SAGUENAY - Dans un monde où la technologie évolue à vitesse grand V, il ne faut pas voir un projet de virage numérique comme une fin en soi. L'innovation doit plutôt devenir un mode de fonctionnement pour les entreprises. 

« Il y a eu une période où on disait : OK, on va faire une transformation numérique, ça va prendre trois ans et on va avoir transféré notre organisation. [...] Mais ce qui arrive, c'est que la technologie continue d'avancer. Quand tu penses que tu as terminé cette transformation, le monde qui t'entoure a continué de changer parce que de nouvelles technologies ont été mises sur le marché. Au final, tu dois continuer de t'adapter et de t'améliorer. La transformation numérique, c'est un périple. Il n'y a pas de fin », résumer Olivier Laquinte, président de Talsom, une firme-conseil en technologie montréalaise. 

Celui-ci constate qu'aujourd'hui, on ne peut plus voir la réalisation d'une feuille de route technologique une seule étape à la fois. « Il y a longtemps, on pouvait dire au client : on va installer un ERP [progiciel de gestion intégrée NDLR], ça va prendre trois ans et ensuite on va se parler du reste. Maintenant, on ne peut plus faire ça. Il faut que tu implantes ton ERP tout en faisant d'autres plus petits projets en même temps », affirme-t-il. 

Moderniser les processus

Derrière les premiers cycles de transformation numérique au sein d'une entreprise, on doit donc venir moderniser les processus et procédés existants pour être ensuite capable d'intégrer les nouvelles technologies. Pour expliquer cet aspect, M. Laquinte met de l'avant le concept de dette technologique. Cette dette représente le temps nécessaire pour être en mesure de tirer réellement profit de ces nouvelles technologies.

« S'il y a de nouveaux outils qui sortent, que je voudrais utiliser, est-ce qu'aujourd'hui, je suis capable de les implanter dans mon organisation ? Si je ne le suis pas, parce que mes processus sont papiers et que je n'ai pas de données pour l'instant, et que ça me prend un an ou deux pour arriver à numériser ces processus, ça crée une dette technologique. Pendant deux ans, par exemple, je dois établir ma fondation pour ensuite pouvoir m'améliorer », illustre le président de Talsom. 

Cette modernisation est donc essentielle pour implanter une base numérique sur laquelle une entreprise pourra optimiser ses opérations. « Ça permet de standardiser les processus pour être en mesure de les perfectionner, tant dans les services administratifs (finances, chaîne d'approvisionnement, ventes, marketing, etc.) que dans la production », précise Olivier Laquinte. Cela assure aussi aux entreprises de conserver une agilité et une capacité d'adopter les nouvelles technologies. 

Dette transformationnelle

Au concept de dette technologique, M. Laquinte ajoute celui de dette transformationnelle. « C'est la même chose, mais au niveau humain. Est-ce que mes équipes, je suis capable de les entraîner dans le mouvement, de les mobiliser dans le projet ? Est-ce que j'ai une culture du changement et de l'adoption du numérique dans mes équipes ? Si je ne l'ai pas, je dois travailler avec mes employés pour pouvoir les amener à avoir le goût d'adopter le numérique. Mais c'est souvent plus difficile de faire évoluer les gens que d'introduire une technologie. C'est là que la gestion du changement [voir texte en page 14] devient hyper importante », partage-t-il. 

L'établissement d'une culture technologique à l'intérieur des organisations est donc un aspect essentiel de tout parcours de transformation numérique. Il faut porter attention à la façon dont ces projets sont introduits, gérés, suivis. « Un des exemples que j'utilise souvent, c'est de dire que la première fonction overhead que tu vas aller chercher, c'est celle des finances. Ça prend un contrôleur, quelqu'un qui fait de la tenue de livre, etc. Un moment donné arrive le directeur des technologies, mais sa responsabilité va être de s'occuper des ordinateurs et du réseau. Au fur et à mesure de la croissance de l'entreprise, il y a plusieurs fonctions qui vont gagner en importance, mais celle dédiée à la technologie va rester un support. Elle ne deviendra pas une fonction stratégique avant très longtemps, si même elle le devient », indique Olivier Laquinte.

Ce dernier ajoute que la technologie a pris une envergure stratégique et qu'il est impératif de la considérer comme telle. Pour implanter une culture numérique, les gestionnaires doivent aborder ce type de projets comme des projets d'entreprise plutôt que de les voir comme dépendant uniquement du département des technologies de l'information (TI). « Ça force les gens à regarder ce que la technologie peut faire différemment pour notre organisation. C'est là qu'il faut se rendre », souligne-t-il. 

L'IA générative, vecteur de démocratisation

Le président de Talsom considère que l'intelligence artificielle générative, comme ChatGPT ou Copilot, présente certains avantages dans le milieu des affaires. « Ça vient rendre un segment technologique accessible à toutes les organisations, alors qu'avant, c'était la chasse gardée des très grandes entreprises. [...] Jusqu'à tout récemment, quand on parlait d'intelligence artificielle, c'étaient de gros projets, qui demandaient des investissements massifs », rappelle-t-il. 

Or, l'IA générative, facilement disponible, démocratise l'intelligence artificielle, tout en rendant le numérique attrayant pour les humains au sein d'une organisation. M. Laquinte croit qu'on peut utiliser ces systèmes pour créer un engouement technologique dans une entreprise. « Il n'y a pas beaucoup d'entreprises qui ont zéro technologie. La plupart ont un certain niveau. L'IA générative permet de donner un outil à un employé en lui proposant d'essayer des choses. On peut rêver en équipe à la façon dont l'IA pourrait nous amener à travailler différemment. Et sur cette base-là, on peut se développer une feuille de route technologique, qui va aussi inclure des systèmes qui se situent au niveau de la fondation et qui permettront de s'optimiser », suggère-t-il. 

Trois obsessions

En matière de transformation numérique, Olivier Laquinte suggère de partir de ses objectifs d'affaires pour ensuite voir comment il est possible d'utiliser la technologie pour les atteindre. Les gestionnaires devraient par ailleurs se laisser guider par trois obsessions technologiques pour leur entreprise : comment on valorise les données, avoir une architecture ou un environnement technologique agile et flexible, ainsi que développer une culture numérique au sein de l'organisation. 

« Il faut avoir ces trois éléments en tête, surtout dans un contexte où les cycles d'innovation technologique sont hyper rapides. [...] Cette vitesse-là fait en sorte que la seule manière d'assurer sa survie en tant qu'organisation, c'est d'être à l'affût des changements », conclut M. Laquinte.