N.D.L.R. Le texte qui suit fait partie d’un dossier rédigé dans le cadre du cahier thématique dont le thème est : Le secteur forestier en changement, publié dans notre édition du mois d'avril.
SAGUENAY — La férocité des feux de forêt de l’an dernier aura marqué l’imaginaire collectif, mais elle aura également montré du doigt l’importance de se doter d’une stratégie nationale visant à rendre les forêts plus résilientes face aux incendies.
Selon Yan Boucher, professeur en écologie et aménagement forestier à l’UQAC et également directeur de l’observatoire régional de recherche sur la forêt boréale (ORRFB), des feux de l’ampleur comme ceux du printemps et de l’été 2023 ont été d’une ampleur sans précédent, surtout dans l’est du Québec, où de violents feux de forêt sont moins la norme. "Je m’intéresse intensément à l’aménagement des forêts brûlées. Avant, les feux dans l’Est étaient nettement moins violents et moins abondants, ce qui a radicalement changé récemment, influençant profondément nos stratégies et notre compréhension de la gestion forestière", admet-il d’entrée de jeu.
Du jamais vu depuis 100 ans
"Les feux, lorsqu’ils deviennent plus fréquents, peuvent frapper des territoires qui ne sont pas résilients, notamment parce qu’ils sont jeunes. Des couverts forestiers qui ne sont pas à maturité, comme les forêts d’épinettes noires, n’auront pas de graines viables dans leur cime afin de permettre une régénération naturelle. Ces écosystèmes sont extrêmement vulnérables et le phénomène s’aggrave, posant des défis significatifs en termes de régénération forestière ", lance-t-il. Celui qui a déjà travaillé pour le ministère des Forêts avait prédit des épisodes semblables dans les dernières années. " Cela faisait au moins 100 ans que l’on n’avait pas vu de telles superficies brulées. Maintenant que ça a marqué les esprits, c’est évident que 2023 a été une année de prise de conscience ", indique-t-il.
L’ingénieur forestier et biologiste indique que le couvert forestier ne se reconstitue par seule et que des actions doivent être mises en place pour éviter un retard dans les actions de reboisement ou de prévention autour des communautés urbaines. "Nos observations récentes ont mis en lumière une réalité alarmante : autour de 350 000 hectares de forêts pourraient mal se régénérer suite aux incendies. Cette donnée est d’autant plus inquiétante que nous avons découvert que même les forêts matures, que l’on pensait jusqu’alors capables de se régénérer efficacement, présentent des portions importantes où la régénération pourrait échouer. Ces constats remettent en question nos modèles de gestion et de conservation forestières", souligne l’expert, qui en profite pour soulever des enjeux en matière de reboisement. " Même si l’on attend des centaines d’années, une forêt ne se régénèrera pas seule. Il faut comprendre qu’un 300-350 hectares de jeunes forêts brulées, ça prend environ 6 ans pour rétablir l’état forestier."
Innover pour accélérer la régénération
Selon Yan Boucher, le gouvernement ne peut pas prendre une situation semblable à la légère. Des investissements sont nécessaires pour assurer une maintient d’un état forestier partout sur le territoire. "Face à cette crise, nous devons envisager des méthodes innovantes pour renforcer la résilience de nos forêts. Le gouvernement a alloué un budget significatif pour la régénération forestière, mais nous devons aller au-delà. Que ce soit par l’ensemencement aérien, l’utilisation de drones, de robots ou de machineries spécialisées, toutes les avenues sont possibles. Il est crucial de développer des stratégies adaptées à la réalité changeante de nos forêts, en tenant compte évidemment des contraintes budgétaires ", croit-il.
Le spécialiste en aménagement forestier ajoute que le reboisement par les humains ne suffira pas aux besoins. "Il est impératif que nous ne laissions pas nos forêts passer d’un état forestier à un état non forestier. Le gouvernement doit élaborer un plan d’action prenant en compte les incendies passés et anticipant ceux à venir, pour ne pas se retrouver démunis face à des années potentiellement aussi destructrices que 2023. Nous avons un grand chantier devant nous pour rendre nos forêts plus résilientes, un chantier qui demande une réflexion profonde et des actions concrètes", ajoute M. Boucher.
La grande majorité des feux de forêt est causée par la foudre
Le professionnel en aménagement forestier souhaite également accentuer un élément important : celui dont la grande proportion des incendies sont inévitables. "Ça prend trois conditions pour qu’un feu de forêt s’active. D’abord, ça prend des combustibles de qualité et de manière abondante. À cela, il faut additionner des périodes prolongées de sécheresse et des orages secs. L’humain a donc un impact minime […] Et quand bien même on avait davantage d’avions-citernes, ce serait difficile de prendre le contrôle. Ce sont vraiment les précipitations qui aident à l’extinction des brasiers », conclut le professeur.