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Karine Boivin Forcier

SAGUENAY – Devant les nombreux questionnements de plusieurs employeurs en lien avec la possibilité d’implanter la vaccination obligatoire contre la COVID-19 ou le passeport vaccinal dans une entreprise, des avocats de Cain Lamarre ont organisé un webinaire, la semaine dernière. Ils ont ainsi démystifié les droits et obligations des employeurs sur ce sujet.

Plus de 700 personnes s’étaient inscrites au webinaire, démontrant l’intérêt marqué pour ce sujet. « Les employeurs se demandent si oui ou non ils ont le droit d’imposer le vaccin et le passeport vaccinal à leurs employés. Notre but, c’était de faire le point, de valider ce qu’ils ont le droit d’imposer et dans quels paramètres. […] On donne l’état de droit en date d’aujourd’hui, mais ça pourrait changer. On continue d’assurer une vigie », indique Marie-Claude Néron, l’une des avocates du cabinet à Saguenay qui a pris part au webinaire.

Elle rappelle que la crise vécue avec la pandémie est sans précédent et que le système de justice n’est pas très précis en matière de pandémie ou d’urgence sanitaire. Toutefois, l’arrêt R c Oakes de la Cour suprême, rendu en 1986, établit un test en trois étapes pour déterminer si l’atteinte aux droits fondamentaux provoquée par une décision est justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique. « Il faut d’abord valider que l’objectif poursuivi est louable et nécessaire. Ensuite, il faut vérifier si le moyen utilisé est minimal ou s’il y aurait une possibilité de faire autre chose, de mettre d’autres mesures en place. Ensuite, est-ce que l’atteinte aux droits fondamentaux vaut la peine par rapport aux bénéfices retirés », explique Mme Néron.

Une réflexion essentielle

Dans le cas du passeport vaccinal et de la vaccination obligatoire dans une entreprise, les enjeux concernent notamment le droit à la vie privée de même que celui à l’intégrité. Les employeurs ont donc le devoir de faire cette réflexion. « Est-ce qu’il y a des alternatives? Est-ce que l’accès au lieu de travail est vraiment requis ou on peut poursuivre le télétravail? Quel est l’objectif? Est-ce que les mesures sanitaires en place fonctionnent? Est-ce que j’ai eu une éclosion? Par exemple, si je n’ai pas eu d’éclosion, c’est plus difficile de croire que j’ai besoin d’imposer le vaccin pour protéger mes travailleurs. […] Ce n’est pas évident actuellement de démontrer qu’il y a besoin d’imposer le vaccin à ses employés […] Il y a un lourd fardeau à démontrer pour l’employeur qui souhaiterait l’imposer », affirme l’avocate, rappelant que dans ce cas, le gouvernement a des prérogatives que les employeurs n’ont pas.

Marie-Claude Néron évoque également la collecte de renseignements personnels confidentiels, en l’occurrence le statut vaccinal, pour laquelle des mesures particulières sont à prendre également. Il faut s’assurer d’obtenir le consentement de l’employé et que les données seront détruites adéquatement après la crise. « Si l’entreprise sonde ses employés sur leur statut vaccinal, on suggère de donner l’option de ne pas répondre en spécifiant que l’employé sera alors présumé non vacciné et devra se conformer aux mesures en place pour les personnes non vaccinées », mentionne-t-elle.

Il y a l’aspect discrimination à ne pas négliger non plus. Il faut prendre en compte que des travailleurs peuvent ne pas pouvoir recevoir le vaccin pour des raisons médicales ou religieuses ou autres et que la vaccination obligatoire pour eux au sein d’une entreprise pourrait devenir un enjeu de discrimination.

La situation est donc très complexe pour les employeurs et Mme Néron et ses collègues conseillent d’user de prudence. Elle donne l’exemple du CN qui a annoncé récemment que tous les employés accédant à ses propriétés devront être adéquatement vacciné. Pour une entreprise qui ferait de la sous-traitance pour eux, il serait encore plus adéquat de voir avec leur client pour trouver des mesures alternatives plutôt que d’emboîter le pas en exigeant que tous ses employés soient vaccinés.

Pas de mesures permanentes

L’avocate rappelle également que dans le cas où une entreprise déciderait d’imposer la vaccination à ses employés, les mesures qui pourraient être prise envers ceux qui ne s’y conforment pas ne doivent pas être permanentes, parce que la crise est temporaire. « Il n’y a pas de jurisprudence pour la COVID-19, mais il y en a pour l’influenza. Une préposée ne voulait pas être vaccinée, l’employeur a statué que dans le cas d’une éclosion dans son milieu de travail, elle serait retirée sans solde. Ce serait le plus loin qu’un employeur pourrait aller actuellement, puisque c’est une situation temporaire. »

Mme Néron souligne que très peu d’entreprise ont imposé la vaccination ou le passeport vaccinal à leurs employés jusqu’à maintenant. Elle rappelle par ailleurs qu’il ne s’agit pas d’un débat pour ou contre le vaccin, mais bien de questions de droit qui doivent être prises en compte dans les décisions de dirigeants d’entreprises.

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