SAGUENAY – Les pères d’aujourd’hui sont nombreux à prioriser la conciliation travail-famille et les entrepreneurs ne font pas exception. Ces hommes d’affaires s’engagent pleinement, à la fois dans leur paternité et le développement de leur entreprise. Entre grands bonheurs et défis du quotidien, trois pères en affaires se confient.
Troisième génération de la famille Gilbert à la tête d’Intercar, Hugo Gilbert a baigné dans le monde des affaires dès son plus jeune âge. Il avait donc déjà un exemple par son père quand il a lui-même eu ses garçons, aujourd’hui âgés de 16 et 14 ans.
« J’ai vu mon père avoir des employés qui venaient cogner à la maison, je les entendais discuter, je voyais mon père travailler fort dans l’entreprise. Aujourd’hui, ce dont je me rends compte, c’est que des organisations comme la nôtre, ouvertes 24 h/24 avec du transport toujours sur la route, c’est évident qu’il y a de l’osmose entre la famille et le travail. Ce n’est jamais arrêté. Je peux avoir des appels le soir, la fin de semaine. Il y a des employés qui viennent à la maison pour discuter des enjeux. Je vois toujours mes enfants graviter alentour aussi », raconte-t-il.
Ses fils ont d’ailleurs développé un intérêt pour Intercar. L’aîné œuvre maintenant à temps partiel au sein du groupe pour faire de la mécanique, alors que le benjamin a demandé à travailler du côté de l’administration cet été. Ils posent des questions, se renseignent sur ce qui se passe dans la vie professionnelle de leur père. Ce dernier s’assure toutefois que ça vienne d’eux, sans pression. « C’est sûr qu’une quatrième génération à la tête de l’entreprise serait un honneur, mais je ne veux pas qu’il y ait d’obligation. S’ils prennent d’autres directions et qu’ils sont heureux, je serai leur plus grand partisan. »
Cette osmose, Emmanuel Ross-Morel, propriétaire avec sa conjointe Élysabeth Savard de la Boucherie Davis d’Arvida et du Dépanneur Voisin de Shipshaw, la vit également depuis la naissance de son fils Arthur, il y a deux mois et demi. Les jeunes parents étaient alors en pleine transaction pour l’acquisition du Dépanneur Voisin.
« Quand nous sommes passés chez le notaire, notre garçon n’avait que quelques jours et il était avec nous ! […] Il n’y a pas vraiment eu de transition à faire. Il est toujours avec nous, au travail comme à la maison. Nous n’avons pas vraiment changé notre rythme de vie, mais nous avons quelqu’un de plus à transporter. C’est sûr qu’il y a un peu plus de logistique, mais ça s’est vraiment fait naturellement », indique le jeune père.
Conciliation
La conciliation entrepreneuriat-famille demande de l’organisation, surtout lorsque les enfants sont jeunes. Pour les trois pères, la clé, c’est de travailler en équipe avec leur conjointe. « Comme Élysabeth allaite, actuellement notre fils est plus avec elle, mais je m’occupe de lui aussi. Je prends aussi la relève pour certaines tâches. Au début, comme j’avais moins besoin de sommeil, je me levais plus la nuit. Je le changeais, je l’amenais à ma conjointe pour qu’elle puisse l’allaiter. Le jour, elle faisait des siestes aussi. C’est un travail d’équipe », affirme Emmanuel Ross-Morel.
Le partage des tâches s’est aussi fait assez naturellement pour Dave Gosselin, entrepreneur en série aujourd’hui directeur général adjoint du Groupe Coderr et copropriétaire de Campin.ca. « Ma femme et moi sommes ensemble depuis 30 ans maintenant. Nous sommes un couple fort et uni. Nous nous connaissons bien et avons chacun nos tâches. Nous sommes assez synchronisés. À l’époque, je n’avais pas vraiment d’horaire, ça m’a permis d’être plus disponible », explique celui dont les trois enfants ont maintenant 25, 23 et 21 ans et qui est famille d’accueil pour une petite fille de six ans depuis quelques mois.
Flexibilité
La flexibilité liée au fait d’être son propre patron est un gros avantage pour les trois pères. « Avoir notre fils toujours avec nous, ce ne serait pas possible si nous étions employés. Ça simplifie les choses, par exemple pour les rendez-vous médicaux. Si un moment, ça va moins bien, on peut retourner à la maison. La question de trouver une garderie devient moins épineuse aussi », estime M. Ross-Morel.
Monsieur Gosselin abonde en ce sens. Lorsqu’il a lancé sa première entreprise, à 21 ans, puis eu son premier enfant deux ans plus tard, sa conjointe, Karine, était encore aux études à l’université. « Quand tu es entrepreneur, tu peux travailler à toute heure du jour ou de la nuit. Tu peux faire l’horaire que tu veux. […] J’étais disponible pour les rendez-vous, les enfants malades, etc. La flexibilité d’horaire compense l’exigence d’être chef d’entreprise », affirme-t-il.
Hugo Gilbert considère pour sa part que le temps de qualité avec ses enfants est essentiel, que ce soit pour partager la passion pour la mécanique de l’aîné ou celle du basket-ball du plus jeune, ou encore pour faire du sport avec eux. « Je pense que le fait d’être mon propre patron me permet d’être présent pour mes fils et d’avoir beaucoup de temps libre avec eux. […] Nous arrivons à nous trouver des échappatoires où nous sommes bien ensemble et où nous mettons l’entreprise de côté. »
Culpabilité
Être père et entrepreneur, c’est aussi parfois se sentir tiraillé entre sa famille et son entreprise et vivre de la culpabilité lorsqu’une sphère prend momentanément plus de place. Hugo Gilbert l’a vécu récemment avec le processus qui a mené à l’importante transaction avec First Student (Autobus Transco). « Quand tu t’arrêtes pour y réfléchir, le plus difficile, c’est de voir comment tu fais des sacrifices pour que l’entreprise continue de fonctionner et à quel point tu es souvent en compromis avec ta famille », révèle-t-il.
L’homme d’affaires avoue avoir eu parfois l’impression de mettre ses enfants de côté et de ne pas en faire assez quand il devait travailler plus pour l’entreprise. « On veut faire ça parfaitement, mais on ne peut pas être parfait partout, peu importe à quel niveau tu te situes dans l’organisation. Nous sommes tous confrontés à ça. […] Le plus dur, c’est la gestion de la culpabilité, à savoir si on en fait assez pour eux et pour l’entreprise. Ce n’est pas possible d’être parfait comme père et comme entrepreneur en même temps. On donne notre meilleur. Quand je regarde en arrière, je n’ai probablement pas été parfait partout, mais je vois mes enfants aujourd’hui et je me rends compte que je n’ai pas si mal fait que ça finalement. Nous avons une belle relation. J’aime les voir vieillir, c’est une richesse incroyable. »
« Si on attend la situation parfaite, on ne fera rien. Il n’y a pas de moment idéal pour avoir des enfants ou se lancer en affaires. La famille, ce n’est pas un blocage. Il faut simplement savoir doser les efforts qu’on fait », ajoute Dave Gosselin, lui aussi encore très présent pour ses enfants.
Le plus beau cadeau
Être un père en affaires, c’est aussi rempli de petits bonheurs et de fiertés. Pour Emmanuel Ross-Morel, c’est son fils qui commence à interagir, ces premiers sourires naturels, spontanés : l’amour dans un regard. Ou encore lorsqu’il dort dans ses bras, apaisé par sa présence, si calme dans son cocon de sécurité.
De son côté, Dave Gosselin est fier de constater que les entreprises qu’il a contribué à fonder au cours de sa carrière sont toujours en activité aujourd’hui. Il est aussi heureux de voir ses enfants s’épanouir dans les domaines qui les intéressent. « Je vais toujours soutenir mes enfants, peu importe ce qu’ils choisiront de faire. […] Ma fille a un intérêt pour l’entrepreneuriat. Dernièrement, elle a fait une liste en lien avec ses projets et elle me l’a envoyée. Dedans, elle avait noté : faire quelque chose avec papa », raconte-t-il, ému.
« Être père, c’est le plus beau cadeau que j’ai jamais eu. […] À travers le temps, ça m’a donné une motivation d’entrepreneur supplémentaire. Je fais ça pour être fier de moi, oui, mais aussi pour qu’eux soient fiers de leur père. […] Le rôle de père et celui d’entrepreneur, ce sont les deux plus beaux rôles que j’ai pu jouer dans ma vie. Il n’y a pas de cloison. Ce n’est pas une journée je suis un père et l’autre un entrepreneur. C’est toujours les deux à la fois et j’essaie d’amalgamer le tout pour que nous soyons heureux et que nous puissions nous épanouir », conclut Hugo Gilbert.