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Maxime Hébert-Lévesque

SAGUENAY – Le projet de GNL Québec qui consiste à bâtir une usine de liquéfaction de gaz naturel sur les rives du Saguenay refait surface depuis quelques semaines. Le contexte sociopolitique européen et la campagne électorale provinciale sont parmi les principaux facteurs qui redonnent de l’ardeur aux défenseurs du projet.

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) avait recommandé au gouvernement provincial en mars 2021 de ne pas aller de l’avant avec le projet de GNL Québec. Les arguments soulevés dans la conclusion du rapport démontraient, entre autres, qu’une usine de liquéfaction de gaz naturel tel que présenté par le promoteur entrainerait une hausse des GES, un ralentissement vers la transition énergétique ainsi qu’un manque d’acceptabilité au niveau de la population du Québec.

« Je soulève d’importantes réserves quant aux conclusions du BAPE sur GNL Québec. Selon moi, l’acceptabilité sociale au Saguenay–Lac-Saint-Jean (SLSJ) a été pleinement rencontrée et se baser sur des mémoires pan québécois pour décider de l’avenir de la région, ça ne fait pas de sens. Tous les sondages réalisés au SLSJ étaient majoritairement favorables à la construction d’un complexe de liquéfaction. Le comité du BAPE a statué qu’il n’y avait pas d’acceptabilité sociale, mais il n’a déposé aucun sondage officiel pour appuyer sa conclusion. Le seul mentionné était l’un réalisé par Greenpeace avant les audiences. Si leur décision repose sur ce document, nous sommes devant une faute professionnelle grave. Une étude commanditée par un groupe environnementaliste dans ce cas précis est potentiellement biaisée et ne peut constituer un élément de preuve tangible », souligne Éric Tétrault, président de l’Association de l’Énergie du Québec (AÉQ).

De son côté, le professeur en Éco-Conseil à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), Olivier Riffon, a été cosignataire d’une lettre ouverte rédigée par six professeurs, chargés de cours et professionnel de l’UQAC en opposition à GNL Québec et déposé en mémoire lors du BAPE. « Le BAPE sur GNL Québec a été celui qui a été le plus mobilisateur depuis la fondation de l’organisme dans les années 70. Un fossé s’est creusé dans la population. Ce que je constate, c’est qu’il y avait un manque d’espace public pour discuter sereinement. Les gens en faveur d’Énergie Saguenay accusaient les gens opposés de vouloir la mort économique de la région et les personnes contre le projet accusaient les autres d’être climatosceptiques. Toutefois les deux camps avaient tort, mais la communication était rompue et les arguments étaient amenés par médias interposés. Cela a affecté négativement le climat social au SLSJ et on ressent encore aujourd’hui un malaise à chaque fois qu’on déterre le sujet », explique le professeur.

Des ententes sur la table

Peu avant le début de la campagne électorale québécoise, on apprenait que le promoteur GNL Québec aurait eu des négociations avec l’Ukraine à propos d’ententes d’approvisionnement en gaz naturel. Énergie Saguenay a confirmé la nouvelle, mais a refusé de commenter plus en détail. Une déclaration qui a rallumé les passions au SLSJ, mais qui soulève son lot de questionnements. « Les besoins en gaz de l’Ukraine sont pour maintenant. Est-ce vraiment sérieux d’avancer avoir des ententes sur la table lorsque le projet de GNL est bloqué au niveau provincial et fédéral ? De plus, la guerre opposant la Russie à l’Ukraine est toujours en cours et l’issu du conflit est impossible à déterminer. D’autant plus qu’hypothétiquement si le projet va de l’avant, on ne verrait pas de méthanier dans les eaux du Saguenay avant six ou sept ans, le temps de construire les infrastructures et de traverser les étapes d’autorisations environnementales. En termes de développement économique pour la région, je pense qu’il serait salutaire de se dégager de cette dépendance aux multinationales étrangères et de miser sur nos ressources naturelles et d’entamer une vraie discussion sur la transition énergétique », indique Olivier Riffon.

Pour ce qui est de la crédibilité des ententes entre GNL Québec et l’Ukraine, M. Tétrault est sans équivoque. « Les pourparlers étaient avec une entreprise gouvernementale et non un joueur privé. Les Ukrainiens veulent sortir les hydrocarbures russes de leur économie et cela constitue un marché à fort potentiel pour Énergie Saguenay. Je pense que le BAPE a été au-delà de son mandat et de ses compétences lorsqu’il a évalué les possibilités de marché du gaz naturel. Le comité des audiences publiques a statué qu’il n’y avait pas de potentiel pour ce secteur. Pourtant, tous les spécialistes du marché du gaz naturel des grandes banques d’investissements comme Goldman Sachs affirment que la demande va doubler d’ici 2040 […] L’erreur est de penser qu’à cause de la guerre l’unique objectif de GNL Québec serait de desservir l’Ukraine, c’est plus large que ça. L’Europe et principalement l’Allemagne cherche également à trouver de nouveaux fournisseurs », avance M. Tétrault.

Un jeu politique

Le chef du Parti conservateur du Québec (PCQ), Éric Duhaime, précise que l’élection provinciale 2022 sera un référendum pour GNL Québec et le 10 septembre de cette année, le Parti conservateur du Canada (PCC) élira un nouveau chef. « Peu importe le résultat, Jean Charest ou Pierre Poilievre, les deux candidats sont en faveur du projet d’Énergie Saguenay. Je ne suis pas devin, mais je pense qu’à l’issue des prochaines élections fédérales, nous aurons à la tête du pays un chef conservateur. Le projet de GNL Québec pourra alors voir le jour. La situation avec le gouvernement actuel l’empêche. Pour preuve, au mois d’août, le chancelier allemand Olaf Scholz a
réitéré l’intérêt de son pays pour le gaz naturel canadien lors de sa visite au Canada. Toutefois, le premier ministre Justin Trudeau continue de prétendre qu’il n’existe pas de “business case”. Le projet de GNL Québec se fera donc sous un gouvernement conservateur », indique le président de l’AÉQ.

Le BAPE ainsi que l’Agence d’évaluation d’impact du Canada ont recommandé aux deux paliers de gouvernement de refuser la forme du projet de complexe de liquéfaction du gaz naturel tel que présenté par le promoteur en 2021. « C’est donc un double refus puisque les deux gouvernements ont pris en compte les rapports des instances d’évaluation environnementale. Les certifications d’autorisation québécoise et canadienne ont été refusées à GNL Québec. De plus, le projet de Gazoduq qui acheminerait le gaz naturel par tuyau de l’Alberta au Saguenay n’a pas encore été évalué. Cela signifie que même si l’État donne un premier consentement, il y aurait une étape d’analyse additionnelle qui s’ajouterait et ralentirait la réalisation du projet. Le contexte particulier au niveau du marché du travail semble aussi obscurcir les plans d’Énergie Saguenay. Les promoteurs ont avancé à la population plus de 4000 emplois lors de la construction des infrastructures et quelques centaines de postes lors des opérations de l’usine. En période de pénurie de la main-d’œuvre, je ne trouve pas ces chiffres soient réalistes. Cela pourra même nuire aux PME de la région qui peineraient à garder leurs employés face à un géant qui seraient en mesure d’offrir de meilleurs salaires. Également, si nous voulions régler la problématique par l’embauche d’étranger, nous aurions un autre enjeu : la pénurie de logements », commente Olivier Riffon.

Éric Tétrault se veut plus optimiste face à l’attente des autorisations gouvernementales. « L’État a toujours le choix d’un processus long ou d’un processus court dans un dossier de projet économique. Dans la situation de GNL Québec, les occasions de marché favorables font en sorte que certaines réglementations pourraient être revues à la baisse afin d’offrir plus de souplesse. J’estime qu’une période de trois à cinq ans serait suffisante avant de voir un premier navire dans les eaux du Saguenay. Une chose est sûre, l’équipe d’énergie Saguenay marque des points importants en signant des ententes potentielles comme celle avec l’Ukraine », conclut M. Tétrault.

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