeaux, suivis par la nourriture (158 $) et les boissons et l'alcool (102 $). Les répondants du sondage sont 67 % à continuer d'offrir des cadeaux, peu importe la variation de leur situation financière.
Recherche du meilleur prix
Toutefois, les habitudes d'achat sont différentes relativement à l'an passé. Les consommateurs sont plus nombreux à guetter les soldes et à rechercher le meilleur prix. Plus de 56 % des répondants du Baromètre prévoyaient en effet faire leurs emplettes durant le Vendredi fou, une hausse de 14 % par rapport à 2023. Quelque 61 % d'entre eux attendront la fin des festivités afin de profiter des soldes de l'Après-Noël.
« Ils font plus attention à leurs dépenses, ils réfléchissent avant d'acheter. [...] Ça prouve que la situation économique touche directement les consommateurs. Les gens retardent leurs acquisitions pour avoir les meilleures opportunités de soldes », note le directeur général du CQCD, Damien Silès.
« Cette année, on voit vraiment qu'on va consommer, même un petit peu plus que l'an dernier, mais la chasse aux aubaines est la tendance la plus importante. C'est lié à l'inflation. On cherche les aubaines, mais paradoxalement, le montant [dépensé] augmente, donc on ne cherche pas les aubaines pour consommer moins, mais pour acheter plus finalement », renchérit M. Hallegatte.
Un phénomène important
Le professeur explique que le Vendredi fou demeure un phénomène important qui encourage la consommation. Il souligne que le fait de profiter d'aubaines donne un aspect rationnel à la dépense. « En apparence, c'est très rationnel parce qu'on économise de l'argent, mais au fond, ça permet de laisser libre cours à nos pulsions et nos envies d'achat sous prétexte que c'est en promotion », résume-t-il. Il précise que les soldes attirent les consommateurs, mais qu'une fois en magasin, il y a une chance qu'ils acquièrent des produits à prix courant.
Par ailleurs, le Vendredi fou est maintenant très ancré dans la société et associé aux plus grosses promotions de l'année. « C'est l'aubaine à ne pas rater. Quand on prononce le mot, ça met les gens dans l'état d'esprit de chasseur d'aubaines. On se pense rationnel, mais on oublie de se demander si on en a vraiment besoin. On est à l'affût de ne pas rater cette occasion qui est juste quelques jours et qu'après, ce sera trop tard. Alors que toute l'année, il y a des promotions », constate Damien Hallegatte.
La tendance à annoncer des promotions de novembre et de Pré-vendredi fou va aussi en ce sens. « Des soldes, les détaillants en font tout le temps. Là, ils l'appellent Pré-vendredi fou, parce que dans la tête des gens, Vendredi fou égale aubaines pas possibles. Ils profitent de l'image du Vendredi fou pour nommer des aubaines qu'ils auraient peut-être faites quand même », relate M. Hallegatte.
Les Fêtes, une période magique
On pourrait croire que le contexte économique plus difficile, l'inflation, la hausse des taux d'intérêt ou les préoccupations environnementales influenceraient la consommation de la population. Or, comme les chiffres le démontrent, les dépenses demeurent stables ou augmentent année après année. Une tendance que le professeur de marketing explique par l'aspect magique du temps des Fêtes.
« C'est une sorte d'époque magique où on oublie un peu les soucis de l'année. C'est le moment où on peut se lâcher. [...] La magie de Noël enlève nos freins habituels. Toute l'année, on résiste à nos envies d'acheter, puis Noël arrive et on se lâche », affirme-t-il.
Dans cet état d'esprit, il est logique que les gens continuent à consommer durant la période des Fêtes. « On peut se dire que les gens ont moins confiance dans l'économie, sont plus anxieux, donc ça va avoir un impact négatif sur Noël. Mais pour moi, c'est exactement le contraire. Puisque Noël, c'est le moment pour oublier, pour faire la fête, pour ignorer la réalité, ça ne m'étonne pas que ça demeure un moment important pour le commerce, parce qu'on associe la consommation et l'achat au plaisir. Plus le monde est anxiogène, plus les gens vont en profiter à Noël », estime Damien Hallegatte.
Celui-ci pense également que, dans notre société à la morale judéo-chrétienne, acheter des cadeaux pour les autres est mieux vu que d'acquérir des choses pour nous-mêmes. « On fait plaisir aux autres, donc ça devient moralement acceptable. C'est un prétexte pour consommer. Tout le monde fait ça en même temps », ajoute-t-il.
De plus en plus tôt
Le professeur remarque que le magasinage des Fêtes commence de plus en plus tôt, notamment dans le but de rechercher les aubaines. « Google a constaté une augmentation des recherches sur les cadeaux de Noël dès le 1er septembre. Parmi les jeunes, il y a une proportion de 10 % environ qui font leurs achats de cadeaux avant l'Action de grâce. »
Cette tendance est encouragée par les commerces, où il n'est pas rare de voir des objets liés à Noël avant même que l'Halloween ne soit terminée. « Les détaillants se mettent en mode Noël. Ça fait en sorte de placer les clients dans l'esprit de Noël. Le principe, c'est de faire commencer les gens à magasiner plus tôt, parce que plus ils commencent tôt, plus il y a de chances qu'ils achètent plus de choses », conclut Damien Hallegatte.