N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : Agriculture et agroalimentaire : cultiver l'avenir de la région, publié dans notre édition du mois de juillet.

SAINT-AMBROISE — La préservation des terres agricoles est un enjeu de plus en plus pressant au Québec. L’urbanisation, les projets industriels et les infrastructures énergétiques exercent une pression croissante sur ces précieuses terres. Des producteurs et gens de l’industrie tirent la sonnette d’alarme pour la protection du territoire agricole, qui s’est effrité dans les dernières décennies. 

Nicholas Tremblay est producteur d’œufs à Saint-Ambroise. Depuis plusieurs années, il est président du comité d’aménagement de l’UPA Saguenay–Lac-Saint-Jean et président du syndicat local du Fjord. Avec ses 16 années d’expérience avec son pondoir et un baccalauréat en agronomie en poche, il met en lumière l’importance des terres agricoles comme outils de travail et de sécurité alimentaire.

Ayant grandi sur la Rive-Sud de Montréal, il a transformé les terres peu exploitées de ses grands-parents en une exploitation d’œufs prospère. « Ici, les œufs partent en palette auprès des restaurateurs et les marchés d’alimentation. Je suis privilégié de pouvoir évoluer dans ce domaine, puisque je n’ai pas grandi dans les champs », explique-t-il.

Spéculation sur les terres : un enjeu pour la relève

Les terres agricoles, autrefois perçues uniquement comme des outils de production, ont pris une dimension économique significative. Cette valorisation, bien que positive en apparence, pose des défis pour la relève agricole, raconte M. Tremblay. Il souligne que la valeur spéculative des terres dépasse souvent leur rentabilité agronomique, rendant leur acquisition difficile pour les jeunes agriculteurs.

« Il y a un décalage entre la valeur spéculative et la valeur agronomique des terres. Ce phénomène crée une barrière pour la relève et favorise la concentration des terres entre les mains de grandes entreprises ou encore, une diminution de la superficie du territoire agricole au Québec parce que des parcelles sont vendues pour d’autres projets grâce à des offres plus que généreuses », met-il en relief.

Pour Nicholas Tremblay, il va de soi de que des projets éoliens, bien que nécessaires et salutaires pour la transition énergétique, représentent un enjeu pour les terres agricoles. Il reconnaît l’importance de l’énergie éolienne, mais insiste sur la nécessité de protéger le territoire : « Oui aux éoliennes, mais ne touchez pas à nos garde-mangers. »
Il explique que l’implantation de ces infrastructures sur des terres réduit la surface disponible pour la production alimentaire et ajoute des contraintes supplémentaires pour les agriculteurs. 

De plus, les projets industriels, tels que les usines de batteries ou des centres de données et de distribution, exercent une pression sur les terres agricoles en raison de leur besoin de terrains vastes et plats, souvent situés à proximité des services et des routes. Cette situation conduit à une compétition entre l’usage agricole et industriel des terres, augmentant les prix et rendant l’accès aux terres encore plus difficile pour les agriculteurs.

Au-delà de l’éolienne

Rappelant que les terres cultivées possèdent des avantages notables, notamment parce qu’elles sont majoritairement des terrains plats et nécessitant peu d’investissements pour les adapter, M. Tremblay appelle à une prise de conscience collective. « Lorsqu’on construit des éoliennes sur une ferme, c’est simple et, en apparence, ça ne prend pas de place. Il ne faut pas oublier que les chemins d’accès et l’empreinte des pieds d’éolienne finissent par être non négligeable. Du territoire, il y en a, mais la surface cultivable, elle, est très faible. »

Penser à l’avenir

Des projets de développement énergétique, industriel, commercial et résidentiel talonnent les champs. En effet, les producteurs reçoivent des offres très élevées.

« Pour un agriculteur, son fonds de pension, il le retrouve dans la valeur de ses immobilisations, de ses terres. Contrairement à un placement, il ne peut pas décaisser ; il doit vendre des parcelles. Lorsqu’une offre est reçue, c’est évident que ça crée des questionnements, car le prix proposé est souvent nettement supérieur à la valeur de production qu’une terre aurait au fil des années. Toutefois, il faut être judicieux et analyser sérieusement si la vente en vaudra la peine. Oui, ça a des avantages personnels, mais pour l’avenir, pour la relève, est-ce que c’est une transaction qui sera bénéfique ? », rappelle l’agronome de métier.

Selon des statistiques de l’UPA, le Québec possède environ 2 % des terres agricoles du Canada, tandis que l’Ontario en détient 8 % et que les États-Unis possèdent environ 45 % de leur territoire total en terres agricoles. Le Québec a une superficie agricole utilisée relativement limitée, surtout si on la compare à des régions comme l’Ontario ou certaines parties des États-Unis, comme le Midwest, connu pour ses vastes terres fertiles.

La superficie agricole du Québec, en baisse constante, met en lumière l’importance de la conservation afin de préserver la souveraineté alimentaire de la province. « Une zone agricole est un outil de travail et elle sert à satisfaire des besoins de base : se nourrir. Les superficies étant de plus en plus limitées, faisons-y attention », réplique-t-il lorsque questionné sur la perception qu’on pourrait avoir quant à un territoire de production énorme au Québec.

Une responsabilité collective

La préservation des terres agricoles ne repose pas uniquement sur les agriculteurs, mais sur l’ensemble de la société. M. Tremblay souligne l’importance de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) dans la régulation de l’utilisation des terres agricoles. Toutefois, il insiste sur la nécessité d’une politique proactive pour garantir que les terres agricoles restent dédiées à la production alimentaire.

« En tant que société, il faut se poser la question : voulons-nous être plus dépendants d’une production mondialisée ou être capables d’avoir une certaine autonomie ? », questionne le producteur d’œufs, rappelant que la pandémie aura mis au grand jour certaines difficultés en approvisionnement local auprès de la population avec le modèle mondial.